Rapport sur les tendances 2019 – On se prend la main
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→ Ce rapport est également disponible en espagnol: Informe de tendencias 2019 -Tomémonos de la mano.
Au fil des transformations technologiques, les certitudes passées tombent, mais elles laissent place à de nouvelles opportunités qui n’auraient probablement pas été envisageables sans ces bouleversements.
L’instabilité mène à l’expérimentation et à d’autres manières d’envisager la création et la diffusion de contenus. L’année 2018 a été marquée par l’évolution de notre relation à la technologie à travers divers événements.
L’innovation ne tient pas toujours à l’invention, mais aussi à l’adaptation à diverses transformations. Nous continuons donc de chercher une manière de cohabiter et de cocréer avec la machine dont nous pouvons difficilement nous passer. Si la lune de miel avec la Silicon Valley est bel et bien terminée, ses lendemains recèlent néanmoins une nouvelle lucidité dans l’utilisation de ses technologies.
Nous poursuivons donc notre relation ambivalente avec les divers écrans et appareils qui peuplent notre quotidien et qui continuent de nous confronter à nos contradictions. En effet, si nous nous préoccupons davantage de l’utilisation de nos données après une succession de scandales, nous demeurons néanmoins réfractaires au changement d’habitudes, imprégnés comme nous le sommes dans notre ère d’hyperconnectivité. Et si la saturation des écrans était plutôt la saturation d’un certain type d’utilisation?
La technologie a longtemps eu la réputation de nous diviser, mais certaines expérimentations laissent croire qu’elle peut aussi nous rassembler: l’expérience de la réalité virtuelle se vit aussi dans des lieux publics, les haut-parleurs intelligents nous racontent de plus en plus d’histoires interactives en famille, les produits ludoéducatifs sont de plus en plus présents dans divers lieux d’apprentissage. Les créateurs d’expériences interactives seront particulièrement choyés dans cette ère d’expérimentation.
Nouvelles alliances, nouvelles collaborations, nouvelles opportunités. On se prend la main? C’est parti!
Catherine Mathys
Directrice, veille stratégique
Ce rapport vous propose quelques chiffres sur l’évolution de l’industrie canadienne ainsi qu’une analyse des tendances déclinée en quatre chapitres: technologie et innovation, habitudes de consommation, évolution des modèles d’affaires ainsi que marchés et environnement concurrentiel.
Tableau de bord
Source: CRTC, Distribution de radiodiffusion — Câblodistribution, télévision par protocole Internet (IPTV) et satellite de radiodiffusion directe (SRD) — Relevés statistiques et financiers 2013 — 2017
Source: CRTC, Rapport de surveillance des communications 2017
Source: CRTC, Rapport de surveillance des communications 2018
Source: CMPA, Profile 2018. CRTC, Faits saillants des relevés financiers de 2017 du secteur de la radiodiffusion. ESAC, Essential Facts About The Canadian Video Game Industry 2018
Source: IAB Canada, Résultats 2017 + estimation 2018, Enquête sur les revenus de la publicité en ligne au Canada
1. Technologie et innovation: l'intelligence artificielle créatrice
Création et histoire humaine vont de pair. C’est en faisant exister ce que son imagination lui permet d’entrevoir que l’humain exprime sa créativité. Or, il semblerait que la machine soit possiblement capable d’une certaine forme de créativité.
Toutes sortes d’expérimentations ont eu lieu ces 50 dernières années. La question de la créativité des machines n’est donc pas nouvelle. Cependant, l’année 2018 aura été celle qui aura ramené cette question sur le devant de la scène avec les avancées qui ont pu être observées dans le domaine. À plus ou moins long terme, l’industrie de l’audiovisuel devra-t-elle se préoccuper de ces nouveaux développements?
Que ce soit pour des images fixes, en mouvement ou encore dans le son, les essais nous poussent à redéfinir les contours de la créativité, la nôtre, mais aussi celle des machines, le tout dans un esprit de collaboration. Raconter des histoires ensemble, entre humains et machines. Le public peut déjà s’approprier cet élan d’exploration de la cocréation avec les histoires interactives des haut-parleurs intelligents. Serait-ce là un premier pas vers la démocratisation de ces processus ?
Les frontières de plus en plus floues de la créativité
La première vente aux enchères d’une toile réalisée par une intelligence artificielle (IA) a certainement contribué à raviver le débat entourant le rôle de la technologie dans l’univers de la création.
Le Portrait d’Edmond de Belamy a été créé par le collectif français Obvious à partir d’un algorithme GAN (generative adversarial networks ou réseaux antagonistes génératifs) qui s’est inspiré d’une base de données de 15 000 toiles peintes entre les 14e et 20e siècles.
Cette œuvre, comme toutes les autres créées à partir d’algorithmes GAN, s’inscrit dans une nouvelle approche au recours à l’intelligence artificielle dans l’art. Auparavant, l’artiste programmait l’ordinateur en fonction du résultat qu’il souhaitait. Aujourd’hui, grâce à l’apprentissage machine, on entraîne un algorithme à partir de milliers d’exemples d’un certain type d’œuvres pour ensuite lui permettre d’en générer de nouvelles qui respecteront les mêmes codes esthétiques.
Bien qu’on soit tenté de croire que l’ordinateur est capable de créer seul, ce n’est pas encore possible sans intervention humaine, indique Ahmed Elgammal, directeur de l’Art and Artificial Intelligence Laboratory de l’Université Rutgers. Ce sont des humains qui choisissent les exemples à partir desquels les algorithmes « apprennent ». Dans le cas d’Edmond de Belamy, le résultat est un portrait inspiré des formes classiques ayant servi d’exemples. Par la suite, une intervention humaine est à nouveau requise pour trier les résultats et établir ceux qui sont les plus valables.
En quoi est-ce de l’art alors? Pour M. Elgammal, il ne fait aucun doute que ce n’est pas le résultat qui fait de ces œuvres de l’art, mais plutôt le processus créatif. Tous les choix — humains et non humains à la fois — mènent à un résultat considéré comme de l’art. Qui est donc l’auteur? L’humain qui a programmé la machine ? La machine qui a généré une nouvelle image à partir d’exemples antérieurs? D’ailleurs, dans le cas d’Edmond de Belamy, l’artiste Robbie Barrat a soutenu que c’est lui qui avait mis au point l’algorithme et les exemples utilisés pour le générer.
La machine peaufine l’art de raconter une histoire
Une équipe de chercheurs de l’Université de Californie à Santa Barbara a récemment mis au point un réseau neuronal capable de créer des histoires à partir d’images. L’intelligence artificielle est en mesure de faire des déductions à partir d’une proposition visuelle et d’aller au-delà de la simple description. Aussi, elle est en mesure d’imaginer une histoire que l’image ne raconte pas d’emblée et, selon les chercheurs, elle réussit le test de Turing trois fois sur cinq, c’est-à-dire qu’il devient impossible de savoir si c’est l’humain ou la machine qui a généré l’oeuvre.
