Wynonna Earp : Vengeance depuis le purgatoire
Faire de la télévision au Canada requiert parfois beaucoup de patience et de persévérance. La production Wynonna Earp, basée sur la bande dessinée IDW de Beau Smith, en est un très bon exemple. Au Canada, la première saison de Wynonna Earp a été diffusée à CHCH, puis la série est déménagée à Space/CTV Sci-Fi Channel pour les trois saisons suivantes, tandis qu’aux États-Unis c’est Syfy qui a diffusé les quatre saisons. Une période d’instabilité financière chez IDW Media Holdings, dont la filiale IDW Entertainment produit la série avec SEVEN24 Films, a entraîné une interruption de deux ans après la troisième saison. En 2019, Cineflix Studios est devenu le coproducteur et le distributeur international de Wynonna Earp, puis Crave a pris le relais pour assurer une quatrième saison.
Malgré les embûches, les fans de Wynonna Earp ont eu la joie de voir la série remporter le People’s Choice Award, en 2018 et 2020, de la meilleure émission de science-fiction/série fantastique. La production a également remporté un prix Cogeco Fund Audience Choice Award lors de la cérémonie des Canadian Screen Awards en 2022, alors que les actrices Melanie Scrofano (2021), Katherine Barrell (2020) et Dominique Provost-Chalkley (2019) avaient chacune remporté un prix pour leur rôle dans la série les années précédentes. Grâce à ces récompenses récoltées au fil du temps ainsi qu’aux super fans de l’émission (les « Earpers », qui ont installé un panneau lumineux à Times Square à la fin du purgatoire de deux années qu’a connu la série), Wynonna Earp s’est taillé une réputation de production résiliente et adorée des fans. Le dernier épisode spécial de la série, Vengeance, a été diffusé pour la première fois le 13 septembre 2024 sur Tubi, alors que le projet audio, Tales from Purgatory, suivra le 17 octobre 2024 sur Audible.
Les fans improbables
Emily Andras, créatrice de l’émission, mais aussi scénariste et productrice, souligne la capacité des séries comme Wynonna Earp à rejoindre des auditoires généralement mal servis, dont les publics féminins et LGBTQIA2S+. « [Earp] a su toucher des gens qui ne se voient pas souvent représentés dans les séries appartenant à certains genres. Dans notre cas, un public plutôt inhabituel pour une série de science-fiction s’est approprié l’émission. » On a même assisté à l’organisation de congrès de fans dédiés. « Il y a des congrès Earp dans le monde entier. Il y en aura un à Calgary au début du mois d’octobre comme il y en a eu au Brésil, en Italie, à Los Angeles, à New York, à Columbus, partout en Amérique du Nord. C’est une communauté dont les membres se sont en quelque sorte trouvés les uns et les autres. Des amitiés sont nées au sein de la communauté de fans, il y a eu des mariages, des naissances, etc. »

« Nous, les artistes et membres de l’équipe, sommes très présents auprès de cette communauté. Je pense que cela fait partie de ce qui nous distingue, notre touche magique, explique Emily Andras à propos de la relation entre Wynonna Earp et les médias sociaux. Nous sommes très accessibles. Nous avions l’habitude de publier sur les plateformes en direct, lors de la diffusion de l’émission. Notre public sait qu’il peut nous parler, nous en demander plus. Nous avons de la chance qu’il se soit autant fait entendre. Les congrès de fans ont continué, même après la fin de l’émission, il y a trois ans. » Jordy Randall, producteur exécutif et cogestionnaire de SEVEN24, ajoute ceci : « [Les Earpers] sont habitués à ces périodes d’incertitude, mais ce qui est formidable, c’est qu’ils sont vraiment enthousiastes à l’idée d'avoir du nouveau matériel. C’est ça qui les motive, c’est davantage l’impatience que la colère à mon avis. »
Comme une odeur de vengeance
