Retour sur les consultations de l’industrie 2021 du FMC avec Valerie Creighton
Les consultations du FMC auprès de l’industrie cette année se sont complètement distinguées des précédentes éditions. C’était à prévoir, étant donné les nombreux défis posés par la pandémie de COVID-19 depuis plus d’un an.
Présentées pour la première fois en format virtuel, les consultations se sont étendues sur une période d’un mois, offrant 17 tables rondes et accueillant près de 1000 participants. Le besoin de changement au niveau structurel a plus que jamais été au cœur des échanges.
Le FMC a récemment publié un rapport mettant l’accent sur 15 idées importantes qui ont émergé des consultations de 2021.
Futur et Médias a discuté avec Valerie Creighton, Présidente et chef de la direction du FMC, pour savoir comment elle a vécu ce processus de consultation sans précédent, ce qui l’a surprise et ce qui lui a donné de l’espoir. La Présidente est également revenue sur des histoires qui l’ont inspirée en plus de révéler quelques étapes à suivre pour enclencher les changements nécessaires dans l’industrie canadienne des écrans.
Vous avez souvent affirmé que consulter l’industrie faisait partie de l’ADN du FMC. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?
Notre industrie est très vaste, diversifiée et extrêmement complexe. Elle touche aussi bien des gens en début de carrière, des PME, des grandes entreprises, des sociétés de diffusion, de production, de médias numériques et de jeux vidéo que le gouvernement et d’autres intervenants de l’industrie, ainsi que des EDR, qui participent au financement de nos activités. Ce serait impossible pour nous de créer un programme correspondant aux besoins de toutes ces personnes si nous ne communiquions pas régulièrement avec elles. C’était d’ailleurs l’une des conditions officielles posées par le ministère du Patrimoine canadien en 2009 lorsque l’accord de contribution avec le FMC a été rédigé. Au fil des ans, c’est devenu de plus en plus évident pour moi que c’est ce qui fait notre succès. Nous échangeons avec les gens qui sont en première ligne. Si nous ne le faisions pas, je ne crois pas que nous serions aussi efficaces.
Les plus récentes consultations ne ressemblaient pas à celles des années précédentes, à la fois à cause de leur format virtuel et du fait que nous venons de vivre une année très difficile. Quelles étaient vos attentes au début du processus?
Vous savez, ça fait tellement longtemps que cette pandémie dure et que nos réunions se tiennent sur Zoom que je croyais que les participants s’ennuieraient devant nos 17 tables rondes virtuelles. Je me disais que ce serait très difficile. J’adore les consultations sur le terrain. On parcourt 22 villes en 18 jours, et c’est un réel privilège de constater la magnitude du Canada, d’un océan à l’autre, dans une si courte période de temps. De plus, c’est une expérience d’une grande richesse que d’être sur le terrain avec les gens, dans l’environnement où ils vivent et travaillent. Ça nous permet d’être connectés avec diverses régions du pays d’une manière beaucoup plus concrète que lorsque nous sommes dans nos bureaux, que ce soit à Toronto, à Montréal, à Vancouver ou ici, en Saskatchewan.
Alors, j’étais impatiente de voir comment ça se passerait cette année. Lors de nos réunions à l’interne, j’ai proposé qu’on ne discute pas des programmes actuels du FMC, à cause de la pandémie et du fait que nous avons distribué beaucoup d’argent par l’entremise de fonds de soutien d’urgence en réponse à la COVID-19. Mais il fallait absolument se pencher sur cette question: qu’allons-nous faire pour l’avenir ? La COVID a eu une incidence énorme sur notre industrie. Il y a eu des dommages collatéraux qui ont influencé les méthodes de travail de tous. C’est pourquoi j’ai beaucoup insisté pour que la discussion soit axée sur l’avenir. Tout le monde a ses idées et sa conception des choses, et nous savions que nous allions recevoir beaucoup de réactions et de propositions. Je crois que nous avons su poser les bonnes questions, et l’industrie a répondu avec enthousiasme.
Ça a fait naître en moi un réel optimisme quant à l’avenir. Il y aura évidemment des écueils à éviter, des problèmes à régler et d’autres difficultés, mais la résilience dont fait preuve notre industrie est très inspirante. Ça m’a donné l’énergie nécessaire pour trouver des solutions.
Nous avons adoré entendre ce que nos partenaires traditionnels, les diffuseurs, les communautés racisées, les communautés autochtones et les distributeurs avaient à nous dire. Il y a eu des affirmations et des prises de position très puissantes. Même si nous n’avons pu discuter face à face ni prendre un verre ensemble à la fin de la journée, je crois qu’il s’agit probablement des consultations les plus percutantes que j’ai vécues au FMC. C’était très, très fort.
