Propellor Film Tech : expérimenter les modèles d’affaires du cinéma de demain

Une nouvelle génération de vecteurs d’innovation explore des modèles d’affaires audacieux pour le secteur des médias en s’inspirant de la technologie. C’est le cas du Propellor Film Tech Hub, une plateforme d’accompagnement destinée principalement à la création et la distribution de l’expérience cinématographique.

Le fondateur de Netflix Reed Hastings a récemment évoqué l’absence d’innovation dans l’industrie de la distribution en affirmant, non sans provocation, que le cinéma en salles n'avait pas évolué depuis les trente dernières années, peut-être à l’exception du popcorn.

La domination des grands groupes médiatiques, les financements à la baisse, le rétrécissement des fenêtres de diffusion causé par la vidéo sur demande et la fragmentation des revenus ont provoqué un certain conservatisme d’affaires dans l’industrie de la production médiatique.

Malgré tout, certains observateurs voient plutôt, dans cette conjoncture économique, une réelle opportunité de développement stratégique en empruntant la philosophie des jeunes pousses de la techno.

Les données, nouvel eldorado de l'innovation

Les entreprises médiatiques et culturelles travaillent à rattraper leur retard sur les autres industries, qui ont d’ores et déjà développé de nombreuses et lucratives solutions pour tirer profit des données massives générées par les utilisateurs.

À toutes les étapes de la chaîne de valeur en audiovisuel, les données sont devenues une denrée qui, utilisée avec imagination, peut engendrer de multiples bénéfices pour les artisans et les ayants droit : optimisation du processus de création; analyse du risque; gestion de la main-d’œuvre; identification de publics cibles; découvrabilité; etc.

Le Propellor Film Tech Hub, une initiative conjointe entre deux festivals (International Film Festival Rotterdam et CPH:DOX), un marché de films (European Film Market) et un studio d’innovation (Cinemathon), est l’un de ces nouveaux incubateurs d’affaires visant à provoquer le choc des idées entre les industries du cinéma et de la technologie, au même titre que d’autres récents vecteurs de bouleversements numériques comme la fintech (finance), la cleantech (énergies renouvelables) ou l’edtech (éducation).

Initié par les producteurs allemands Erwin M. Schmidt et Susanne Marian du studio Cinemathon, le Propellor Film Tech Hub se veut la seule plateforme d’accompagnement d’innovations technologiques destinée principalement à la création, la distribution et l’expérience cinématographique.

Dès 2015, Propellor a adopté une approche protéiforme avec la mise sur pied d’ateliers de co-création, de think tanks et, bientôt, d’un programme intensif d’incubation prévu à Berlin en 2018. C’est ce qui a permis de mettre en place un réseau international de collaborateurs, de penseurs, d’entrepreneurs, d’influenceurs et de technologues affichant une volonté commune à défier les idées reçues et de concevoir l’avenir du cinéma sous l’angle de la créativité numérique.

« L’industrie cinématographique a tout à gagner à développer des propriétés intellectuelles misant sur les nouvelles technologies et à adopter le mode d’opération des startups techno – design, itération, tests beta, dissémination progressive et croissance à grande échelle », a confié Erwin M. Schmidt en marge du Propellor Springboard tenu ce printemps dans le cadre du CPH:DOX.

Un manifeste interdisciplinaire

Onze mesures initiales à réaliser ont été identifiées durant la session think tank Propellor Speednic tenue en février lors de la Berlinale. Parmi celles-ci :

  • Enseigner l’entrepreneuriat et l’innovation stratégique dans les écoles de cinéma
  • Développer de nouvelles formes de curation parmi l’offre croissante de films en ligne
  • Promouvoir l’apprentissage de la littératie des données massives
  • Identifier de nouveaux points de convergence entre les créateurs et les auditoires
  • Refaçonner l’expérience des films
  • Utiliser les festivals de cinéma comme laboratoires de nouveaux modèles d’affaires
  • Établir des relations durables entre les communautés technologiques et cinématographiques

« À ce titre, nous souhaitons nous-mêmes devenir un vecteur d’action plutôt que de réflexion, en incitant nos collègues à développer puis expérimenter rapidement leurs idées afin de les valider de manière concrète et d’approcher des investisseurs, croit Schmidt.