« La série reste typiquement canadienne, note Emily Andras à propos de Wynonna Earp, qui conserve ses caractéristiques proprement canadiennes malgré le changement de plateformes, américaines et canadiennes, en faveur de Tubi pour la diffusion de Vengeance. C’est une production entièrement canadienne... nous avons donc eu droit à des crédits d’impôt sans lesquels nous n’aurions pas pu réaliser la série. » Concernant l’incidence des changements de réseau de diffusion, elle ajoute ce qui suit : « C’était fou de passer d’une chaîne à une autre... Je pense que nous avons eu beaucoup de chance, parce que ces changements n’ont jamais vraiment changé la teneur, le ton ou le contenu de la série. Personne ne nous a jamais dit : ‘’Maintenant, il faut que ça se déroule dans l’espace’’ ou ‘’Il faut que ça se passe en Nouvelle-Écosse.’’ »
Madame Andras souligne que les gens de chez Tubi souhaitent un nouveau départ pour Vengeance. « Ils veulent que l’épisode permette d’attirer de nouveaux fans, donc il ne fallait pas que l’auditoire ait besoin d’un tableau rappelant toute la mythologie des quatre saisons de la série. »
« Tubi est le moteur qui a permis la réalisation de Vengeance, explique Jordy Randall à propos de l’absence de partenaire canadien pour la diffusion de l’émission. Nous devons respecter le fait que Tubi est accessible au Canada. Nous avons donc besoin d’un partenaire qui ne verra pas [Tubi] comme un concurrent ou qui sentira qu’il peut coexister de manière positive avec ce qui sera diffusé sur Tubi... En fin de compte, nous voulons nous assurer que les quatre saisons ainsi que l’épisode Vengeance seront accessibles pour tout le monde au Canada [dans le futur] et, nous l’espérons, de diverses façons. »

Audible au purgatoire
À propos de Tales from Purgatory, Jordy Randall raconte : « Je crois que l’idée du projet sur Audible a précédé les discussions que nous avons eues au sujet de Vengeance. Tales from Purgatory reprend l’action après la quatrième saison. Nous nous sommes dit que, tandis que nous essayions de trouver une façon de ramener Wynonna Earp à l’écran, c’était une belle occasion à saisir. C’est un heureux hasard qui fait qu’aujourd’hui nous avons Vengeance, mais aussi une toute nouvelle production sur Audible à laquelle les gens ne s’attendaient pas. »
En ce qui concerne l’avantage que procure le format audio, Randall souligne que « tout est possible sur le plan créatif. Pour la série télé, nous sommes limités par nos ressources et notre budget, nous ne pouvons pas tout faire et nous ne pouvons pas nous permettre tous les effets spéciaux… alors que pour Tales from Purgatory, les scénaristes pouvaient écrire tout ce qui leur passait par la tête sachant que cela n’aurait aucune incidence sur notre capacité de réalisation. »
L’héritage de la communauté des Earpers
Emily Andras est réaliste quant à la place de Wynonna Earp dans le paysage télévisuel. « Ce n’est un secret pour personne, l’offre télévisuelle est plus fragmentée que jamais, dit-elle. Je crois toutefois que les dirigeantes et dirigeants reconnaissent que de miser sur un public déjà conquis et désireux de vous voir produire plus de matériel est... rare, n’est-ce pas ? » Quant à savoir si le succès de Wynonna Earp : Vengeance pourrait déboucher sur une nouvelle saison, elle lance : « J’adorerais faire d’autres saisons de Earp si un public encore plus grand était au rendez-vous. Je continuerais volontiers à faire cette émission pendant les 30 prochaines années ! »
« Ce dont je suis la plus fière à propos de la série, explique Andras, c’est qu’elle représente selon moi une expérience typiquement canadienne, soit celle d’être les négligés. C’est un western fantastique, mais c’est surtout un western qui met en scène des héros et héroïnes qui sont habituellement sur les lignes de côté, soit des personnes racisées, des personnes queers, des personnes autochtones. Nous avons pris des individus qui sont généralement à l’écart, et nous en avons fait des héros. Comme je travaille dans l’ombre des États-Unis, le plus gigantesque marché du divertissement au monde, j’ai adopté le code du négligé pugnace. »