Une cartographie de l’univers des médias avec evan shapiro a sxsw
Depuis août 2020, le cartographe Evan Shapiro développe une constellation de données afin de nous aider à visualiser et comprendre l’industrie médiatique actuelle.
«J’enseigne l’univers médiatique en temps réel», a résumé le créateur de cartes au public du festival SXSW.
Professeur d’université, M. Shapiro a voulu mettre l’industrie médiatique en image, en illustrant «tous les combattants au front dans la guerre à l’attention, et les ressources qu’ils injectent dans cette bataille».
D’Accenture à AT&T et Disney+, de NVIDIA à Netflix, d’OnlyFans à Twitter ou Roblox, chaque planète de la galaxie de Shapiro représente l’un des joueurs qui se disputent les mêmes abonné·es, les mêmes consommateur·trices et le même argent, à travers les divers médias et plateformes.
Il en résulte un aperçu d’un cosmos de communication mouvant et en pleine expansion.
Selon l’actualité, les soubresauts de l’économie et les fusions qui ont lieu chaque semaine, ces planètes «influencent le rayonnement et la force gravitationnelle de tout l’écosystème».
Lorsque l’on se penche sur cette carte, on remarque immédiatement la taille importante, en comparaison avec le reste de l’univers, de ce que le créateur nomme «les Étoiles de la mort multibillionaires» : Apple, Amazon, Google, Microsoft et la société anciennement connue sous le nom de Facebook.
Les Étoiles de la mort prennent manifestement beaucoup d’espace dans cet univers et l’industrie est bien consciente de leur force.
Mais Shapiro est d’avis que le vent tourne.
Trop grosses pour s’éteindre?
Pour la première fois depuis qu’Evan Shapiro a commencé à travailler sur sa carte, toutes les Étoiles de mort ont perdu du terrain durant le premier trimestre de l’année 2022.
«C’est un désastre, toutes les actions ont reculé», a-t-il déclaré au public de SXSW, mentionnant la récente débandade d’Apple. «Apple a perdu [400 milliards de dollars] depuis le début de l’année, ce qui représente le double de la valeur totale de Netflix, et, soit dit en passant, ça ne dérange personne là-bas.»
Cependant, Shapiro ne croit pas que l’ampleur relative de ces joueurs fera automatiquement d’eux les gagnants de la guerre médiatique. Il cite l’exemple de Meta: il y a un an, la société valait un billion de dollars, mais elle a perdu la moitié de sa capitalisation boursière depuis.
«Elle a perdu. C’est fini. Soit Meta sera mise à l’épreuve par le gouvernement, soit elle mourra d’elle-même. Son chemin n’est pas viable, à moins qu’elle ne trouve un produit d’abonnement — c’est d’ailleurs la raison pour laquelle elle se déplace si intensivement vers le métavers.»
Sans mentionner toutes les nouvelles planètes qui apparaissent: le jeu vidéo, le web 3.0 et d’autres entreprises de l’omnivers à source ouverte génèrent actuellement de trois à quatre fois plus de revenus que les entreprises cinématographiques présentes sur la carte.
Toutefois, «si j’avais à miser sur un survivant parmi les médias traditionnels, ce serait Disney, puisque c’est celui [AL1] ayant les activités les plus diversifiées» et qu’il n’a pas besoin de vendre des abonnements pour survivre.
De la possession des droits sur le bon vieux Winnie l’ourson [AL2] à une récente tentative d’obtenir les droits de la ligue indienne de cricket (la Premier Cricket League, qui vaut autant que la LNH) avec Hotstar, la diversification de Disney est au cœur de sa capacité d’influence et de sa durabilité, a affirmé le présentateur.
En fin de compte, «la grosseur compte. Les Étoiles de la mort peuvent faire des investissements avec lesquels Netflix ne peut rivaliser, car elles ont d’autres affaires qui ne sont pas directement reliées aux activités que vous associez à cette carte. »
Quatre tendances qui transforment l’univers médiatique
Evan Shapiro a identifié quatre éléments qui changeront considérablement sa carte au cours des cinq prochaines années.
1. Au premier rang, bien sûr, les Étoiles de la mort.
«Tout ce qui se passera sur cette carte sera dû à ce qu’elles feront ou à une réaction à leurs actions», a affirmé M. Shapiro.
Quelques exemples: Apple contrôle 60 % des ventes d’applications sur l’App Store aux États-Unis, en prenant une part des frais d’abonnement. Amazon vient de lancer son propre téléviseur, que les clients achèteront probablement… sur Amazon. «Non seulement ces entreprises influencent toutes les autres sur la carte, elles les touchent directement aussi.»