Encore une fois, ce type de technologie n’en est qu’à sa phase expérimentale. Elle n’égale pas encore l’imagination humaine pour raconter des histoires complexes; cependant, d’éventuelles améliorations, comme une meilleure compréhension des structures sociales des humains, pourraient changer la donne.
De la création fixe à la création en mouvement
Si la création est possible à partir d’images fixes, qu’en est-il des images en mouvement ?
En matière d’intelligence artificielle, les essais passés n’ont été guère fructueux. Par exemple, en 2016, l’algorithme Benjamin mis au point par Oscar Sharp et Ross Goodwin n’a pas épaté la galerie avec sa première oeuvre Sunspring. L’année suivante, It’s No Game ne s’est point avérée plus épatante.
Par contre, en 2018, sa création Zone Out a suscité davantage d’intérêt… et d’inquiétude. Créée à partir du même type de réseau neuronal que la toile Portrait d’Edmond de Belamy vendue aux enchères, Benjamin a écrit le scénario, sélectionné les scènes à partir de milliers de films et de séquences de jeu et placé le visage des acteurs sur les personnages choisis (une technologie de remplacement de visages qu’on a aussi connue avec le deepfake, utilisé pour produire de fausses vidéos pornographiques à partir de visages de célébrités).
Avec Benjamin, les créateurs envisagent l’intelligence artificielle comme une possibilité d’augmenter les capacités de l’humain plutôt que de viser à le remplacer. Leur film représente un pas de plus vers l’automatisation de la création vidéo. Une oeuvre entièrement créée par une intelligence artificielle est-elle valable ? Peut-elle être présentée dans un concours contre celles des humains ? Saura-t-on faire la différence entre l’oeuvre d’un humain et celle d’une machine ? Est-ce important ? Autant de questions soulevées par ces expérimentations autour de l’IA créatrice.
QU’EST-CE QUE LE DEEPFAKE?Le nom deepfake qualifie les vidéos créées à partir des GAN. Le principe consiste à générer de nouvelles données à partir de sources préexistantes. Par exemple, en se servant de milliers de vidéos d’un individu, on peut en créer une ressemblante, sans que ce ne soit la copie d’aucune des vidéos précédentes. La technique était surtout connue des milieux de recherche jusqu’à la fin 2017 lorsqu’un utilisateur de Reddit l’a utilisée pour produire de la pornographie truquée en remplaçant le visage d’actrices du X par celui de célébrités. Maintenant que le grand public a accès à cette technologie qui continue de se raffiner, certains craignent que l’on confonde de plus en plus les vraies vidéos et leurs versions trafiquées. |
L’intelligence artificielle dans l’audio
Ce type d’expérimentation autour de l’intelligence artificielle génératrice d’histoires s’est produit également en baladodiffusion, sans supports visuels. Le balado Sheldon County est l’idée du doctorant James Ryan de l’Université de Californie à Santa Cruz. En recourant à l’intelligence artificielle, il est en mesure de générer un nombre infini d’histoires procédurales. Ce procédé n’est pas nouveau en soi, des jeux vidéo comme No Man’s Sky l’ayant utilisé pour générer automatiquement de nouveaux environnements à explorer.
Le principe de Sheldon County est le même, mais il s’applique uniquement à l’audio. L’action se déroule dans une ville américaine fictive et raconte la vie de ceux qui y vivent sur une période de 150 ans. Chaque comté simulé est peuplé de ses propres personnages générés par l’IA et chacun a ses propres histoires et motivations. Dès le premier épisode, un comté est assigné à l’auditeur et l’intrigue de toute la série de balados sera basée sur le choix des personnages. Théoriquement, aucun auditeur n’aura accès à la même série.
Pour Ryan, ce n’est pas tant l’avancée technique que la participation du public qui rend l’expérience intéressante. Sans lui, l’oeuvre ne voit pas le jour. À l’Halloween 2017, le générateur d’histoires d’horreur du MIT a utilisé cette même collaboration humain-machine pour générer de nouvelles histoires. En partant d’une graine aléatoire, un nombre utilisé pour démarrer l’aventure, l’IA nommée Shelley amorçait des histoires qu’elle complétait à partir d’idées recueillies sur Twitter.
Dans un cas comme dans l’autre, la contribution humaine — que ce soit pour donner l’impulsion à un projet, pour lui conférer des balises créatives ainsi qu’un corpus de données ou encore pour déterminer la valeur du résultat — est essentielle à la créativité de la machine. Et si cette dernière permettait à plus d’humains de créer à partir de leur propre individualité ? La perspective d’une collaboration de plus en plus grande avec la machine dans un but de créer nous apparaît comme une tendance qui vise essentiellement l’augmentation des capacités humaines par la machine. Les producteurs de contenu peuvent y voir les possibilités de repousser les frontières de la créativité humaine sans que celle-ci ne soit pour autant remise en cause. Encore en phase expérimentale, les créateurs devront cependant éventuellement s’adapter à un monde où ce type de coopération sera de plus en plus courant.
Le contenu audio interactif : retrouver l’écoute collective
Le retour vers le futur de l’audio
Le contenu audio continue de se tailler une place de choix dans les habitudes de consommation des Canadiens. Dans le rapport sur les tendances 2018, l’an dernier, nous soulignions la popularité grandissante de la baladodiffusion tant aux États-Unis qu’au Canada.
Chez nous, c’est maintenant 61 % des adultes qui connaissent le phénomène, un pourcentage à peine inférieur à celui des États-Unis où 64 % de la population estime connaître la baladodiffusion (Edison Research). Au Canada, sans grande surprise, ce sont les 18-34 ans qui témoignent le plus d’enthousiasme pour ces contenus audio. 41 % des membres de ce groupe d’âge en écoutent chaque mois. La moyenne canadienne s’établit à 28 %.
Cela dit, ce qui ressort d’une comparaison entre les États-Unis et le Canada, c’est que la consommation de balados ne se fait pas de la même manière.
Les Canadiens sont encore nombreux à apprécier leurs balados à partir de leur ordinateur (40 %), bien qu’un appareil mobile soit l’outil de prédilection (57 %). Les Américains préfèrent aussi écouter leurs balados en mobilité (68 %) même si près de 30 % des adeptes utilisent un ordinateur. Ces différences se répercutent aussi sur le lieu de l’écoute. Les Canadiens (61 %) sont plus nombreux que les Américains (49 %) à consommer leurs balados à la maison, où de nouveaux appareils ont fait une entrée remarquée au cours de la dernière année. En effet, parmi les Américains qui écoutent assidûment des balados, ils sont 24 % à écouter régulièrement ce type de contenu sur un haut-parleur intelligent. Il faut dire que, contrairement aux Canadiens, ils ont accès à cette technologie depuis 2014.
Les haut-parleurs intelligents et le contenu créatif
Les Canadiens n’ont pas tardé à se procurer un haut-parleur intelligent.
