Projet Motto: 1 + 1 = 3

Dans le cadre d’une collaboration avec l’Office National du Film, Futur et Médias met à l’honneur certains de ses projets innovants, à travers une série d’articles. Si vous souhaitez en découvrir davantage sur le processus de création de l'œuvre Motto présentée ici, vous pouvez retrouver l’étude de cas complète sur le blogue de l'ONF.

«Explorer la notion de création de sens».

Telle était l’ambition affichée de Vincent Morisset à la genèse du projet numérique interactif Motto. Au terme d’un processus de création de trois ans, en collaboration avec l’ONF, le réalisateur et son studio AATOAA dévoilent le fruit de leur labeur, via un site disponible exclusivement sur mobile. Motto s’amuse en toute liberté avec les possibilités infinies d’un web en expansion continue, où le spectateur est invité à devenir cocréateur. Plongez avec nous dans les coulisses de l’aventure!

Le mois et les moi 

Sur le site web mobile motto.io, les participants sont invités à contribuer, dès le début de l’expérience, au récit d’un fantôme prénommé Septembre, raconté en six chapitres de quinze minutes. L’histoire se découvre à travers une multitude de petites vidéos, d’ici et d’ailleurs, tantôt abstraites, tantôt routinières.

Septembre, entité insaisissable, tantôt homme, tantôt femme, semble à la fois inspiré du pharaon Akhénaton et de l’esprit “February” dans Light Boxes de Shane Jones.

En plus de ce fil conducteur, les internautes ajoutent des images anonymisées de leur propre quotidien: orteils qui dansent, portes qui s’ouvrent, tasses de café, etc. Certaines vidéos sont par la suite intégrées à l’expérience des prochains utilisateurs.

Mais motto.io n’est pas un projet de l’immédiat. Selon Marie-Pier Gauthier, productrice de Motto, «le projet défie le temps Internet tel qu’on le connaît et tel qu’on le consomme.» Aux antipodes de ses contemporains TikTok et Instagram, les contributions individuelles des utilisateurs n’apparaissent pas tout de suite dans l’expérience. Entre le téléversement et l’apparition, un temps: mort?

Aux origines du projet, réside le désir de Vincent Morisset de créer une expérience interactive qui ne ressemble à nulle autre, qui «interpelle le regard» du spectateur et l’y inclut.

Une aventure qui “traverse les murs”

Comment définir Motto exactement? Et quelles sont les étapes qui ont mené à son aboutissement?

Motto relève du récit hybride, «à la limite du documentaire et de l’objet trouvé», selon Vincent Morisset. En résulte une œuvre inspirée de plateformes et de médiums variés tels que l’application Snapchat, le long métrage Dans la peau de John Malkovich, l'œuvre d’Agnès Varda et d’Italo Calvino, ou bien même du site astronaut.io. 

«Dès le départ, explique Caroline Robert, d’AATOAA, nous avons l’idée de proposer à un maximum de personnes de réaliser de petites vidéos, avec l’intuition de créer des liens et des rapprochements entre elles». Malgré les fils conducteurs présents dès les premiers instants de l’aventure, le format précis de l'œuvre est sujet à une longue série de modifications, fruits de remue-méninges, de tests et de rétroactions continues.

Marie-Pier Gauthier explique que ce processus de création «sans a priori», constitue notamment ce qui fait l’attrait de l’approche créatrice de Vincent Morisset: «Nous sommes sensibles à sa démarche artistique, nous préférons une bonne idée de départ qui pose de multiples questions plutôt que des solutions toutes faites pour un processus créatif sans surprise.»

Parmi les questions qui se posent, figure celle du support de l’expérience. Et l’ambition est ici de transformer l’utilisation solitaire du téléphone portable intelligent en expérience pouvant relier les utilisateurs entre eux pour produire du contenu, devenu collectif.  

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Captures d'écran organisées en catégories. Crédit : AATOAA/ONF

1 + 1 = 3

Dans la phase de conception du projet, plusieurs défis apparaissent. D’abord, celui de constituer une première banque d’images assez importante pour permettre d’explorer divers potentiels de narration et trouver la bonne formule, celle qui raconte une histoire, qui émeut, qui interpelle. Le défi est relevé d’abord en mettant à disposition les archives personnelles de Caroline Robert, l’artiste visuelle du trio AATOAA et de Vincent Morisset.

