Moustache et Patoune : la magie de tourner avec de vrais animaux
Tourner avec de vrais animaux exige de manier l’art de l’imprévisibilité. Phil McCordic en sait quelque chose. Mais ce qu'il n’avait pas vu venir, c’est que son émission serait aujourd’hui diffusée dans 57 pays, serait virale sur les réseaux sociaux et inspirerait un jeu sur Roblox.
C’est en 2006, alors qu’il travaillait sur Tumbletown Tales, une émission qui mettait en vedette de vrais hamsters, que le réalisateur, producteur et animateur d’émissions pour enfants Phil McCordic a eu l’idée de créer l’émission pour tout-petits Moustache et Patoune (Mittens & Pants). « Je m’étais toujours dit depuis que ce serait vraiment amusant de créer un petit univers télévisuel qui mettrait en vedette de vrais chiots et chatons », dit Phil McCordic.
Son idée s’est concrétisée en 2012, année où il a commencé à proposer son émission à des maisons de production. Celle-ci suivrait les aventures d’un chaton blanc nommé Moustache (Mittens) et de son meilleur ami Patoune (Pants), un chiot labradoodle, dans leur village de Croquette-Ville (Kibble Corners).
« Presque tout le monde me disait : oui, mais comment comptes-tu la réaliser? », se rappelle Phil McCordic.
Il a essuyé le refus de plus d’une demi-douzaine de boîtes de production avant de créer la sienne, Windy Isle Entertainment, en 2021, avec sa femme, la productrice Shereen Ali. Celle-ci deviendra vice-présidente de la boîte et l’aidera à donner vie au concept de Moustache et Patoune à l’écran.
Moustache et Patoune en est maintenant à sa troisième saison, toutes diffusées sur CBC Gem (la première est aussi offerte en français sur Tou.tv).
Apprendre à travailler avec des animaux
Sachant très bien que son équipe de comédiens, composée de chiots, de chatons, de lapins, de canetons et de cochons d’Inde, ne répondrait pas à ses directives, Phil McCordic a décidé de choisir une trame générale pour chaque émission, comme un camion de carottes qui se renverse, puis de scénariser et d’enregistrer les voix après les tournages.

Il a tout de même frappé un mur. « Ça me prenait une journée complète de montage pour obtenir une seule minute d’une vidéo de cinq minutes, se souvient Phil McCordic. J’avais l’horrible sentiment d’avoir fait une grave erreur, et que je n’arriverais jamais à créer une émission à partir de ces comportements complètement imprévisibles. »
Puis, deux semaines après le début des tournages, Phil McCordic a eu une idée de génie : filmer sur deux écrans. Il préparerait par exemple une scène montrant le chiot à gauche et le chaton à droite, puis ferait correspondre leurs comportements au montage. « Ils n'ont pas à coordonner leurs mouvements, ce qui arrive très rarement de toute façon », explique-t-il.
L’équipe travaille avec un spécialiste des animaux, et un représentant de l’organisation Movie Animals Protected est toujours présent pour superviser l’équipe sur le plateau.
Les images d’abord, le scénario ensuite
À mesure qu’il s’habituait au processus, Phil McCordic a développé une stratégie où il crée un « scénario guide », puis travaille avec les producteurs pour capter des images qui vont dans cette direction générale, laissant place à l’erreur et à la spontanéité. Celui-ci précise que les choses « dérapent » environ 70% du temps.
Les monteurs passent ensuite les séquences en revue et choisissent les meilleurs moments à inclure dans un premier montage de sept minutes. « J’examine attentivement chaque petit moment et je réécris les scènes pour m’assurer d’en intégrer le plus grand nombre possible, explique Phil McCordic. C’est un processus très libérateur, je peux décider d’aller où je veux avec le scénario. »
Le créateur se charge du doublage initial, puis des acteurs, dont Mia SwamiNathan (la voix de Mittens en anglais) et Athan Giazitzidis (la voix de Pants en anglais) livrent la version finale.
L’émission, qui a comme slogan « Vive la différence » (Different is Good), aborde des sujets positifs et rassurants pour les parents.
On y apprend notamment que Patouche a été adopté par sa maman lapine, et qu’il comprend qu’il n’est pas tout à fait comme le reste de sa famille. Au programme : des moments drôles et surprenants, avec une pointe d’humour au deuxième degré qui réussit à rejoindre les parents.
