TOD, fans et alliances : le nouvel essor de la distribution alternative

À l’ombre des géants Netflix, Amazon Prime Video et Hulu se déploient un nombre croissant d’outils et de services permettant aux réalisateurs et aux producteurs indépendants de contrôler davantage la destinée commerciale de leurs oeuvres. Ceux-ci réinventent l’approche ‘directement aux fans’ et rêvent de jouer dans la cour des grands.

Les productions indépendantes sont de plus en plus nombreuses à naitre sous l’œil du public à l’écart des sentiers balisés par les grands studios et leur force de frappe publicitaire massive, que ce soit par le recours au sociofinancement ou aux campagnes virales.

Jadis ignorée par les créateurs reconnus et les forces dominantes de l’industrie du divertissement, l’auto-distribution connait un regain de vie grâce à des modèles d’exploitation repensés, l’arrivée de nouvelles solutions technologiques et le décloisonnement des pratiques de sortie privilégiant la salle sur les autres fenêtres.

TOD : projections sur demande

Gathr est l’un des pionniers du service de projection-sur-demande (Theatrical-on-demand). Depuis 2011, la compagnie californienne collabore avec plus de 3 000 salles des réseaux Regal, AMC, Carmike, Cinemark et Marcus afin de permettre aux communautés décentralisées d’avoir accès à des documentaires et des films autour des thématiques sociales de l’heure, tels que Girl Rising, le 4e documentaire le plus lucratif de 2013, ainsi que Awake: The Life of Yogananda, qui a généré des revenus de 1,4 M$ US.

Offert initialement aux ayant-droits, Gathr s’est lancé par la suite dans l’acquisition et la distribution de films, puis a mis sur pied en octobre 2016 une fondation recueillant les dons des spectateurs qu’elle reverse aux diverses organisations à but non-lucratif impliquées dans les causes défendues par les films.

La gestion de ces projections sur demande incite plusieurs créateurs à accompagner leur film à travers le pays à la manière d’une tournée rock, toujours motivés par la création d’un lien de proximité et d’une fidélisation plus profonde avec leur auditoire, sans avoir à défrayer les services d’un publiciste à l’échelle nationale.

Dans certains cas, comme celui de la comédie Hits, le réalisateur-producteur David Cross a profité de sa participation au Festival de Sundance pour lancer une campagne de sociofinancement sur la plateforme Kickstarter pour boucler les frais d’opération d’une cinquantaine de de projections itinérantes. Hits est également devenu en 2015 le premier film pouvant être visionné à prix libre sur BitTorrent Bundle.

Marketing analytique et salles : contrer les algorithmes de recommandation

Aux États-Unis et au Canada, des firmes comme Bond Strategy & Influence ont mis au point des services de développement d’auditoire, de planification de diffusion multiplateforme et de diversification de revenus destinés aux créateurs indépendants désireux de contourner les silos de la distribution traditionnelle en formatant des stratégies d’exploitation taillés sur mesure au profil des films et de leur auditoire cible.

Des produits dérivés aux marchés institutionnels en passant par les événements exclusifs commandités par d’importants partenaires, Bond n’hésite pas à adapter les formules employées par les majors pour le compte de projets plus modestes et nichés comme Particle Fever et Deep Web.

« Nous croyons toujours à la présence de nos films en salles en complément de l’exploitation en ligne, a confirmé la chef des opérations Elizabeth Sheldon lors de l’atelier SODEC_Lab Distribution 360, tenu en novembre dernier à Montréal. C’est important pour rejoindre les spectateurs potentiels par-delà les algorithmes de recommandation de sites comme Netflix, qui tendent à privilégier leurs contenus originaux. »

Junun de Paul Thomas Anderson, l’une des premières acquisitions en primeur sur Mubi

Bond a inauguré à son tour au MIPCOM 2016 ses activités d’acquisition et de ventes de documentaires pour le marché international, à l’instar de MUBI (100 000 abonnés), la plateforme de SVOD spécialisée dans le cinéma d’auteur qui a démarré des activités de production et d’exploitation pour stimuler son offre de contenus exclusifs, et FilmStruck, une SVOD vouée aux classiques du cinéma et la création de contenus d’accompagnement originaux lancée conjointement par Turner Classic Movies (TCM) et The Criterion Collection à la fin de 2016.

Des plateformes SVOD… à la demande

À l’instar des consommateurs pouvant choisir la plateforme de visionnage à la demande, les ayants-droits en cinéma, contenus web et téléséries ont maintenant à leur disposition de nouveaux outils et services leur permettant de créer et opérer leur propre plateforme ou chaine de VOD irriguée par leur catalogue, dans le sillon de YouTube Red, l’expérience de SVOD de Google ayant obtenu des résultats mitigés à ce jour.