S’y ajoutent ensuite, de façon temporaire, des vidéos glanées sur YouTube et internet en général. Mais les possibilités ne sont pas infinies, comme l’explique Marie-Pier Gauthier: «L’une des difficultés du projet, c’est la quantité de contenus qu’il demande. On a dû se limiter, car il n’était pas possible d’acheter du matériel audiovisuel dans le monde entier. En tant que producteurs, nous ne mettons jamais de veto, mais nous avons des impératifs budgétaires à respecter.»

Une des astuces trouvées pour relever ce défi a été d’avoir recours à des collections du Musée canadien de la nature d’Ottawa et du Neues Museum de Berlin.

Deuxième challenge de taille, donner un sens à toutes ces images, trouver le bon équilibre entre un algorithme défini par une intelligence artificielle et des décisions éditoriales précises.

Les expérimentations autour de l’IA, même si elles ouvrent des voies, finissent par montrer des limites: «Nous n’avons pas réussi à trouver autant de moments de grâce que nous l’espérions pendant nos expérimentations. Dans 80 % des cas, c’était trop banal, ou pas assez intéressant.»

«La poésie, ça reste quand même le propre de l’humain…», affirme Vincent Morisset.

C’est donc un mélange de technologie et de volonté éditoriale qui permettra de réaliser une version actualisée de l’effet Koulechov, où les clips et photos tirées au hasard (préalablement identifiées et regroupées en «familles» d’images) contribuent à la création d’un sens nouveau.

Enfin, il a fallu s’assurer que l’expérience de l’utilisateur soit parfaitement fluide, pour éviter que la découverte de l’œuvre ne se heurte à des soucis technologiques: «Il faut que l’interface soit la plus fluide possible, avec le moins d’indications pour l’utilisateur,” explique le programmeur Édouard Lanctôt-Benoît. «Il faut comprendre sans avoir besoin d’un tutoriel». Pour atteindre cet objectif, des aller-retours incessants entre les membres du trio, accompagnés de tests, d’essais et d’évaluations s’avèrent nécessaires.

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Crédit : AATOAA/ONF

Coïncidences contrôlées

Le format de l’expérience, résultat donc de nombreuses adaptations et transformations en cours de route, présentait un certain défi d’écriture. Le romancier Sean Michaels intègre l’équipe de création une fois le projet bien entamé: il faudra écrire en fonction d’un format défini, mais flexible, évolutif. 

Vincent Morisset tente de laisser le champ libre au dramaturge pour trouver la bonne histoire à raconter; cependant les nombreuses prouesses techniques qui ont permis de trouver la forme du projet, posent tout de même certaines limites à Sean Michaels. Une grande capacité d’adaptation est donc nécessaire pour trouver, avec le trio d’AATOAA, la bonne recette.

Selon Marie-Pier Gauthier, «Sean a attaché tous les bouts de ficelle ensemble, il a créé le fil narratif qui manquait.» Et ce fil narratif, c’est notamment l’idée que toutes les images qui défilent, sont en fait des souvenirs. L’idée d’absence est centrale, et le personnage du fantôme Septembre prend alors tout son sens.

Une philosophie commune d’interconnexions aura permis à cette équipe de trouver ses réponses: la programmation qui influence l’écriture, qui à son tour affecte le graphisme, qui guide les contributions individuelles des participants. L'œuvre n’est pas conçue afin d’être complétée, elle est plutôt vouée à une renaissance infinie, et suivant le désir de Sean Michaels, le contexte où se trouve le participant, influence la manière dont l’histoire se raconte.

L’intention de Vincent Morisset, directeur créatif d’AATOAA, est d’inviter à la réflexion grâce à l’arbitraire et la lenteur. «Prends ton portable, conseille-t-il. Va sur motto.io Filme comme ça se présente, sans dentelle. Centre le sujet. Sois succinct. Essaie des trucs. Sois toi.»


Joseph Elfassi
Joseph Elfassi est auteur et journaliste, travaillant dans le domaine de la télé, du web et de la radio. Il cultive une fascination pour les enjeux scientifiques, technologiques et sociaux. Né à Boston, et ayant vécu à Paris et Montréal, c'est à Rouyn-Noranda que son amour pour la culture et la création a vu le jour.
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