Winnipeg: carrefour tech en devenir

En mars 2016, la plupart des filtres qu’on pouvait trouver sur Snapchat étaient conçus à Winnipeg. Ce n’est pas une blague! La capitale du Manitoba est en train de devenir un véritable pôle technologique. Le Scoring Tech Talent de 2021, qui analyse le marché du travail en Amérique du Nord, place Winnipeg dans sa liste des 25 marchés en ascension (Next 25 Markets) grâce à sa croissance technologique ininterrompue des cinq dernières années (elle explose à 37%) et ses 18 800 emplois tech enregistrés en 2020.  

Les entreprises du secteur des médias interactifs numériques au Manitoba sont variées, et quantité d’entre elles font leur place sur le marché international. Geofilter Studio, fondée par Chris Schmidt, s’était spécialisée dans la création de filtres photo pour toutes sortes d’événements. «Des fêtes, des enterrements de vie de fille, mais aussi des événements d’entreprise, comme l’ouverture d’un café Starbucks, d’un restaurant McDonald’s ou encore un concert de Kanye West au Staples Centre: nommez l’événement, on y était», dit Schmidt, aujourd’hui PDG de Pluto Ventures. Son réseau social Parallel, généré par intelligence artificielle, relie les utilisateurs à d’autres personnes aux mensurations similaires afin qu’ils découvrent des vêtements qui leur conviendraient. «Avant, quand vous parliez à des membres de l’équipe produits de Coca-Cola, si vous leur disiez que vous étiez à Winnipeg, vous vous rendiez compte assez vite qu’ils ne savaient pas où c’était. Ils ne savaient même pas où se trouve le Manitoba!»  

Au cours de sa première année d’existence, Geofilter Studio a connu une croissance phénoménale de  24 000 %. L’entreprise a été vendue il y a deux ans. Schmidt, qui est né et qui a grandi à Winnipeg, cherche à créer et à bâtir des entreprises dans sa ville. Il attribue le succès de  Geofilter Studio au fait qu’il s’est trouvé au bon endroit au bon moment et qu’aucun investissement préalable n’a été nécessaire. L’argent gagné revenait directement à l’entreprise.

Filtre Snapchat réalisé pour Coca-Cola par Geofilter Studio. Courtoisie de Chris Schmidt

Selon la plus récente enquête de conjoncture industrielle des nouveaux médias du Manitoba effectuée en 2017, on compte dans la province 67 entreprises de médias interactifs numériques, dont l’incidence économique annuelle se chiffre à 190 millions $. Parmi les facteurs expliquant ce phénomène, on note le faible coût de la vie ainsi que les programmes collégiaux et universitaires qui ont suivi les exigences du marché. 

Mais la ville n’a pas toujours offert des perspectives aussi excitantes. Quand Noah Decter-Jackson, PDG et cofondateur de ComplexGames, a lancé son entreprise en 2001, le paysage tech de Winnipeg était relativement désert. «Il y avait bien quelques entreprises de développement de logiciels, mais on ne créait pas de jeux vidéo ici à l’époque. Tout était à faire», rappelle-t-il.

Au fil des ans, ComplexGames a collaboré avec de grandes compagnies bien connues: Sony, Zynga, Nickelodeon, Disney. Mais au cours des cinq dernières années, l’entreprise a décidé de miser sur elle-même. Noah Decter-Jackson offre une explication toute simple pour justifier cette décision audacieuse: l’équipe voulait donner vie à ses propres projets. «Nous travaillons à un jeu que nous avons créé au sein d’une franchise célèbre: Warhammer 40,000: Chaos Gate - Daemonhunters. Nous en avons fait l’annonce en juin, et nous travaillerons frénétiquement là-dessus jusqu’au lancement, l’an prochain.»

Warhammer 40,000: Chaos Gate – Daemonhunters. Courtoisie de ComplexGames

En 2018, Ubisoft, le géant français du jeu vidéo, s’est établi à Winnipeg, envoyant ainsi le signal clair que la ville avait le bassin de talents et les infrastructures nécessaires pour qu'une entreprise majeure dans le secteur des technologies puisse opérer. 

En 2019, le développeur de blockchain Dustin Brickwood s’est dit qu’il fallait améliorer le réseautage au sein de cette industrie en pleine croissance. «Je sentais qu’il n’y avait pas d’esprit de cohésion et que personne n’essayait de repousser les limites ou de soutenir ceux et celles qui pouvaient être tentés par le secteur des technologies, mais qui arrivaient tout juste dans cette industrie et qui cherchaient à communiquer avec les leaders», s’est-il souvenu. Il a fondé TechWPG, organisme à but non lucratif opéré par des bénévoles et qui travaille à mettre en valeur la talentueuse main-d'œuvre techno de Winnipeg. Dustin Brickwood s’est inspiré d’organismes torontois autour desquels il a gravité alors qu’il travaillait dans la Ville Reine, quelques années après avoir obtenu son diplôme universitaire, et dont il a beaucoup appris. À l’époque, il avait senti qu’il devrait sortir de Winnipeg pour poursuivre une carrière dans le secteur des technologies. Mais le marché a changé, et Dustin a pu rentrer chez lui, où il dirige sa propre start-up de blockchain.

«La demande [sur les marchés nord-américain et international] a été très forte, ce qui a forcé les investisseurs à sortir des grands centres, où tout était devenu trop cher, explique Noah Decter-Jackson. De plus, à cause de la pandémie, l’aspect local n’était plus aussi important. Mais même avant le début de la pandémie, nous avions le vent dans les voiles.»

«Des entreprises comme Bold Commerce, SkipTheDishes et Geofilter Studio montrent aux investisseurs américains que nous pouvons bâtir des entreprises du même calibre que celles qu’on trouve à Silicon Valley», ajoute Chris Schmidt. Et tous s’entendent pour dire que les établissements collégiaux et universitaires du Manitoba produisent une bonne main-d'œuvre, prête à intégrer le marché des technologies.

Toutefois, selon Dustin Brickwood, il manque toujours quelques morceaux au casse-tête. «Nous sommes mal servis en ce qui a trait au capital de risque. Beaucoup de start-ups doivent aller à l’extérieur du Manitoba pour chercher du financement. C’est une situation à laquelle nous devrons remédier au cours des 5 à 10 prochaines années.»

Chris Schmidt est enthousiaste, mais il est aussi réaliste. «Nous sommes derrière de grandes villes comme Toronto et Vancouver, mais nous plaçons nos pions de façon à créer un pôle technologique attrayant.»


Catherine Dulude
Avec plus d'une dizaine d'années d'expérience, Catherine a commencé sa carrière en journalisme avant de faire le saut en production audiovisuelle. En 2018, Catherine a décidé de créer sa petite entreprise, Ardoise&Co, afin de répondre aux besoins de l'industrie dans l'Ouest. Depuis, elle a contribué à plusieurs dizaines de projets, dans des rôles divers: recherche, écriture, montage, marketing numérique et découvrabilité.
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