Des opérateurs tels que Pivotshare – à travers laquelle la série Excellent Adventures a encaissé plus de revenus dans les premières 24 heures suivant sa mise en ligne qu’après 12 mois sur YouTube – et les solutions en marque blanche ViewLift (rachetée par la plateforme SVOD et distributeur Snagfilms en avril 2016) et VHX (passée sous le giron de Vimeo l’an dernier) – souhaitent convaincre autant les producteurs que les marques des bénéfices du modèle de la SVOD à la carte, capable de transformer leur auditoire en abonnés payants fidèles.

Leur stratégie est centrée sur l’investissement dans de la programmation originale en collaboration avec les talents actifs sur la plateforme, une incitation aux producteurs de contenus à concevoir leurs propres formats épisodiques et les mettre en ligne sur une base régulière afin de tabler sur les nouvelles habitudes de visionnage en rafale que les abonnés ont développé auprès du Big Three Netflix-Amazon-Hulu, et la bonification leur interface pour promouvoir la fidélisation et les interactions sociales entre les abonnés.

Vimeo voit grand

Vimeo, qui prévoit lancer un service SVOD à une fraction du coût d’acquisition de contenus de ses concurrents, a également signé une entente de partenariat pour proposer les contenus de Lionsgate (et sa nouvelle acquisition Starz) à la location et au téléchargement afin de concurrencer iTunes, en plus d’investir davantage dans ses production signées Vimeo Originals, notamment de nouvelles webséries et son premier long métrage documentaire, motivé par le succès de sa comédie de situations High Maintenance, qui connait une seconde vie sur HBO Now.

Du sociofinancement au co-investissement en production

Les principales plateformes de sociofinancement, déjà largement investies par les créateurs du web et du cinéma, ont franchi à leur tour une nouvelle étape de leur croissance en 2016 en développant des partenariats stratégiques avec leurs porteurs de projets les plus en vue.

Plateforme préférée d’une dizaine de milliers de cinéastes depuis son lancement en 2008 au Festival de Sundance, Indiegogo permet également depuis 2015 aux porteurs de projets ayant atteint leurs objectifs de financement d’accepter les contributions des donateurs au-delà de leur campagne initiale via son service In Demand, tout en leur donnant accès à un fonds d’accompagnement de 1M$ soutenu par Vimeo en échange de leur distribution exclusive sur leur plateforme Vimeo On Demand.

Indiegogo, qui a contribué aux campagnes de sociofinancement de la websérie finaliste aux Emmy Her Story et du phénomène Hardcore Henry, le premier film d’action entièrement réalisé à la première personne (et dont les droits ont été acquis par STX pour la somme de 10 M$ US), offrira aux projets documentaires en vitrine sur sa plateforme des services de soutien technique, logistique, financier et de distribution numérique offerts par Warrior Poets, la société de production de Morgan Spurlock (Supersize Me), qui s’engagera à titre de producteur exécutif sur les projets sélectionnés.

De son côté, la plateforme de SVOD pour créateurs indépendants Fandor, qui reverse la moitié de ses revenus à ses créateurs-partenaires, a mis sur pied Fix Shorts. Grâce a cette initiative, Fandor se constitue un catalogue de contenus originaux exclusifs en investissant la moitié des montants recherchés par les porteurs de courts métrages sélectionnés.

Et 2017?

Les créateurs de contenus vidéo doivent-ils s’attendre à une année aussi mouvementée que le fut 2016 ?

En 2017, la firme Ostmodern prévoit que le marché de la VOD connaîtra une importante évolution, notamment par l’importance accordée à la ligne éditoriale des plateformes, la valorisation des auditoires de niche, mais surtout une plus grande volonté des ayant-droits de s’émanciper des royautés à la baisse proposées par les intermédiaires en s’adressant directement aux auditoires.

Il s’agit là d’une excellente nouvelle pour les ayants-droits qui, avec une bonne dose de planification, d’efforts et d’audace, voient aujourd’hui plus que jamais des opportunités de revenus complémentaires, un pouvoir de décision accru, mais surtout une valeur ajoutée appréciable en termes d’accès aux fans et aux données d’impact, sans doute l’aspect le plus attrayant mis de l’avant par ces nouveaux modes de distribution.


Charles Stéphane Roy
Charles Stéphane Roy est producteur multiplateforme et chargé de l’innovation à La maison de prod depuis 2013. Il fut auparavant rédacteur en chef du quotidien Qui fait Quoi, puis réalisa des mandats d’analyse stratégique pour l’Observatoire du documentaire du Québec et le Groupe Évolumédia. Ses projets, qui intègrent filmtech et modèles d’affaires innovants, ont été sélectionnés à Cannes NEXT, Cross Video Days et l’accélérateur Storytek, en plus de se mériter le POV Hackathon Award et le Prix HackXplor Liège TV5 Monde.
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