2. Un autre élément sera l’équilibre.
«Ce n’est pas un bras de fer, ce n’est pas une bataille; c’est un équilibre entre la publicité (les ventes uniques) et les plans de revenus récurrents (les abonnements), a expliqué M. Shapiro. Il faut se demander: «Qui peut faire le meilleur mélange des deux?»
Evan Shapiro a le sentiment qu’Amazon va tirer son épingle du jeu. «Elle a le plus grand nombre d’abonnements de l’histoire de l’humanité, en plus d’un atout qu’aucun des services de vidéo sur abonnement ne possède: un taux de désabonnement quasi nul. Et la plateforme publicitaire ayant la plus forte croissance sur Terre.»
«Amazon n’a peut-être pas la meilleure bibliothèque de contenu, mais sa plateforme marketing a été conçue pour vendre des choses, a-t-il observé. Elle possède le plus grand nombre d’abonnements, la meilleure stratégie circulaire de croissance [AL3] et un générateur de revenus constants», ce qui permet au géant d’expérimenter.
3. Le troisième élément est la dominance démographique.
Au cours des cinq prochaines années, le groupe dominant de l’industrie passera des baby-boomers et de la génération X, aux générations Z, Y et A. Tenez-vous prêts à entrer dans une toute nouvelle ère médiatique.
Prenez par exemple Roblox, un système et une plateforme de création de jeux en ligne qui permet aux utilisateurs et utilisatrices de programmer des jeux réalisés par d’autres et d’y jouer. «Ce n’est pas un jeu, c’est une arcade, a illustré Evan Shapiro. C’est un produit entièrement influencé par la génération Z et la génération A.»
Les habitudes de consommation des prochaines générations, les médias qu’elles fréquentent et leur place dans l’industrie médiatique sont destinés à transformer l’industrie, croit M. Shapiro. Il prédit que les choses changeront radicalement lorsque ces générations prendront les rênes.
«Les gens de ces générations auront une influence non seulement comme consommateur·trices, mais aussi comme propriétaires d’entreprises, patron·nes et directeur·trices de programmations… Ce sont deux générations que nous ne comprenons pas si bien qui décideront qui racontera les histoires.»
4. Finalement, l’économie des créateur·trices rivalisera avec le contenu des sociétés.
Qui se souvient lorsque la bataille se passait entre la télédiffusion et le câble? Entre la télévision et la diffusion en continu? D’après M. Shapiro, aujourd’hui, ça se passe entre les grandes sociétés et les créateurs et créatrices de contenu.
«Au bout de cinq ans, l’économie des créateur·trices sera sur un pied d’égalité avec le contenu des sociétés, comme c’est maintenant le cas pour la diffusion en continu et la télévision», a-t-il prédit.
La différence entre le web 2.0 et le web 3.0 tient essentiellement au fait que l’artiste reçoit plus d’argent, a-t-il ajouté, et c’est pourquoi les plateformes de créateur·trices sont en expansion. Pensons à Patreon, Substack, OnlyFans. TikTok, les jetons non fongibles (NFT)…
«L’an dernier, en 2021, pour la première fois, les créateurs et créatrices individuels de contenu pouvaient enregistrer un revenu de classe moyenne dans l’économie de la création, a-t-il ajouté. Avant, c’était le 1% qui gagnait tout l’argent imaginable et les autres ne gagnaient rien, mais si la plateforme s’est enrichie, c’est parce que vous êtes le produit.»
Plus récemment, a-t-il dit, des humoristes animateurs de balado, comme Tim Dillon, et des vedettes TikTok, comme @charlidamelio, sont devenus des millionnaires avec de nombreuses cordes à leur arc[AL4] . «En ce moment, nous bifurquons vers les contenus des sociétés et des créateurs et créatrices, et, relativement bientôt, ils seront égaux. En tant que consommateur ou en tant qu’artiste, vous n’irez pas nécessairement vers l’un ou vers l’autre seulement. »
Alors, quelle est la meilleure façon d’entrer dans l’économie des créateur·trices?
«La clé est de trouver la meilleure avenue pour vous et de comprendre comment fonctionnent ces plateformes, de les étudier et de les approcher comme une entreprise, a expliqué Evan Shapiro. Pour survivre, vous devez devenir le PDG de vos propres affaires. Cela signifie de considérer votre art comme une entreprise et de chercher les canaux de diffusion qui ont le plus de sens pour vous.»