Ces haut-parleurs sont vendus au pays depuis juin 2017 et c’est déjà 8 % de la population qui en possède un (Edison Research). D’ailleurs, la moitié des propriétaires d’un tel appareil l’aurait placé dans leur salon (OTM), ce qui pourrait inciter à l’écoute de contenus moins utilitaires (comme demander la météo, poser une question générale ou encore écouter un bulletin de nouvelles) pour se tourner vers des expériences d’écoute collectives et des contenus créatifs interactifs.
Les haut-parleurs intelligents rappellent les débuts de la radio dont l’histoire est intimement liée à l’écoute collective. Que ce soit par des séances d’écoute publiques ou des rassemblements plus intimes à l’intérieur de la sphère familiale, la radiodiffusion a permis à diverses générations de se réunir autour d’une même technologie. L’audio, à travers ces enceintes intelligentes, semble avoir maintenu ses capacités rassembleuses.
Notre rapport 2018 faisait déjà état de quelques initiatives en matière d’histoires interactives développées pour Alexa d’Amazon. L’industrie a continué d’expérimenter de ce côté en lançant d’autres productions interactives rattachées à une série ou à un film. Entre autres, Netflix a fait la promotion de sa série Lost in Space au moyen d’une aventure audio interactive destinée à Google Home.
Les histoires audio interactives ciblent les enfants
L’offre de contenu interactif pour enfants s’est multipliée au cours de la dernière année.
Amazon a même mis en vente une version pour enfants de son appareil Echo avec contrôle parental. La BBC Kids, LEGO et Nickelodeon sont parmi les entreprises ayant produit du contenu pour ce type d’appareil.
Au cours de la dernière année, Universal et Earplay ont également dévoilé Jurassic World Revealed pour Alexa. Aussi, Earplay a coproduit avec la station de radio publique américaine WBUR le récit You and the Beanstalk, destiné aux 6 à 12 ans.
Au Canada, Groupe Média TFO a lancé son application Boukili Audio, un jeu interactif qui favorise l’apprentissage du français des 4 à 8 ans. De plus, l’entreprise torontoise Storyflow, en plus de lancer sa plateforme de création pour haut-parleurs intelligents, s’est aussi lancée dans le contenu interactif pour enfants de type « vous êtes le héros ». Destinées aux familles, ces histoires permettent d’interagir avec les personnages et de choisir le déroulement de l’histoire.
Contenu sous surveillance
Bien sûr, l’utilisation d’assistants vocaux en général et de hautparleurs intelligents en particulier ne requiert que la voix.
Contrairement à bien d’autres technologies qui exigent un minimum de compétences en lecture et/ou en écriture ou qui requièrent un degré d’aisance avec les claviers et écrans, il suffit de savoir parler pour utiliser un hautparleur intelligent. Par conséquent, cela rend son utilisation accessible à une très large clientèle, dont les enfants.
Par contre, nous ne savons pas encore quels sont les effets de ces oeuvres sur les jeunes auditeurs. Sara DeWitt, vice-présidente numérique de PBS KIDS, se demande si les enfants comprennent vraiment à qui ou à quoi ils parlent. Il faut donc demeurer vigilant lors de la création d’histoires audio interactives qui ciblent les enfants et les jeunes.
Au-delà de ces considérations importantes, avec la popularité croissante de ces appareils, ce terreau fertile à l’expérimentation présente plusieurs opportunités à saisir pour les créateurs.
2. Habitudes de consommation: la recherche commune d'un bien-être numérique
Alors que les plateformes de télévision par contournement se multiplient et que le visionnement de vidéos en ligne fracasse les records, on observe une certaine résistance à être constamment connecté.
De plus en plus d’internautes privilégient une utilisation active et optimisent leur temps passé devant les écrans. Confrontés à cette prise de conscience collective, les grands joueurs du paysage numérique font preuve de plus de transparence à l’égard du consommateur et certains misent sur des modèles valorisant un temps de qualité passé sur les appareils.
Aurions-nous atteint un plateau en ce qui concerne notre utilisation d’Internet, des médias sociaux et des appareils intelligents ? C’est ce qu’avance le Pew Research Center, fort d’une étude affirmant que, si l’utilisation des technologies numériques a connu une croissance rapide et durable aux États-Unis, le pourcentage d’Américains qui utilisent ces technologies est demeuré plutôt stable au cours des deux dernières années. Certes, cette saturation s’explique en partie par le fait que le taux d’adoption a quasiment atteint son plein potentiel dans plusieurs régions du globe, mais elle soulève aussi des questions sur la façon dont nous utilisons nos appareils.
Au cours des dernières années, le phénomène de « fatigue des écrans » a émergé dans le discours médiatique. Sommes-nous trop connectés ?
Est-ce que le temps passé sur nos appareils mobiles et les médias sociaux peut influencer nos relations et comportements au quotidien et, à plus long terme, avoir un impact sur notre santé mentale ? Plusieurs membres de la communauté scientifique se sont positionnés sur le sujet au cours des dernières années. C’est notamment le cas de la Société de radiologie d’Amérique du Nord et de la Royal Society for Public Health de concert avec le Young Health Movement. Toutefois, ce qui est nouveau est cette prise de conscience au sein de la population et la volonté de réduire son temps de consommation, ou à tout le moins de consommer de façon plus éclairée.
En effet, selon une enquête menée par GlobalWebIndex (GWI), plus du tiers des consommateurs aux États-Unis ainsi qu’au Royaume-Uni pensent que l’utilisation qu’ils font de leur téléphone mobile nuit à leur santé et leur bien-être. Par ailleurs, les utilisateurs de moins de 35 ans se sentent davantage concernés par cette réalité; au sein de ce groupe d’âge, la proportion grimpe à 57 %.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le « niveau d’inquiétude » n’est pas lié au nombre d’heures passées sur les appareils. En comparant des utilisateurs très actifs à des utilisateurs modérés, le constat reste le même. Selon Erik Winther Paisley de GWI, cette enquête démontrerait que la préoccupation est ailleurs.
« Ce que cela nous dit, c’est que la façon dont les gens utilisent leur téléphone pourrait être plus importante que leur temps d’utilisation » — Erik Winther Paisley, gestionnaire de contenu Insights chez GlobalWebIndex, 2018
Parallèlement à cette tendance, le concept de « détox numérique » émerge. Une étude complémentaire, aussi réalisée par GWI, nous révèle que, au cours de la dernière année, une personne sur cinq aurait fait l’expérience d’une désintoxication numérique, qui se résume à se débrancher totalement afin de s’affranchir du monde virtuel pendant une période donnée. Autrement dit, il s’agit de bannir complètement l’utilisation de tout appareil connecté à Internet. Cela dit, parmi les répondants, 70 % ont avoué avoir tenté de réduire leur consommation d’une façon ou d’une autre, sans nécessairement avoir eu recours à cette mesure nettement plus draconienne.