Qu’est-ce qui vous a le plus surprise?
Je dirais la passion et la vigueur des intervenants, ainsi que les échanges extrêmement intelligents que nous avons pu avoir en ligne. J’ai également été confortée en constatant que l’état d’esprit général des intervenants correspondait tout à fait à notre perception des choses quant à la croissance de l’industrie. Quelle forme pourrait prendre le prochain modèle de programmes? Quels seraient les bons outils de financement? Nous n’avons évidemment pas toutes les réponses à ces questions, mais le rapport des consultations nous offre de solides bases sur lesquelles appuyer notre réflexion. De là, nous pourrons commencer à mettre certaines idées à l’épreuve dans l’industrie et voir si ça fonctionne ou pas. Tout ce processus a été extrêmement bénéfique et a renforcé ma confiance en nos futurs projets.
La formule virtuelle n’était certainement pas idéale, mais y avez-vous trouvé des avantages par rapport aux consultations en personne?
Absolument! D’abord, comme ça avait lieu en ligne, nous avons eu un bien meilleur taux de participation. Ça a aussi permis à des gens qui n’avaient jamais traité avec le FMC de prendre part aux consultations. Par exemple, nous avons organisé une séance réunissant de jeunes créateurs et producteurs. De plus, cela a créé un espace sécuritaire où tous pouvaient discuter des sujets qui les préoccupaient. La formule virtuelle ajoute une certaine distance par opposition à l’immédiateté des rencontres en personne. Ce n’était pas anonyme pour autant, mais cette distance favorise tout de même la prise de parole. Nous avons remarqué une belle participation des jeunes créateurs et créatrices et de gens avec qui nous parlions peu auparavant. Ce succès est en partie attribuable au travail de nos responsables en matière d’équité et d’inclusion dans les communautés racisées, mais la formule virtuelle a certainement aidé.
Un rapport détaillé présente les 15 principaux constats des consultations. Pouvez-vous revenir sur quelques-unes des conclusions que vous avez vous-même tirées?
J’en ai principalement retenu quatre. La plus importante est liée au fait que nous travaillons dans une structure nationale, tandis que notre industrie navigue dans un cadre mondial. La question est de savoir comment l’industrie pourrait mieux déclencher les financements du FMC. Je sais que cela peut effrayer beaucoup de gens. Ils ne veulent surtout pas donner d’argent aux Netflix, Amazon et Disney. Nous ne leur donnerons évidemment pas notre argent, et d’ailleurs ils n’en ont pas besoin, mais ils sont implantés ici et ils travaillent avec nos créateurs et créatrices. Cela amène d’importants bénéfices, comme la production de services, la création d’emplois, l’échange d’idées et l’établissement de relations d’affaires. Toutefois, cela met aussi une forte pression, à la fois en matière de finances et d’attraction des talents, sur nos diffuseurs. Il y a un déséquilibre problématique dans cette structure.
Une des autres conclusions concerne l’importance de la propriété intellectuelle (PI). Il ne s’agit pas uniquement de la retenir, mais aussi d’y accorder de la valeur. Nous avons appris des choses intéressantes au sujet de la rétention et de la valorisation de la PI. Un exemple me vient en tête: un diffuseur étranger de contenu en continu est arrivé et a fait une grosse offre à une compagnie de production, qui l’a refusée pour aller sur le marché international, où elle a obtenu cinq ou six fois plus pour son produit. C’est important de valoriser la PI et de bien connaître les marchés à l’international, et nous devons trouver la façon de travailler dans notre écosystème pour y arriver.
La troisième conclusion que j’ai retenue est liée aux questions d’équité et d’inclusion. Une transformation permanente de notre système est essentielle. Il y a des communautés qui débordent d’énergie créatrice et d’idées et qui font face à des barrières. Nous devons leur offrir un meilleur soutien. Nous savons également que le public est avide de points de vue divers, d’histoires authentiques et de différents types de narration. Ça a été au cœur des consultations.
S’il y a un autre point qui est ressorti de façon claire et nette, c’est bien que notre structure de financement par projet n’est pas tellement utile dans sa forme actuelle. En fait, elle empêche les entreprises de retenir leurs capitaux et de croître, parce qu’à chaque fois qu’elles veulent réaliser un projet, elles doivent soumettre une demande.
Nous avons beaucoup parlé de soutien aux entreprises. Comment pourrait-on propulser notre industrie ? Le modèle des Britanniques est inspirant. Ils sont parvenus à aider leurs producteurs et productrices à mieux se positionner pour négocier avec les différents joueurs sur le marché international.
