Shield Five : Comment concevoir une série pour Instagram?

La popularité des réseaux sociaux peut-elle mener à une conception nouvelle de l’idée même de la série Web? Pour l’heure, il faut voir du côté d’Instagram et de Shield Five, un thriller épisodique expressément conçu pour le tout petit écran. Rencontre avec le réalisateur Anthony Wilcox et le scénariste Adam Dewar au festival Série Séries, un important forum de réflexion sur la création des séries européennes qui se déroulait du 29 juin au 1er juillet 2016 à Fontainebleau.

Une expérience

Shield Five fut lancé en février dernier sur Instagram, à raison d’un épisode par jour (pour un total de 28 jours) à 17 heures précises (TMG). Le héros est un chauffeur à l’emploi d’une entreprise de sécurité qui est accusé d’être impliqué dans un vol de diamants et la mort d’un collègue. La série le suit en fuite, traqué par la police.

C’est un scénario de thriller pour le cinéma, inspiré du film Le Fugitif, qui vise à subvertir les clichés attendus d’une série Web selon Anthony Wilcox : « Nous voulions dépasser les attentes, comme les gros plans, et faire du film de genre avec des effets spéciaux, des explosions en CGI et des poursuites. C’était aussi une façon de reconnaître que les gens regardent beaucoup de films à grand spectacle sur leurs téléphones ou tablettes et même leur donner envie de voir Shield Five sur grand écran ».  D’où le choix du format 16:9 au lieu du traditionnel format carré d’Instagram.

Issu du cinéma traditionnel et ayant travaillé comme réalisateur adjoint sur des films de qualité comme Layer CakeBright StarHot Fuzz et The Deep Blue Sea, Wilcox livre un spectacle très efficace, mais considère avant tout Shield Five comme une expérimentation : « C’est difficile de diffuser un court métrage; il fallait donc le “sérialiser” et utiliser une plateforme comme Instagram permettant d’atteindre un large public. »

La série se décline en épisodes de 15 secondes, Instagram oblige. Cependant, cette limitation confère des qualités inattendues : on les regarde en boucle, comme un long GIF d’excellente qualité. « À la première vision, l’effet de boucle donne l’illusion de ne pas savoir quand l’épisode finit ou même qu’il est plus long », avance Wilcox.

Shield Five n’est peut-être pas pionnière sur la plate-forme – InstaMiniSeries (27 100 abonnés) en publie depuis novembre 2014 dont récemment –, mais la série a rapidement attiré 29 600 abonnés, pendus aux rebondissements et informations supplémentaires distillés par des photos d’articles de journaux, des SMS, des courriels ou des dossiers sur les personnages entre les épisodes.

Le premier épisode de Shield Five :

https://www.instagram.com/p/BBQFI-rupmS/?taken-by=shieldfive

L’interaction avant tout

Le scénariste Adam Dewar explique : « Nous avons inclus ces images complémentaires, car Instagram est bien sûr un réseau pour photos, mais aussi pour combler les blancs et donner des éléments évidents (noms, professions, lieux) que vous n’avez pas le temps de glisser dans un épisode de 15 secondes. Ces images ajoutaient au mystère et permettaient au public de jouer avec l’intrigue, comme un puzzle. » De fait, regarder les épisodes de bout en bout sans ces indices rend le film difficilement compréhensible.

Qui dit réseau social dit interaction : « Il y a le premier niveau de l’intrigue, explique Wilcox. Avec des épisodes tournés du point de vue du téléphone portable d’un personnage ou en dashcam (caméra installée sur la planche de bord d’une voiture pour enregistrer ce que voit le conducteur). On peut en voir des milliers d’heures sur YouTube et c’est fascinant au bout d’un moment de voir ces objets ou personnages entrer et sortir du cadre sans son. Le spectateur peut examiner l’image pour repérer un détail qui manque. »

Mais les commentaires et les « J’aime » furent l’épreuve déterminante. « On ne savait pas trop à quoi s’attendre, mais le but premier était de répondre aux questions et de tromper un peu les spectateurs. Ils ont commencé à élaborer des théories de complot sur tel personnage, auxquelles on n’avait jamais pensé », renchérit Dewar. « Ayant tout tourné à l’avance, on ne pouvait bien sûr pas intégrer certaines idées ou suggestions dans le scénario. Par contre, on a été impressionné par l’implication des spectateurs : on avait totalement oublié que certains, en Amérique du Sud ou en Chine, pouvaient trouver l’accent anglais et les dialogues incompréhensibles. Il n’y avait pas de place à l’écran pour les sous-titres. Mais avant même qu’on ne pense à retranscrire les dialogues dans les commentaires, certains spectateurs l’ont spontanément fait », conclut Wilcox.

La mesure du succès

Shield Five fut tourné au moyen d’un appareil photo Canon C300 en quatre jours à Londres en octobre 2015, mais le processus le plus long fut l’écriture et la pré-production. « On a travaillé avec Adam pendant dix mois à partir de Noël 2014 pour avoir un scénario prêt à tourner. Il aurait été désastreux d’improviser sur le tournage », se souvient Wilcox.

Et comment mesure-t-il le succès de la série? « Par le nombre d’abonnés sur Instagram, le fait d’être nommé aux Webby Awards ou invité au festival Série Séries en France, pas par l’argent, c’est sûr. La série a coûté 15 000 livres sterling, de quoi payer l’équipement et la nourriture, mais pas les acteurs. On aurait pu envisager un placement de produit pour gonfler le budget, mais je voulais avant tout raconter une histoire. Un commentaire d’un utilisateur sur Instagram disait assez tôt : “J’aime la série, j’espère juste que ce n’est pas une publicité pour une voiture.” »

Pour Wilcox et Dewar, l’important est qu’on parle de Shield FIve. Ils en tirent les leçons. D’affirmer Wilcox : « Je crois que 28 épisodes, c’était trop. Entre 15 et 20 aurait été un nombre idéal, car on a atteint un pic d’abonnés autour des dix premiers épisodes sans pouvoir vraiment le dépasser. Par contre, je ne regrette pas qu’on les ait diffusés un par un et non en un bloc comme on me l’avait conseillé. Un épisode par jour permet de créer une progression. Les spectateurs semblaient s’attacher à tel personnage. C’est le genre d’investissement qu’on n’aurait pas pu avoir en rafale. »

Dans le détail, au moment de la rédaction de ce billet, le premier épisode (mis en ligne le 1er février 2016) a cumulé 40 100 visionnements, le dixième (le 10 février 2016), 13 400 vues et le dernier (le 28 février 2016), 3 993 vues.

Quid d’une saison 2? « On réfléchit à un spin-off, avec certains personnages, mais quelque chose de plus grand, pas forcément sur Instagram. Quoique je serais excité de faire quelque chose à nouveau en ligne : il y a cette liberté de contourner les intermédiaires, les gens de la télévision par exemple, mais, en même temps, j’ai aimé les limitations d’Instagram, car on a pu en jouer. Je dois juste un peu mieux étudier Periscope ou Snapchat. »


Léo Soesanto
Léo Soesanto est journaliste et programmateur de festivals. Il est directeur éditorial de Soap, jeune revue sur les séries télé, directeur de la programmation au Festival international du film indépendant de Bordeaux, programmateur de la section séries télé de l’International Film Festival Rotterdam et à la tête du Comité court métrage de la semaine de la Critique du Festival de Cannes.
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