Au Canada, selon une récente enquête menée par la Consumer Technology Association (CTA), 86 % des consommateurs possèdent un téléphone intelligent. Aux États-Unis, une analyse de Deloitte réalisée cette année indique que 85 % des Américains possèdent ou peuvent utiliser un téléphone intelligent. En observant les habitudes de consommation plus larges reliées aux écrans, on dénote que, selon une étude (GlobalWebIndex, We Are Social, Hootsuite), les Canadiens consacrent en moyenne 5,5 heures par jour à utiliser Internet, que ce soit sur mobile, ordinateur ou tablette. De plus, 3,15 heures par jour sont passées à regarder la télévision et 1,4 heure par jour est dédiée aux médias sociaux.
Consommation médiatique : un fossé générationnel qui se resserre ?
Par ailleurs, un autre élément qui retient notre attention est l’influence qu’ont les plus jeunes sur la consommation des adultes : selon une étude de Solutions Research Group, la vidéo de long format sur mobile a de plus en plus la cote auprès des Canadiens, mais cette tendance est nettement plus marquée parmi les parents d’enfants de moins de 12 ans. En effet, 50 % des répondants provenant de ménages avec enfants ont déclaré avoir regardé sur mobile une vidéo d’une durée de plus de 10 minutes au cours du dernier mois. Pour les ménages sans jeunes enfants, la proportion s’établit à 29 %.
Cet effet miroir intergénérationnel est également observé dans une enquête sur les tendances en médias numériques menée par Deloitte auprès de la population américaine. Cette enquête avance notamment l’émergence de la génération X (35-51 ans) comme primoadoptante des nouvelles technologies, particulièrement du côté de la consommation sur mobile. Les membres de cette génération reproduisent ainsi des comportements semblables à ceux observés parmi les membres la génération Z (14-20 ans) et les milléniaux (21-34 ans).
L’HYPERCONNECTIVITÉ CHEZ LES JEUNESPendant ce temps chez les 13-17 ans, le nombre de minutes passées sur des écrans continue d’augmenter. Selon une étude du Pew Research Center, le phénomène d’hyperconnectivité prend forme, avec près de 95 % des adolescents qui possèdent un téléphone intelligent ou ont accès à un tel appareil. Ces connexions mobiles alimentent des activités en ligne plus persistantes. Désormais, 45 % des adolescents déclarent être en ligne de manière quasi constante. La même étude révèle qu’environ 52 % des adolescents américains déclarent avoir pris des mesures pour réduire l’utilisation de leur téléphone. Il en va de même en ce qui concerne les médias sociaux (57 %) et les jeux vidéo (58 %). |
Les grands joueurs numériques qui démontrent leur bonne volonté : combattre l’utilisation passive des technologies à l’ère du zombie-feed scrolling.
Étant donné cette prise de conscience collective, on sent que les chefs de file de l’écosystème numérique se mettent à construire quelque chose de nouveau : un monde où la technologie visuelle est moins insistante. C’est la montée d’un écosystème numérique reposant sur des assistants vocaux, des écouteurs, des montres et d’autres dispositifs portables — tout cela dans l’optique de nous aider à atténuer la pression à laquelle nos yeux sont exposés. Ceux-ci ont peut-être été sollicités au maximum de leur capacité au cours des dernières années par des écrans toujours plus grands, des appareils photo de plus en plus performants ainsi que des applications de réalité virtuelle (RV) et réalité augmentée (RA).
Or notre capacité à « résister » à ces écrans est de plus en plus mise en doute et les grandes marques l’ont bien compris :
« Ce qui finit par vous aspirer n’est pas l’élément ayant attiré votre attention, soit votre message texte, votre tweet ou quoi que ce soit d’autre. Vous déverrouillez plutôt votre téléphone et instantanément — et presque inconsciemment — vous plongez dans les splendeurs irrésistibles du monde numérique. Au bout de 30 minutes, vous en ressortez stupéfaits et hébétés. Vous ouvrez cette boîte irrésistible, c’est plus fort que vous. »
— Carolina Milanesi, analyste à la firme de recherche en technologies Creative Strategies
Avec des considérations éthiques qui émergent et les consommateurs qui se questionnent sur l’utilisation qu’ils font de ces appareils, Apple et Google ont réagi, et ce, bien que leur modèle d’entreprise repose sur ladite [sur]utilisation de ces appareils. Dans la foulée de l’alerte lancée par Tristan Harris, l’ancien « éthicien du design » pour Google qui a dévoilé les stratégies utilisées par les géants du numérique pour encourager la surutilisation de leurs produits, la conversation évolue rapidement, de sorte que nous assistons à une véritable course à l’intégration des outils faisant la promotion d’une saine utilisation des écrans. Après son départ de Google, Harris a fondé l’organisation à but non lucratif Time Well Spent, dont la mission est de contrebalancer le pouvoir de l’économie de l’attention, soit cette bataille que se livrent les grands joueurs numériques pour monétiser notre intérêt éphémère.
Depuis quelques années déjà, les parents ont à l’oeil la consommation de leur progéniture et tiennent à ce que leurs enfants naviguent dans un environnement sécuritaire à l’abri de contenus jugés inappropriés. Depuis l’apparition et l’amélioration récente d’options de contrôle parental pour plusieurs plateformes comme YouTube Kids (2015) et Netflix (2013), les parents ont la conscience plus tranquille. Cela dit, peu à peu, des applications destinées aux adultes qui comptabilisent le temps passé sur nos appareils voient le jour (Moment, QualityTime et Checky principalement) et incitent ainsi les grosses pointures à investir de plus en plus dans les nouvelles moutures de leurs interfaces.
C’est Apple, avec sa mise à jour iOS 12, qui sera le premier à faire le saut en annonçant la création de l’outil Temps d’écran, qui permet notamment de calculer le nombre de minutes passées sur chaque application, de se fixer des limites et de gérer les distractions causées par les notifications. Google emboîte le pas avec la sortie de sa « trousse bien-être » pour la plus récente mise à jour d’Android 9.0 Pie, annoncée un peu avant Apple, mais dont le déploiement suivra celui d’iOS 12. C’est sans compter l’amélioration de certains dispositifs existants, dont les options Ne pas déranger, des outils de gestion du sommeil ou encore des tableaux présentant des vues d’ensemble du bien-être numérique.
« Il est vraiment important pour les utilisateurs d’Instagram et de Facebook que le temps qu’ils passent avec nous soit du temps bien investi. » — Ameet Ranadive, directeur du produit bien-être d’Instagram, 2018
Les plateformes de médias sociaux (Facebook, Instagram et YouTube, par exemple) ont suivi aussi la tendance en ajoutant des outils qui permettent de tenir le temps passé en ligne à l’oeil, comme Facebook avec le déploiement de son tableau de bord Your Time on Facebook, en plus de créer des postes au sein même de leur organisation dont les titulaires sont responsables d’accroître le bien-être des utilisateurs.