Le changement est nécessaire à tous les niveaux dans l’industrie, cela a été clairement exprimé durant les consultations. Or, il n’est pas facile de changer. Quels sont les principaux obstacles à votre avis?
La peur. Quand un changement se profile à l’horizon, nous avons tous tendance à vouloir rester en terrain connu, à nous accrocher à ce qui a déjà fonctionné. C’est une réaction tout à fait normale, mais je crois fermement que nous sommes à la croisée des chemins. On ne transformera pas en une nuit un système implanté depuis plus de 30 ans. Les choses se produiront de manière logique et structurée. Notre industrie a déjà connu beaucoup de transformations depuis le début de la révolution numérique au cours des 10 dernières années, sauf qu’au niveau national, on n’a pas su se maintenir à niveau.
Je crois que la peur est le plus gros obstacle qui se dresse devant nous. C’est la peur de perdre des acquis combinée à une mentalité de rétraction, alors que nous devrions plutôt adopter une perspective d’expansion. Il est très important de se positionner culturellement, de se soucier de la réputation du Canada à l’international, de créer des emplois et de vendre nos produits partout dans le monde. Nous devons faire connaître les créateurs des communautés autochtones, noires et racisées. Il en découlera pour le pays une richesse, à la fois culturelle et commerciale, extraordinaire.
Si nous travaillons ensemble avec un objectif d’expansion, nous aurons de bonnes chances d’accéder à davantage de ressources, parce que nous serons en mesure de démontrer les bénéfices liés à l’investissement, quelle que soit la source du financement.
Au cours de la dernière année, le FMC a mis sa stratégie en matière d’équité et d’inclusion au centre de ses priorités. En tant qu’organisme de financement et en tant que leader, comment s’assurer que les changements seront systémiques?
Nous avons certainement un rôle majeur à jouer là-dedans, mais je ne crois pas que nous y parviendrons seuls. Les barrières existent et le racisme systémique est bien réel. Nous le savons. Notre équipe de direction est composée exclusivement de femmes blanches. À mon avis, il est tout particulièrement important que des gens issus des communautés sous-représentées aient des postes décisionnels au FMC. Le travail que nous faisons depuis cinq ans auprès du Bureau de l’écran autochtone pour soutenir leur objectif de souveraineté narrative à l’écran témoigne de notre sérieux en ce sens.
Il faut également qu’un changement se produise dans nos esprits, pas uniquement sur papier et pas uniquement au niveau stratégique. Nous avons tous tant de préjugés inconscients; le changement doit aussi se produire au niveau individuel.
Le fait est que, depuis bon nombre d’années, les postes décisionnels dans l’industrie médiatique à l’échelle nationale ont surtout été occupés par des personnes blanches d’un certain âge. Cela n’offre pas un portrait représentatif de la population du pays ou de la planète. Nos institutions culturelles sont des institutions coloniales, et nous devons analyser et démanteler les préjugés encastrés dans leur structure.
À mon avis, garder tout cela en tête et avancer vers le changement individuel et systémique va provoquer des avancées et faire naître des opportunités pour toute l’industrie.
Compte tenu de l’incertitude liée au contexte politique actuel, et plus particulièrement en ce qui concerne le projet de loi C-10, de quelle façon le FMC peut-il appliquer certains des changements les plus pressants pour l’industrie ? Quelles seront les étapes à suivre pour le FMC au cours des 6 à 12 prochains mois ?
Nous discutons déjà de ce que nous pourrions commencer à mettre en branle sans égard aux modifications possiblement apportées aux lois et règlements en place. Il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire dès maintenant.
Pour nous, la première étape consiste à analyser tout ce que nous avons entendu pendant la consultation. Nous en discuterons ensuite avec le ministère du Patrimoine canadien, car l’architecture de notre programme et les pouvoirs dont nous disposons au FMC seront précisés dans l’accord de contribution. Plus celui-ci sera flexible, plus nous aurons de marge de manœuvre et plus nous pourrons agir rapidement. Enfin, à l’automne nous communiquerons à nouveau avec les intervenants de l’industrie pour poursuivre nos conversations sur des thèmes précis. Ce ne sera pas un processus aussi ouvert que les consultations qui viennent d’avoir lieu, mais les gens pourrons toujours nous joindre pour nous faire connaître leur opinion. Nous sommes optimistes et nous croyons que certaines modifications seront appliquées en 2022.
Il faudra quelques années pour mettre tous les changements en pratique, mais nous espérons faire un bon bout de chemin en 2022 et avoir une bonne idée de l’état des choses d’ici à 2023.