Séries « verticales » à l’horizon  

Séries verticales, microdrames, microséries… Peu importe leur nom, ces courtes vidéos de fiction conçues pour être visionnées sur un cellulaire ont le vent dans les voiles au Canada.  

En septembre 2023, le cinéaste italo-canadien Dom Cutrupi regardait pour la toute première fois une « microsérie ». « Un producteur m’a montré un épisode, et j’ai immédiatement pensé : ‘Non, ce n’est pas pour moi’ », se souvient-il.  

Fraîchement sorti du tournage de son deuxième long métrage, Dom Cutrupi trouvait l’idée de tourner en format 9 :16 pour le cellulaire, avec des épisodes ultras courts de 60 à 90 secondes, franchement… « merdique ».  

Mais plus il en apprenait sur cette nouvelle façon de raconter des histoires et sur les possibilités d’emploi pour l’industrie cinématographique de Vancouver, plus il s’y intéressait. Il faut dire qu’à la même période, le milieu se remettait péniblement des effets de la covid et de la grève des scénaristes de télévision et de cinéma d’Hollywood.  

« Je dis souvent que je préfère être dans l’avion qui décolle que dans celui qui s’écrase », plaisante-t-il.  

C’est ainsi qu’en juin 2024, Dom Cutrupi était engagé pour réaliser sa première microsérie, My Poor Ex-Wife Is a Heiress, avec le même producteur qui lui avait fait découvrir le genre. Depuis, il a enchaîné les projets, dont Crashing Into My Magnate Ex et The Billionaire’s Second Wife, décrochant récemment sa 19ᵉ série « verticale ».  

« C’est un plaisir depuis le premier jour, confie-t-il. J’adore cette industrie. »  

Domenico Cutrupi sur un plateau de tournage. Photo: Oscar Leo Photography

Comme des mini romans-savons 

Les séries verticales se comparent à des romans-savons (soap operas) : des intrigues dramatiques avec de nombreux rebondissements autour de clichés, comme une jeune fille qui tombe amoureuse d’un milliardaire plus âgé, ou quelqu’un en conflit avec sa famille. 

« J’aime les défis, explique le réalisateur, scénariste et producteur. Comment rendre un moment ridicule ou une cascade en quelque chose de regardable et de divertissant? »  

Depuis son incursion dans l’univers des microdrames, Dom Cutrupi a vu l’industrie évoluer. « L’an dernier, certains scénarios étaient incohérents, par exemple on ne comprenait pas pourquoi tel personnage arrivait à tel moment. Mais maintenant, ça s’enchaîne beaucoup plus naturellement. La cinématographie et le jeu des acteurs se sont nettement améliorés. On travaille tous pour que ça aille encore mieux », croit-il.  

Une industrie née en Chine, adoptée au Canada  

Le tournage de séries verticales a commencé au Canada il y a deux ans, mais le format est apparu en Chine en 2018 et a explosé pendant la pandémie. Alors que Quibi, une plateforme américaine de contenus verticaux lancée en avril 2020, n’a pas trouvé son public et a fermé six mois plus tard, des plateformes chinoises comme ShortMax, ReelShort et DramaBox prospèrent.  

Ces applications pour téléphone intelligent permettent de regarder des séries verticales n’importe où et sont téléchargeables sur les magasins d’applications ou directement sur les sites web des plateformes. Certaines séries se retrouvent également sur Instagram, YouTube ou Daily Motion.  

Des données impressionnantes 

Les plateformes verticales se sont rapidement mises à commander des productions. En 2023, elles comptaient plus de 28 millions de téléchargements, soit une croissance de 268% en un an. Les revenus mondiaux des microdrames devraient atteindre 9,4 milliards de dollars américains en 2025, et la Chine seule compte plus de 830 millions de spectateurs.  

Avec cette expansion, les producteurs chinois ont commencé à adapter leurs microdrames les plus populaires pour les publics anglophones, traduisant les scénarios et recréant les séries avec des acteurs nord-américains.  

Selon Jimmy Wu, producteur à Vancouver, une « croissance exponentielle » attend les séries verticales. C’est pourquoi il a lancé sa société, Vertical Film Vancouver, en mai 2024 et qu’il s’investit désormais à temps plein dans ce format émergent. « J’ai produit plus de 21 séries verticales à ce jour », dit-il.  