Les expériences de Phil McCordic en tant qu'acteur, scénariste et producteur le placent dans une position idéale pour tenir les rênes de la série Moustache et Patoune. « La série que j’ai créée correspond très bien à mes compétences, explique-t-il. Il y a aussi un lien de cause à effet : les compétences que je possédais déjà sont celles que nous intégrons à l’émission. »
Un attrait commercial et international
Aux balbutiements de la série, Phil McCordic s’est associé à Thunderbird Entertainment pour vendre la série sur différents marchés. « Je savais que la série remplissait tous les critères pour devenir un succès », affirme Richard Goldsmith, président de la distribution mondiale et des produits commerciaux de la société.
Selon Richard Goldsmith, les décors, les couleurs vives et les intrigues de la série attirent les enfants d’âge préscolaire, tout comme le fait que les personnages de Moustache et Patoune aient le même âge qu’eux.
L’émission est maintenant diffusée dans 57 pays, dont les États-Unis, l’Australie, le Brésil, le Danemark et les Émirats arabes unis. Plusieurs d’entre eux doublent les épisodes dans leurs différentes langues ou accents régionaux. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles l’émission s’exporte si bien; les doubleurs n’ont pas à faire coordonner leurs mots avec les mouvements des lèvres des personnages.
Avant que Phil McCordic choisisse les décors de l’émission, Richard Goldsmith l’a mis en contact avec un consultant en jouets qui lui a offert des conseils, notamment sur la conception des bâtiments et des véhicules. « On voulait s’assurer que tous les éléments présents dans l’émission se convertissent bien en produits de consommation parce que c'est de là que les revenus peuvent venir », explique Richard Goldsmith. Bien que l’émission n’ait pas encore produit de jouets, celui-ci prévoit bien s’y afférer une fois qu’un plus grand public aura été rejoint.
Des contenus sociaux qui parlent aux jeunes et moins jeunes
L’une des raisons du succès populaire de Moustache et Patoune est sa présence sur les médias sociaux. L’équipe de Thunderbird gère la chaîne YouTube de l’émission, mais c’est David Elmaleh, vice-président du développement des publics et des médias sociaux à Windy Isle, qui est derrière ses comptes Instagram et TikTok. Depuis qu’il a rejoint la boîte, en juillet 2024, la page Instagram de l’émission est passée de 700 à 204 000 abonnés, et sa page TikTok de 9 000 à 55 000 abonnés.

David Elmaleh a rapidement compris que le succès de l’émission sur les réseaux sociaux était en grande partie lié à sa popularité chez la génération Z (composée maintenant d’adolescents et de jeunes adultes). « On constate, sur Instagram particulièrement, qu'on est une source de réconfort pour la génération Z, explique David Elmaleh. Ils utilisent l’émission comme échappatoire à leur quotidien. »
Maintenant que Moustache et Patoune dispose d’un auditoire fidèle, David Elmaleh espère que les algorithmes d’Instagram et de TikTok feront atterrir plus de parents sur les pages de l’émission et qu’ils réussiront ainsi à attirer encore plus de petits téléspectateurs d’âge préscolaire. « Chaque abonné est important, dit-il. Tout ça favorise la découvrabilité. »
L’émission a également lancé un jeu sur Roblox, qui met en vedette l’un de ses personnages les plus populaires, un lapin cultivateur de carottes nommé Monsieur LaFleur, ce qui contribue au rayonnement de l’émission.
L’analyse des performances sur les réseaux sociaux permet aussi à Phil McCordic de comprendre ce qui trouve un écho auprès de public. Par exemple, une émission qui montre Moustache en classe avec trois autres chatons a connu un succès monstre sur le Web, et c’est pourquoi Phil McCordic a décidé de recréer ce type de scénario dans la troisième saison.
« On ne sait pas exactement pourquoi les gens ont aimé le concept, mais nous avons écrit un autre épisode sur les chatons en classe et le résultat est vraiment attachant et amusant, explique Phil McCordic. C’est vraiment de la folie. On crée le meilleur contenu possible, et on croise les doigts pour que ça fonctionne. Si vous connaissez une meilleure façon de rejoindre plus de gens, je suis ouvert aux suggestions! »