« Les nouvelles technologies comme la chaîne de blocs (blockchain) et l’intelligence artificielle, tout comme l’économie de partage et le crowdsourcing, présentent des opportunités qui demeurent à être explorées par l’industrie. Or, c’est notre rôle de mettre en place les conditions favorables à l’éclosion de ces innovations. »

La distribution : une priorité

« L’ensemble de nos activités, depuis nos débuts, nous ont permis de constater que le développement de nouvelles approches en matière de distribution, et ce, dans tous les formats, doit être priorisé, a observé Schmidt. Les contenus se rendent difficilement au grand écran, et leur accès est souvent compliqué sur les plateformes en ligne. Voilà le principal défi que nous tenterons de relever lors de nos prochaines activités. »

C’est ainsi qu’une quinzaine de projets ont été développés à ce jour par des équipes multidisciplinaires venues d’un peu partout dans le monde, lors de week-ends de codéveloppement d’innovations tenus à Rotterdam et Copenhague. Plusieurs de ces équipes avaient pour mandat d’accroître le potentiel de visibilité et de revenus des films de fiction et de documentaires.

Quelques exemples :

  • Culture Cues (Prix de l’innovation – Rotterdam) est une application de type Tinder permettant aux exploitants et aux distributeurs d’avoir accès aux préférences des cinéphiles à partir de leur appréciation de diverses bandes annonces;
  • Moviefication améliore l’expérience cinématographique d’un film selon la géolocalisation des cinéphiles, à partir d’une application mobile de réalité augmentée;
  • Cinelan met en relation des exploitants de salles avec des communautés de joueurs vidéo cherchant à organiser des événements et des compétitions sur grand écran;
  • VR Catwalk est une application immersive de recherche de lieux de tournage destinée aux commissariats de film et de télévision à travers le monde;
  • Filmpass est une application sociale et bidirectionnelle de recherche, d’achat et d’organisation de séances de projection en salles ou dans des lieux temporaires. De plus, elle permet aux propriétaires et gestionnaires de ces lieux de mieux connaître les goûts et habitudes de leur clientèle;
  • Amplifier (Prix des mentors – Copenhague) est une application de courtage de données d’impact permettant aux producteurs, distributeurs et agences de marketing de mettre en commun et de valoriser l’ensemble des informations recueillies sur les auditoires, communautés d’intérêts et influenceurs et d’axer le tout vers des documentaires partageant des thèmes ou des causes communes.

Un écosystème en forte croissance

Comme le Disney Accelerator, le programme Ideaboost du CFC Media Lab, le Creative>>Founder LabQUT Creative Enterprise Australia, le Dogfish Accelerator ou encore le programme expérimental du Fonds des médias du Canada, le Propellor Film Tech Hub fait partie de cette nouvelle génération de vecteurs d’innovation média dédiés à l’exploration de nouveaux modèles d’affaires sous le prisme de la technologie.

L’une des activités de l’incubateur torontois Ideaboost. (Crédit : CFC Media Lab)

Cet écosystème s’élargit rapidement, notamment avec l’organisation d’événements comme Cannes NEXTEFM Startups, le SXSW Entertainment & Content Technologies Pitch Event et la conférence Storytek. Plusieurs entreprises à succès ont pu bénéficier de l’encadrement stratégique et financier de l’une ou l’autre de ces organisations – pensons seulement à SpheroJauntLiquid Cinema et VUSR.

Nul doute que celles-ci sont particulièrement bien positionnées pour découvrir et accompagner le prochain Reed Hastings dans sa conquête des industries du divertissement.


Charles Stéphane Roy
Charles Stéphane Roy est producteur multiplateforme et chargé de l’innovation à La maison de prod depuis 2013. Il fut auparavant rédacteur en chef du quotidien Qui fait Quoi, puis réalisa des mandats d’analyse stratégique pour l’Observatoire du documentaire du Québec et le Groupe Évolumédia. Ses projets, qui intègrent filmtech et modèles d’affaires innovants, ont été sélectionnés à Cannes NEXT, Cross Video Days et l’accélérateur Storytek, en plus de se mériter le POV Hackathon Award et le Prix HackXplor Liège TV5 Monde.
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