Cela dit, la différence entre un usage passif et un usage actif des plateformes n’est pas considérée à ce stadeci. Autrement dit, il est possible de se fixer des limites de temps, mais chaque limite fixée donnera lieu à un avertissement, suggérant par exemple de faire une pause (comme les avis Take A Break de YouTube ou You’re All Caught Up d’Instagram). Il n’y a pas de réelle restriction qui empêche de scroller ou d’aimer les publications. On peut donc affirmer qu’il y a une transparence à l’égard du temps passé, mais c’est à l’utilisateur que revient la responsabilité d’optimiser sa consommation. C’est un bon point de départ, mais il devra être appelé à évoluer sans quoi les utilisateurs pourraient finir par tout simplement faire fi de ces messages.
Vers des solutions low tech ?
Parallèlement à de telles initiatives, on observe également une tendance au « low tech », en préconisant des solutions qui se démarquent par un retour au minimalisme qui prône la simplicité en valorisant de petits écrans permettant d’accomplir de courtes actions numériques sans monopoliser ni le temps ni l’attention.
C’est le cas de Palm, un téléphone Android conçu par une startup de San Francisco, qui fonctionne en complément d’un téléphone principal, c’est-à-dire qu’il ne peut être utilisé seul ou être doté de sa propre ligne. L’objectif serait de s’en servir durant les fins de semaine, les soirs ou à tout autre moment où l’utilisateur souhaiterait réduire l’effet de distraction créé par ses appareils et leurs multiples applications.
Bien que cette tendance ne soit pas nouvelle — la première campagne de téléphone minimaliste pour le Light Phone ayant vu le jour en 2015 —, nous assistons ici à une nouvelle façon d’aborder l’usage de ces téléphones : la création d’un nouveau rôle, un peu comme le ferait une montre intelligente, et non le remplacement de nos téléphones conventionnels.
Dans tous les cas, cette prise de conscience collective, ce point de bascule lié à la saturation des écrans, font en sorte que, dans un monde où l’offre de contenu se veut de plus en plus kaléidoscopique, en raison notamment des grandes plateformes de diffusion en continu, les producteurs et créateurs doivent plus que jamais demeurer pertinents et redoubler d’efforts en matière de créativité, tant sur le plan du contenu que du contenant.
« Nos yeux et le temps dont nous disposons pour consommer des médias de tout genre subissent des pressions grandissantes. »
— Dan Rayburn, analyste média de diffusion en continu pour Frost & Sullivan, 2018
De nouveaux formats qui font appel à d’autres sens que la vision et redéfinissent la narration voient peu à peu le jour et s’intègrent dans le paysage numérique. Les intervenants et les décideurs de l’industrie se trouvent dans une position où les collaborations et alliances deviennent plus que souhaitables, voire essentielles, pour créer du contenu fort et percer un marché déjà pris d’assaut par les géants de la Silicon Valley.
3. Évolution des modèles d'affaires: cultiver la confiance
Dans la foulée du scandale impliquant Facebook et Cambridge Analytica, les entreprises doivent (re)gagner la confiance des consommateurs et la cultiver. Votre entreprise interagit directement avec le public ? La protection des renseignements personnels et de la vie privée est plus que jamais un levier pour vous démarquer de la concurrence.
Le débat sur le « paradoxe de la vie privée » ne date pas d’hier. En effet, les spécialistes du numérique se penchent sur la question depuis plus d’une décennie, mais le débat a certainement pris le devant de la scène ces derniers mois. Les consommateurs se disent soucieux de protéger leurs renseignements personnels, mais leurs comportements en ligne ne reflètent pas toujours cette préoccupation. « Les gens affirment qu’ils se préoccupent grandement de leur vie privée. Cependant, en réalité, ils sont prêts à échanger leurs données ou même les adresses de courriel d’amis pour quelque chose d’aussi banal qu’une pointe de pizza », ironise le journaliste techno Chris Ip. Du côté des entreprises, les positions sont tout aussi contradictoires. « Elles [les entreprises] sont prises entre utiliser des données pour offrir une meilleure expérience aux consommateurs et empiéter sur le droit à la vie privée de ceux-ci », conclut Rani Molla, chroniqueuse données pour Recode, à la lecture du dernier rapport sur les tendances Internet de Mary Meeker.
Le scandale Facebook-Cambridge Analytica, mis au jour par le Guardian et le New York Times en mars 2018, a incontestablement remis le paradoxe de la vie privée à l’avant-plan du débat public.
Près de 90 millions d’utilisateurs de Facebook auraient été touchés par cette collecte illégitime de données personnelles à des fins de profilage électoral pendant les présidentielles américaines de 2016.
Au printemps 2018, on a aussi dévoilé que Facebook aurait communiqué des données sur ses clients à Apple, à Samsung et à des douzaines d’autres fabricants d’appareils et que l’entreprise aurait approché des hôpitaux américains dans l’optique d’accéder à des données médicales. Quelques mois plus tard, en septembre, Facebook était victime d’une cyberattaque qui aurait exposé les données de 29 millions de ses utilisateurs.
Si la dernière année s’est avérée éprouvante pour Facebook, bien d’autres entreprises — dont Google et sa plateforme vidéo YouTube, Yahoo, Twitter et Grindr — ont été plongées dans des controverses liées à une utilisation douteuse, voire illégale, de renseignements personnels. Par ailleurs, une étude de l’Université de Californie à Berkeley publiée en avril 2018 avance que plus de la moitié des applications Android destinées aux enfants de moins de 13 ans pourraient contrevenir à la loi américaine COPPA (Children’s Online Privacy Protection Act) en raison de pratiques de collecte et de partage de données non conformes.
La perspective des consommateurs à l’ère de la personnalisation
Certes, les consommateurs sont de plus en plus méfiants. Un sondage réalisé par GlobalWebIndex en octobre 2018 révèle que 65 % des répondants nord-américains (62 % parmi les Canadiens) s’inquiètent de la manière dont les entreprises exploitent leurs renseignements personnels.
En 2018, seulement 34 % des Canadiens affirment avoir confiance en Facebook, selon les chiffres de la firme Proof Inc. Il s’agit d’un recul de 17 points de pourcentage par rapport à l’année précédente. Malgré tout, 84 % des répondants au pays demeurent des utilisateurs actifs de la plateforme. « Nous sommes très préoccupés par la façon dont Facebook se comporte comme organisation, explique Josh Cobden, premier vice-président de Proof Inc. Nous continuons néanmoins d’utiliser la plateforme, car elle livre ce que nous attendons d’elle. »
Le partage de renseignements personnels n’est donc pas un frein à l’utilisation d’une plateforme si celle-ci répond aux besoins des utilisateurs et leur offre une expérience pertinente et personnalisée.
