Amar Wala et le cinéma « radical »
Du documentaire à la fiction, le cinéaste évolue, et demeure engagé en faveur des voix sous-représentées.
Depuis dix ans, le scénariste et réalisateur Amar Wala raconte la vie des autres dans ses documentaires primés, tels The Secret Trial 5 (2014), portant sur l’emprisonnement injustifié de cinq hommes musulmans, Salaam B’y (2018), qui amène un regard inspirant sur un Terre-neuvien musulman, et des épisodes d’In the Making (2018), sur divers artistes.
À présent, il se lance dans le cinéma de fiction avec Shook, son premier long métrage, librement inspiré de sa propre histoire. Le film, dont la sortie est prévue plus tard cette année, raconte son enfance à Scarborough, en Ontario, après que sa famille a émigré de l’Inde.
Futur et médias a eu l’occasion de prendre des nouvelles d’Amar Wala. Au téléphone depuis son bureau de Toronto, le cinéaste de 40 ans nous a parlé de ce qui lui a inspiré Shook, qu’il aimerait voir devenir Le destin de Will Hunting de son époque, et de ses efforts constants pour mettre en lumière les cinéastes autochtones, inuit, métis, afro-descendant·es et racisé·es.
Qu’est-ce qui vous a inspiré à faire Shook?
Le film est inspiré de choses personnelles, dont le diagnostic de la maladie de Parkinson de mon père. C’est quelque chose qui m’est arrivé dans ma vingtaine et cela a évidemment constitué un moment charnière de ma vie. Des années plus tard, lorsque je pensais à écrire quelque chose, c’est ce qui sortait de moi chaque fois que je me posais pour écrire.
Et c’est ce que vous avez fait en 2018, en écrivant et en réalisant le court métrage Shook, qui sert de point de départ à ce long métrage.
Oui, j’ai décidé de faire le court métrage d’abord. C’est quelque peu semblable à L’Adieu de Lulu Wang, qui porte sur elle, la maladie dans sa famille et les façons précises de composer avec la maladie dans une famille de personnes immigrées. Il y a donc des parallèles à tracer ici.
Pouvez-vous nous résumer le synopsis?
Le film porte sur un jeune aspirant écrivain, Ash (joué par Saamer Usmani de Le Problème à trois corps), qui tente de faire son chemin dans la vie lorsque son père reçoit un diagnostic inattendu. Ça parle de tenter de trouver sa place et de faire son propre chemin tout en restant proche de sa famille.
Et c’est seulement lorsque j’ai regardé le film terminé avec l’équipe et les membres de la distribution que j’ai réalisé qu’il porte en fait sur la grande capacité d’adaptation des êtres humains lorsque des malheurs surviennent. Les nouvelles situations ne sont pas nécessairement négatives, on peut toujours s’y adapter et évoluer, et aller de l’avant avec les personnes que l’on aime.
C’est un film qui célèbre la positivité et l’espoir.
J’ai coécrit le scénario avec mon ami Adnan Khan, qui est un auteur incroyable. Le résultat s’est révélé drôle, touchant et beaucoup plus léger que si nous l’avions écrit il y a quelques années.
Cela découle de ma réaction au genre d’œuvres concernant les personnes autochtones et racisées que l’on a vues dans les dernières années. Bon nombre de ces œuvres portent sur les difficultés et les barrières liées au racisme, et sur les traumatismes qui en découlent. Ce n’est pas une mauvaise chose, mais je pense aussi que, en tant que spectateur, je voulais m’en affranchir. Je pense que beaucoup de gens ne s’attendent pas à cela de ma part.
Parlez-moi de ce que votre travail en faveur de la diversité et de l’inclusion dans l’industrie. Qu’est-ce que cela implique?
Je suis le cofondateur d’un organisme, le REMC – The Racial Equity Media Collective — qui travaille étroitement avec le FMC, pour ses programmes destinés aux cinéastes racisé·es et sa collecte de données fondées sur l’origine ethnique. Pendant la pandémie et après [l’assassinat de] George Floyd, il y a eu ce moment où l’industrie semblait réceptive à changer les choses et à revoir son approche en matière de lutte contre le racisme.
Ça a semblé être le moment idéal pour promouvoir quelques réformes. Nous avons réussi à obtenir de certaines organisations, dont le FMC, qu’elles commencent à recueillir des données relatives à la race des bénéficiaires des fonds, pour que l’on puisse réellement résoudre certains problèmes. C’est un travail perpétuel. Ça n’arrêtera jamais. Et espérons que nous voyions bientôt des résultats quantifiables.
Revenons à Shook, il s’agit de votre premier long métrage scénarisé. Qu’est-ce qui vous a le plus surpris de ce processus en tant que réalisateur?
Rien n’était surprenant. En fait, j’ai été étonné de constater à quel point c’était naturel et agréable! La production s’est vraiment bien passée et l’ambiance sur le plateau était chaleureuse et très communautaire. C’était comme je l’espérais, ce qui est en effet un peu surprenant, car le cinéma est un travail très difficile. La plupart du temps, nous manquons cruellement de ressources. Alors qu’il s’agit d’un petit film — il est considéré comme un long métrage à petit budget —, nous avions suffisamment de ressources en place pour prendre soin de moi et me protéger en tant que réalisateur, ce que j’ai beaucoup apprécié. Cela m’a rappelé ce que c’est que de travailler lorsque l’on dispose des bonnes ressources, et à quel point cela peut être créatif et merveilleux.
Vous êtes-vous inspiré d’autres films pour trouver le bon ton ou le bon style?
Dans Shook, on voit un groupe de jeunes hommes de Scarborough parcourir la ville, donc Le destin de Will Hunting était une référence à laquelle nous retournions souvent. C’est bien sûr un film très différent, sur une personne originaire d’une certaine partie de Boston et qui entre dans un monde académique riche, tandis que notre personnage tente de réussir comme écrivain et de pénétrer la scène littéraire. Les deux films captent cette distance que l’on ressent lorsque l’on vient de la banlieue d’une ville ou d’un quartier défavorisé.
Avez-vous toujours voulu être cinéaste?
Le choix était évident pour moi. Mes deux parents sont très artistiques. Mon père était producteur pour la télévision en Inde avant que l’on immigre ici, donc il n’y a jamais vraiment eu de doute sur ce que je voulais faire et sur le fait que j’allais essayer de le faire. Mes parents m’ont toujours soutenu. De plus, nous venons de Mumbai, une des rares villes au monde où l’industrie du cinéma est vraiment énorme, donc c’était naturel pour moi.
Comment voulez-vous que le public se sente après avoir regardé le film?
Oh wow! Je suppose que je veux que les gens se sentent joyeux, énergisés et inspirés. Je veux qu’ils ressentent ce que les films me faisaient ressentir quand j’étais jeune, quand je regardais quelque chose de vachement bon (rires). Ce sentiment qu’on a lorsqu’on sort de la salle de cinéma, et qu'on sait qu’on vient de voir quelque chose d’extraordinaire et qu’on va le revoir. Évidemment, c’est très ambitieux. Vraiment, ce que nous voulons, c’est que ce film semble familier, mais qu’il soit radical en raison des personnes à l’écran. On ne voit jamais de personnages à la peau brune comme ceux-là. Pour moi, c’est ce qui rend le film radical. Et j’espère que cela aura un sens pour le public.