Il décrit le budget de ces productions comme plus modeste — un dixième de celui d’un film de série B « de mauvaise qualité ». Les tournages se font aussi à un rythme beaucoup plus rapide : ils durent seulement de 7 à 10 jours, contre environ 2 semaines pour un film de série B. Jimmy Wu explique qu’ils tournent environ 12 pages de scénario par jour, au lieu de la moyenne de 4 à 8 pages pour un film à petit budget. 

Le plateau de tournage d'une production de Vertical Film Vancouver. Photo: Section Cinema Inc.

En juillet 2025, le Vancouver Sun estimait que 20 productions verticales étaient tournées chaque mois dans la ville, créant des centaines d’emplois pour les acteurs et les techniciens.  

« Une nouvelle industrie est en train de naître, explique Jimmy Wu. Des emplois se créent et ça ouvre de nouvelles possibilités de carrière. J’ai travaillé dans l’industrie télévisuelle [traditionnelle], mais il n’y avait pas assez de travail. Je l’ai donc complètement laissé tomber pour me consacrer aux formats verticaux. J’imagine que bien d’autres ont fait la même chose. » 

Le modèle de revenus des plateformes de microdrames diffère légèrement de celui des grands services de diffusion en continu. Le public peut généralement regarder quelques épisodes gratuitement, puis payer pour avoir accès au reste de la série. Les spectateurs peuvent aussi gagner des crédits en regardant des publicités, et les commandites de marques viennent s’ajouter aux revenus. 

Plaidoyer pour des tournages éthiques  

La croissance rapide des formats verticaux, combinée à de petits budgets et à un rythme de production accéléré, peut mener à des environnements de travail moins favorables. Cette situation a poussé la directrice de distribution Monika Dalman à fonder, en juin 2025, la Vertical Film & Short Series Alliance (VFSSA) afin de garantir des conditions de tournage équitables et éthiques sur les plateaux de productions verticales. 

« J’ai commencé à sensibiliser plus ouvertement les acteurs à leurs droits en tant qu’artistes non syndiqués et à leur fournir des ressources s’ils se retrouvent dans une situation qui enfreint les codes du travail ou les droits de la personne », explique-t-elle.  

La VFSSA est en train de créer un sceau, le « V Seal », qui, selon son site web, atteste que les productions fonctionnent « de manière conforme, sécuritaire et professionnelle, en respectant des normes claires pour les équipes, les artistes, la conformité et la transparence ». 

En juillet 2025, Monika Dalman a aidé le syndicat représentant les acteurs de la Colombie-Britannique à conclure sa première entente avec une série verticale. Même si c’est le signe que plus de productions pourraient se syndiquer, Monika Dalman demeure réaliste : elle serait surprise que même la moitié des productions le deviennent, ce qui rend le rôle des groupes de défense comme la VFSSA d’autant plus essentiel. 

Les séries verticales s’étendent au pays  

Même si Vancouver est l’épicentre canadien de ce format, des productions voient également le jour à Toronto, et même à l’Île-du-Prince-Édouard, où Monika Dalman dit avoir un client qui a déjà réalisé plusieurs séries verticales. 

Elle prévoit d’ailleurs que les grands réseaux entreront bientôt dans cet univers. Elle cite en exemple le Disney Accelerator, un programme d’incubation dans lequel Disney collabore avec des entreprises émergentes pour développer de nouvelles émissions et de nouveaux produits. En 2025, DramaBox faisait partie des quatre entreprises sélectionnées. Dans ce cadre, des cinéastes sont accompagnés pour apprendre à créer des formats verticaux. Cette collaboration pourrait mener Disney à produire ces histoires et à investir dans DramaBox. 

Jimmy Wu soutient que les entreprises de diffusion en continu « sont déjà dans le jeu [du format vertical], en train de tester le terrain ».  

Selon lui, l’avenir des séries verticales est directement lié au déclin de la télévision traditionnelle : « Les jeunes ne regardent pratiquement plus la télé par câble, dit-il. Il y a beaucoup trop de restrictions, alors qu’on peut simplement aller sur YouTube et regarder ce qu’on veut, quand on veut. » 


Andrea Yu
Andrea Yu est une journaliste indépendante basée à Toronto. En tant que généraliste, elle écrit sur une variété de sujets (mode de vie, affaires, santé, immobilier, voyages) pour des publications telles que Toronto Life, Maclean's et The Globe and Mail. Elle est titulaire d'une maîtrise en journalisme de l'université de Hong Kong.
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