Repenser la télé pour ados
L’époque où les jeunes regardaient tous la même série en revenant de l’école est révolue, ce qui force les producteurs et les diffuseurs à redoubler d’inventivité pour rejoindre les adolescents.
Les données ont de quoi décourager les créateurs de contenu jeunesse : 21% des jeunes Canadiens de 2 à 17 ans ne regardent jamais la télévision traditionnelle et 91% consomment leur contenu en ligne, selon l’Observateur des technologies médias (OTM).
Pendant ce temps, les chaînes de télévision jeunesse quittent nos écrans les unes après les autres : Vrak, Yoopa, Nickelodeon, Family Channel, La chaîne Disney, pour ne nommer que celles-là.
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Malgré tout, les producteurs et diffuseurs avec qui nous nous sommes entretenus ne baissent pas les bras. Il existe, selon eux, des moyens pour que les histoires d’ici se rendent à la jeune génération.
« Maintenant, le cellulaire est quasiment une extension de la main, constate Marysol Charbonneau, directrice des contenus jeunesse et famille à Télé-Québec. Nous aussi, comme adultes, on a le cellulaire pas loin; on ne peut pas les blâmer! S'ils ont trouvé une culture et une sous-culture qui les intéresse, eh bien, pourquoi pas? Il faut juste trouver une façon d'en faire partie. »
Découvrabilité, le nerf de la guerre
Pour Steve Couture, PDG et cofondateur d’Epic Storyworlds, une entreprise qui valorise le contenu jeunesse dans les productions télé et du jeu vidéo, le meilleur moyen de rejoindre les jeunes est d’aller là où ils sont rendus : sur YouTube, Roblox et ailleurs.
« Notre démarche, c'est : peu importe l'écran, on essaie d'amener nos consommateurs dans l'écosystème de nos projets. C'est comme ça qu'on essaie de créer de la découvrabilité, mais aussi de l'engagement envers nos projets », explique-t-il.
C’est le mot sur toutes les lèvres : découvrabilité, ou la capacité des gens à tomber « par hasard » sur les contenus, sans les chercher.
Dans cette course à la découvrabilité, l’intégration des plateformes numériques est devenue omniprésente, parfois même aussi tôt qu’à l’étape de l’écriture de la série.
« Il faut réfléchir le plus tôt possible dans le processus à comment mettre en marché les séries, croit Patrick Bilodeau, producteur chez Ugo Média, qui produit des séries numériques destinées aux adolescents et aux jeunes adultes. Ça peut paraître un peu effrayant sur le plan créatif, mais mon objectif n’est jamais de dénaturer le contenu ou d’imposer des choses qui vont à l’encontre de la qualité du projet. Il reste que l'enjeu, c'est qu’il soit vu. »
Selon Patrick Bilodeau, les contenus doivent aussi être créés spécifiquement pour les plateformes sur lesquelles ils sont diffusés, selon les codes et les attentes des gens sur chacune de ces plateformes. « Évidemment, le processus peut devenir lourd, parce qu'on ne va pas mettre la même chose sur Instagram, sur TikTok et sur Facebook », prévient le producteur.
Acteurs aux qualités d’influenceurs
Le choix des acteurs peut jouer un rôle dans la stratégie de découvrabilité d’une série. Ce fût le cas pour Détox, une série destinée aux 14-18 ans, aussi produite par Ugo Média et diffusée en 2022 et 2024 sur TV5 Unis.
« On a choisi une distribution avant tout pour leurs qualités d’acteur et leur cohésion, mais plusieurs d’entre eux étaient aussi des gens très suivis sur les réseaux sociaux, donc on savait que ça allait nous servir pour faire connaître la série aux jeunes », explique Patrick Bilodeau.
La stratégie s’est déployée en grande partie sur TikTok, où les ados pouvaient découvrir les comédiens derrière les personnages.
Résultat : « On a eu plus d’un demi-million de visionnements sur nos différents contenus, se félicite M. Bilodeau. Mais le défi reste de sortir les jeunes de ces plateformes et de les amener où se trouve la série. »
La KPop à l’honneur
Les producteurs de Gangnam Project, diffusée sur CBC Gem, se sont eux aussi tournés vers TikTok et YouTube. La série, destinée aux 8 à 12 ans, met la KPop à l’honneur, une musique coréenne ultra populaire auprès des jeunes.
![Gangnam Project [Courtesy Of CBC]](https://cmf-fmc.ca/wp-content/uploads/2025/10/Gangnam_Project_Courtesy_of_CBC-960x640.jpg)
Anthony Leo, coprésident d’Aircraft Pictures, qui a produit la série en collaboration avec Pillango Productions, explique que toute la musique de la série est originale et signée par August Rigo, compositeur pour de vrais groupes de KPop. La production a notamment réalisé des vidéoclips originaux de certaines de ces chansons, exclusivement pour du contenu se retrouvant sur les réseaux sociaux.
« Au moment de dévoiler la deuxième saison, on s’est mis à voir de plus en plus de “micro-fiction”, dont les épisodes ne durent que quelques minutes, à consommer sur les réseaux sociaux. Notre équipe a décidé d’embrasser cette tendance, en utilisant des clips de la série qui étaient en soi des entités dramatiques, dans l’espoir que les jeunes aillent ensuite voir la série complète sur CBC Gems ou à la télé », indique Anthony Leo.
À voir seulement sur TikTok
Télé-Québec va encore plus loin. Dès l’hiver prochain, la série La mascotte du chaos, produite par +Un, dont les épisodes durent entre une et trois minutes, seront diffusés uniquement sur le compte TikTok du diffuseur. L'histoire se décline en plusieurs épisodes, qui peuvent se regarder dans le désordre. Le but est de deviner qui se cache dans le costume de la mascotte et fait des mauvais coups (filmés avec les codes des réseaux sociaux, bien entendu).
Comment cette nouvelle façon de faire change-t-elle la manière de raconter une histoire? « Je ne peux pas commencer doucement avec un paysage et une mise en scène, comme on le fait au cinéma ou à la télé, explique Marysol Charbonneau. Je dois générer tout de suite une émotion chez les jeunes, pour leur donner le goût de voir comment on en est arrivés là. »
L'avenir des formats longs
Même s’il comprend la tendance, Patrick Bilodeau se questionne sur l’avenir des contenus longs.
« Les contenus courts créent une espèce d’habitude très addictive, dit-il. On voit de plus en plus le phénomène de double écran, où la série longue et le film deviennent un écran en arrière-plan. Les plateformes internationales commencent à demander d’en tenir compte dans l'écriture. »
Marysol Charbonneau se veut toutefois rassurante : les formats longs ne sont pas morts! Elle cite en exemple la série La nuit devant nous, réalisée par Adib Alkhalidey, qui sera lancée dans le cadre de Ciné-Cadeau, à Télé-Québec, « une fiction lourde » composée de 13 épisodes de 30 minutes.
La série documentaire Être ado, diffusée l’an dernier sur les ondes de Télé-Québec, a suivi 10 adolescents partout au Québec pendant cinq ans. Elle a également connu un grand succès chez les jeunes et leurs parents – peut-être la preuve que le public a encore un appétit pour ce type de contenu.

« Avoir juste un modèle, ça ne servirait pas bien toute la population, conclut Marysol Charbonneau. En jeunesse, on est souvent très réactifs. Quand il y a un nouveau format, on l'essaie parce qu’on ne peut pas attendre que la mode soit installée pour commencer à s'y intéresser. »