Au total, 53 % des Canadiens accepteraient de partager leurs renseignements personnels en échange de produits et de services adaptés à leurs attentes selon un sondage mené par CROP en mai 2018. Cette proportion grimpe à 67 % parmi les 25-34 ans et à 79 % parmi les 18-24 ans. « Les jeunes sont plus friands de consommation et sont donc fort enthousiastes à l’idée de partager leurs renseignements pour mieux en profiter », conclut la firme de sondage.
Là où une entreprise s’adressant directement aux consommateurs peut réussir à se démarquer, c’est en offrant à ses clients l’assurance d’une utilisation responsable de leurs données personnelles et du respect de leur droit à la vie privée.
« La réputation d’une entreprise et la confiance qu’elle inspire dépendent de sa crédibilité et de sa transparence en matière de données personnelles. » — Chase Buckle, analyste chez GlobalWebIndex, 2018
Le phénomène est loin d’être nouveau. Le laboratoire Regards sur le numérique de Microsoft France, par exemple, observait en 2015 que la protection des données personnelles était appelée à devenir un important « élément de différenciation concurrentielle ». Toutefois, l’impératif d’une saine gestion des données se fait aujourd’hui plus pressant en raison notamment d’une évolution marquée de la réglementation.
La perspective des entreprises à l’heure du RGPD
Plus que toute autre mesure législative à ce jour, le Règlement général sur la protection des données (RGPD) de l’Union européenne (UE) incite les entreprises à mieux utiliser et protéger les renseignements personnels de leurs clients. En gestation depuis 2012, le RGPD est entré en vigueur en mai 2018, soit quelques semaines après l’éclatement du scandale Facebook- Cambridge Analytica.
Entre autres mesures, le RGPD introduit des obligations de consentement explicite à la collecte de données personnelles, le droit pour les internautes de l’UE d’exiger l’effacement des renseignements qui les concernent, des sanctions plus sévères contre les entreprises prises en défaut et l’obligation pour les sociétés étrangères de se conformer aux mesures législatives.
« Désormais, les consommateurs de l’UE auront la liberté d’adhérer [à la collecte de données personnelles] plutôt que le fardeau de demander une exemption. L’importance accordée au consentement crée un incitatif financier à gagner la confiance du consommateur. » — Nitasha Tiku, journaliste pour Wired, 2018
Les géants de la Silicon Valley ont rapidement emboîté le pas. Facebook a mis sur pied une nouvelle équipe chargée du développement d’outils de gestion des données personnelles, dont une nouvelle fonctionnalité permettant d’effacer l’historique de navigation. Pour sa part, Google a renforcé ses fonctionnalités d’effacement sur l’ensemble de ses plateformes à l’automne.
Apple exige désormais que toute application proposée dans l’App Store soit accompagnée d’une politique relative aux renseignements personnels et à la vie privée. Le PDG d’Apple, Tim Cook, a d’ailleurs fait les louanges du RGPD en octobre dernier, félicitant l’UE pour son initiative et invitant les États-Unis à renforcer leurs propres mesures réglementaires en matière de protection de la vie privée. « Les appareils et les logiciels d’Apple — tout comme l’éthos de la compagnie — sont désormais axés sur des mesures de protection de la vie privée des utilisateurs que d’autres sociétés technologiques n’auraient jamais pensé adopter », fait remarquer l’auteur et journaliste Michael Grothaus.
C’est précisément là où résident les inquiétudes de plusieurs observateurs. À terme, un encadrement de plus en plus serré des données personnelles avantagera-t-il une poignée de colosses comme Google, Apple, Facebook et Amazon au détriment d’entreprises aux moyens (financiers et technologiques) plus modestes ? Aux États-Unis, de grands médias écrits comme le Los Angeles Times et le Chicago Tribune ont dû bloquer leur site Web aux internautes européens, car ils ne pouvaient pas en garantir la conformité aux exigences du RGPD. Une autre mesure actuellement à l’étude en Europe, soit le projet de règlement ePrivacy, suscite une vive controverse au sein même de l’UE. Cinquante entreprises médiatiques européennes s’y sont publiquement opposées en mars dernier : « Les entreprises médiatiques prétendent que, dans sa forme actuelle, le projet de règlement ePrivacy exigerait qu’elles obtiennent toutes le consentement explicite des consommateurs à l’utilisation de témoins (cookies) et qu’une telle mesure rendrait Google, Facebook et Amazon encore plus puissantes », rapporte Jessica Davis dans Digiday.
Quelle sera l’incidence à long terme de ces initiatives réglementaires sur le marché européen ? Quelle influence auront-elles sur la réglementation et la conduite des affaires ailleurs dans le monde ? Les mesures adoptées par l’UE ont certainement influencé les débats législatifs au Canada. En février 2018, le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique recommandait de modifier la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE) en vue d’y introduire ou d’y renforcer des mesures relatives entre autres au consentement, au déréférencement ainsi qu’à l’effacement et la destruction de renseignements personnels. Le comité invitait par ailleurs le gouvernement canadien à s’assurer que la LPRPDE « conserve son caractère adéquat » au regard du RGPD.
Le Ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique a accueilli ces recommandations favorablement, mais il a toutefois insisté sur la nécessité de les examiner davantage — notamment dans le cadre de consultations publiques lancées en juin 2018 — et d’envisager une harmonisation raisonnable de la loi canadienne avec le RGPD : « Reconnaissant l’importance de l’interopérabilité des régimes de protection de la vie privée, l’UE a adopté le concept d’équivalence essentielle plutôt qu’égale […] En ce sens, il n’est pas clair que les exigences de la LPRPDE doivent refléter l’ensemble des droits et des mesures de protection du RGPD pour conserver à la Loi son caractère adéquat. »
Dans ce contexte d’incertitude réglementaire, les entreprises peuvent néanmoins être assurées de deux choses : l’exploitation des mégadonnées (Big Data en anglais) demeurera un facteur de succès clé dans l’économie numérique et les consommateurs, aujourd’hui mieux conscientisés, seront vraisemblablement plus sensibles aux enjeux qui touchent le respect de leur vie privée.
Les entreprises médiatiques ont tout à gagner d’une approche plus proactive et plus préventive, comme le souligne Dre Ann Cavoukian, ancienne commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario et pionnière du principe de protection de la vie privée dès la conception (Privacy by Design) à la fin des années 1990 :
« Allant de l’avant, la protection de la vie privée ne peut être assurée seulement par la conformité aux cadres réglementaires. L’assurance de protection de la vie privée devra plutôt — dans un monde idéal — devenir le mode de fonctionnement par défaut de toute organisation. »
OUTILS EN MATIÈRE DE VIE PRIVÉE À L’INTENTION DES ENTREPRISES CANADIENNESSelon le dernier Sondage sur la cybersécurité (automne 2018) de l’Autorité canadienne pour les enregistrements Internet, 59 % des entreprises répondantes ont dit stocker des données personnelles, mais 38 % ont avoué ne pas bien connaître la LPRPDE. Quelles sont vos obligations en vertu de la LPRPDE ? Des lois provinciales s’appliquent-elles également à vous ? Innovation, Sciences et Développement économique Canada vous propose une trousse d’outils pour bien comprendre vos responsabilités en matière de protection des renseignements personnels. Le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada vous offre également des conseils sur comment rédiger une politique de confidentialité : « une bonne politique de confidentialité explique — dans un langage clair et simple — pourquoi une organisation recueille des renseignements personnels, ce qu’elle va en faire, comment ils seront protégés et à qui elle les communiquera. » |
4. Marchés et environnement concurrentiel: la conquête de marchés avides de contenus interactifs
Alors que les géants se font concurrence en intensifiant la consolidation dans le secteur des médias et du divertissement, des débouchés se présentent pour les entreprises de contenu auprès de marchés qui sont traditionnellement peu familiarisés avec la production audiovisuelle et qui ont des besoins croissants en matière d’expériences interactives. Ces nouvelles collaborations sont particulièrement prometteuses dans les secteurs de l’éducation et du divertissement hors foyer.
Un peu partout sur le globe, les derniers mois ont été le théâtre d’un mouvement de concentration dans plusieurs secteurs médiatiques : vidéo sur demande, studios de cinéma, édition de jeux vidéo, etc. Peu importe le secteur, cette vague de consolidation est en grande partie propulsée par la migration progressive des consommateurs vers des environnements en ligne.
Pour tirer leur épingle du jeu, les gros joueurs s’engagent tous dans une course vers l’acquisition de marques et de titres exclusifs afin de garnir leur propre offre en ligne. En parallèle de l’affrontement des géants, de nouvelles opportunités émergent pour le secteur du contenu dans des marchés qui tentent de diversifier leurs approches ou encore de réinventer leur modèle d’entreprise en recourant à des expériences interactives. C’est le cas entre autres du marché éducatif et de celui des expériences en réalité virtuelle ou en réalité augmentée.
Les technologies éducatives pour redéfinir la pédagogie
La technologie éducative (EdTech en anglais) désigne l’utilisation de la technologie dans un milieu d’apprentissage.
Les apprenants devenant de plus en plus technophiles, la technologie éducative gagne en popularité. Selon la firme de recherche Frost & Sullivan, le marché mondial de l’EdTech aurait généré des revenus de 17,7 milliards de dollars américains en 2017 et ce total devrait atteindre 40,9 milliards [de dollars américains] en 2022, ce qui représente un taux de croissance annuel composé de plus de 18 %. Les investisseurs ont flairé la bonne affaire : un récent rapport de la firme Metaari indique que, en 2017, les investissements mondiaux en EdTech ont atteint le montant record de 9,52 milliards de dollars américains, en hausse de 30 % par rapport à l’année précédente.
La ludification (gamification en anglais) est une tendance marquée en technologie éducative pour le marché scolaire. Cette tendance se traduit par l’implémentation de mécaniques de jeu dans le matériel pédagogique pour stimuler la participation des apprenants. Un récent rapport sur la ludification dans le secteur éducatif estime que, à l’échelle du globe, ce marché devrait atteindre une valeur de 283 millions de dollars américains d’ici 2022.
C’est une branche qui offre des débouchés particulièrement intéressants pour les créateurs d’expériences interactives. Par exemple, la compagnie canadienne Classcraft Studios est reconnue comme un leader dans le secteur. Elle propose un système de gestion de l’apprentissage et de la motivation qui permet de bonifier l’enseignement en redéfinissant le progrès des élèves en jeu.
Apprendre grâce à la réalité virtuelle et augmentée
Les grands acteurs de la RV et de la RA ont eux aussi dans leur mire le marché de l’éducation.
Afin de démontrer le potentiel et la pertinence des contenus immersifs dans des environnements éducatifs, ils mettent sur pied des programmes spécialement destinés aux salles de classe.
Déjà, en 2015, Google proposait l’application gratuite Google Expeditions, qui permet aux élèves d’explorer le monde en participant à des sorties pédagogiques en RV sans même devoir quitter la salle de classe.
L’entreprise a récidivé en 2017 avec une offre en RA qui permet aux enseignants de présenter des objets virtuels en classe aux fins de les examiner comme s’ils étaient physiquement présents. À l’été 2018, Oculus a lancé un programme éducatif pilote de RV qui dote des écoles, des bibliothèques et des musées à Taïwan, au Japon et à Seattle de casques Oculus Rift et Oculus Go, le but étant de dispenser un programme éducatif axé sur l’histoire, la science et la culture.
Pour assouvir leurs ambitions dans le secteur de l’éducation, les fabricants de matériel RV/RA auront besoin de contenus pour alimenter leurs offres. C’est donc une occasion à saisir pour le secteur de la création de contenus.
Miser sur la revalorisation de catalogues de contenus
La revalorisation de catalogues de contenus pour bâtir un corpus pédagogique est une autre stratégie visant à pénétrer le marché de l’éducation. Plusieurs acteurs canadiens s’y adonnent déjà, par exemple CBC/Radio-Canada avec Curio, un portail qui offre aux enseignants des contenus vidéo et audio pertinents dans un contexte pédagogique, ou encore Campus de l’Office national du film du Canada, qui propose une collection de documentaires, de films d’animation, de productions interactives et de courts métrages, ainsi que des ressources éducatives et des guides pédagogiques.
Du côté de l’entreprise privée, Ubisoft lançait en 2018 un nouveau mode destiné aux publics scolaires du jeu Assassin’s Creed Origins. Les combats, l’intrigue narrative et les contraintes de temps en moins, les élèves peuvent explorer et en apprendre plus sur l’Égypte antique en prenant part à des visites guidées.
LE MARCHÉ ASIATIQUE DE LA TECHNOLOGIE ÉDUCATIVE
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L’éducation au-delà des salles de classe
Le terme « technologie éducative » peut porter à croire qu’il s’agit de produits destinés uniquement au secteur de l’éducation. Cependant, c’est en réalité un marché qui ratisse beaucoup plus large que les salles de classe avec des solutions destinées à la formation dans différents contextes d’apprentissage, que ce soit en entreprise ou à domicile.
Le grand public est nettement avide de technologies éducatives : outils pour apprendre une langue ou développer des compétences (apprendre à coder par exemple), formations en ligne ouvertes à tous (massive open online course ou MOOC en anglais), jeux d’entraînement cérébral, etc.
L’engouement pour le contenu éducatif est aussi marqué du côté de la vidéo en ligne. En effet, des contenus comme les conférences TED cumulent plus de 3 milliards de visionnements et d’écoutes par année, incluant de nombreux contenus disponibles en baladodiffusion.
« Les États-Unis sont rapidement en train de devenir une nation de balados. Ce qui est encore plus intéressant, c’est ce que les gens écoutent. On s’attendrait à ce que des genres comme les sports, l’actualité et la technologie soient populaires — et ils le sont —, mais tous ces genres sont dépassés en nombre d’écoutes par un concurrent auquel on ne s’attendrait pas : la balado éducative. » — James McWilliams, rédacteur contributeur à Pacific Standard, professeur à l’Université d’État du Texas et auteur, 2018
Toujours à l’affût des segments de marché en croissance, YouTube annonçait à l’automne 2018 un investissement de 20 millions de dollars américains pour soutenir le programme YouTube Learning, une initiative ayant pour mission de « soutenir les créateurs et organismes experts axés sur l’éducation qui créent et produisent du contenu éducatif de grande qualité sur la plateforme vidéo ». Et l’intérêt de YouTube pour le contenu éducatif ne s’arrête pas là : la plateforme a annoncé en mars qu’elle envisageait d’investir 10 millions de dollars américains sur deux ans pour faire la promotion de l’éducation aux médias. Des créateurs comme la chaîne canadienne ASAPScience, qui utilise des dessins pour explorer de manière ludique des questions liées à diverses sciences, travaillent d’ailleurs avec YouTube sur le projet.
Des jouets interactifs et éducatifs
Les produits ludoéducatifs, c’est-à-dire qui font l’éducation par le jeu (Edutainment en anglais), forment aussi un secteur intéressant pour les producteurs de contenu. De nombreux parents sont soucieux de la valeur éducative des jouets offerts à leur progéniture et veulent que ces jouets divertissent tout en stimulant le développement créatif, social et intellectuel de l’enfant.
Si la valeur éducative de certains de ces jouets est parfois remise en question par certains pédagogues, cette tendance fait fleurir le marché mondial des jouets ludoéducatifs : Technavio prévoit une croissance à un taux de croissance annuel composé de près de 10 % jusqu’à 2021.
Nintendo vogue aussi sur cette tendance et a annoncé, en janvier 2018, le Nintendo Labo, un concept basé sur la construction « à faire soi-même » de jouets en carton dans lesquels s’insère la console Switch permettant de jouer à des mini-jeux dédiés. La valeur éducative de ces jouets connectés séduit les parents et potentiellement le secteur éducatif à la fois : le fabricant japonais annonçait en octobre 2018 des programmes pilotes pour intégrer le Nintendo Labo dans des cursus de STIM aux États-Unis et au Canada.
Nombreux sont les joueurs canadiens qui investissent aussi le secteur. Mentionnons au passage Boat Rocker, soit l’investisseur principal dans le cadre d’une ronde de financement de 8,5 millions de dollars américains dans l’application MarcoPolo Learning, qui enseigne aux enfants des compétences du secteur des STIAM.
Le divertissement hors foyer
Depuis l’arrivée sur le marché, en 2016, des casques de réalité virtuelle haut de gamme comme l’Oculus Rift et le HTC Vive, les ventes auprès du grand public n’ont pas été à la hauteur des prévisions de plusieurs analystes. Mais qu’à cela ne tienne, si la RV haut de gamme n’est pas encore consommée de façon massive dans les foyers, les centres de divertissement hors foyer (location-based entertainment ou LBE en anglais), c’est-à-dire des lieux dédiés où le public peut faire l’essai à moindre coût d’expériences de divertissement novatrices, notamment de RV et de RA, sont en plein essor. Déjà bien établie en Asie, la tendance gagne de plus en plus en importance au Canada.
Les centres de divertissement hors foyer s’établissent dans une multitude de lieux, dont les cinémas et les centres commerciaux. Ces derniers pourraient devenir des débouchés particulièrement intéressants pour le secteur des contenus. Depuis quelques années, les cinémas cherchent à diversifier leurs activités pour lutter contre la volatilité du box-office, tandis que les centres commerciaux, auxquels le commerce électronique nuit fortement, tentent de se réinventer en sites de divertissement. En misant sur les centres de type LBE, ces joueurs devront collaborer avec des entreprises du secteur des contenus afin de non seulement pouvoir être alimentés en contenu, mais aussi bénéficier de leur expertise technologique.
Le géant canadien Cineplex annonçait en septembre 2018 un partenariat avec VRstudios, une entreprise qui propose des solutions technologiques RV clé en main. L’entente prévoit l’ouverture de 30 à 40 installations de RV dans ses cinémas et centres de divertissement au Canada d’ici 2021. En vertu de cette entente, Cineplex a aussi obtenu une participation importante dans VRstudios, lui permettant ainsi d’exporter la technologie en Amérique du Nord et à l’échelle internationale.
Le divertissement hors foyer est particulièrement prometteur pour les expériences de RV de haute qualité puisque ces dernières ne peuvent être reproduites à la maison vu la complexité technique des dispositifs. Ainsi, le divertissement hors foyer permet au public d’essayer – dans un contexte social et souvent pour la première fois – des expériences interactives de grande qualité à faible coût. Pour les créateurs de contenu, les expériences proposées selon la formule LBE permettent de joindre un grand public à une fraction du prix qu’il en coûte pour développer du contenu destiné à être consommé à la maison.
5G, LA TECHNOLOGIE QUI PROPULSERA LE MONDE NUMÉRIQUE À LA PROCHAINE VITESSEEn réduisant les délais de réponse et en augmentant la vitesse de transfert des données, la technologie 5G permettra au secteur des contenus de livrer en temps réel des expériences gourmandes en données. La RV, la RA, le jeu vidéo, l’Internet des objets et les vidéos à large bande passante sont toutes des technologies qui bénéficieront de l’arrivée de la 5G. Pour une compréhension approfondie des impacts de la 5G sur le secteur des contenus, consultez le rapport How 5G will transform the business of media & entertainment produit par Ovum. Bien qu’on parle de la 5G depuis déjà quelques années, la technologie qui succédera à la 4G et à la LTE devient aujourd’hui prépondérante vu la course dans laquelle sont engagés plusieurs pays pour prendre la tête du développement du nouveau standard en matière de mobilité. C’est un enjeu majeur de concurrence : mettre en place le premier réseau 5G fonctionnel signifie devenir le chef de file dans la création d’applications qui exploiteront les capacités de la technologie 5G. C’est aux États-Unis, considérés comme le pays ayant remporté la mise de la 4G, qu’on a vu naître les Snapchat et Uber de ce monde. Où se classe le Canada dans cette course ? Pour mettre en place les premiers réseaux 5G, les géants des télécommunications devront attendre qu’ISED procède aux mises aux enchères des ondes en 2021. Toutefois, étant donné la mise en place du programme ENCQOR, rendant un réseau 5G précommercial accessible aux chercheurs et aux PME, des entreprises québécoises et ontariennes ont eu la possibilité de commencer à tester la technologie 5G dès 2018. |
Recherche et rédaction
Catherine Mathys, Directrice, veille stratégique, [email protected]
Pierre Tanguay, Analyste, veille stratégique, [email protected]
Sabrina Dubé-Morneau, Analyste, veille stratégique, [email protected]
Laurianne Désormiers, Coordonnatrice éditoriale, veille stratégique, [email protected]
Publié par le Fonds des médias du Canada.