Améliorer l’accès aux marchés du cinéma et de la télévision: leçons apprises en pandémie

La pandémie de coronavirus a bouleversé tous les secteurs de l’industrie du cinéma et de la télévision, dont ceux des marchés et des festivals. Si certains ont dû annuler leur événement de 2020 et même de 2021, bon nombre d’organisateurs ont choisi d’offrir leurs festivités en ligne et de présenter leur programmation en format virtuel. Aujourd’hui, on voit poindre à l’horizon le retour des grands rassemblements, et il convient de se poser quelques questions: qu’aurons-nous retenu de tous ces événements virtuels? Est-ce qu’ils auront une influence sur les festivals et les marchés de demain?

Afin d’obtenir des réponses à ces questions, la maison de production 1844 Studios Inc. a collaboré avec le Conseil des arts du Canada pour mener une étude sur l’influence du format virtuel intitulée Improving Access to Film & Television Markets («Améliorer l’accès aux marchés du cinéma et de la télévision»). Pour récolter leurs données, ils ont mené 14 entrevues de fond auprès de travailleurs de tous les secteurs du milieu du cinéma et fait des recherches «sur le terrain» en mode virtuel dans 13 marchés-clés. «Notre équipe a élaboré une étude afin d’analyser les possibilités d’amélioration de l’accès à un marché en ligne pour les collectivités précédemment non desservies et de déterminer le format que pourrait prendre ce marché», explique Nauzanin Knight, qui a contribué à la rédaction du texte de recherche.

Les participants à l’étude s’entendaient tous pour dire que les marchés traditionnels du cinéma et de la télévision sont remplis d’obstacles nuisant à la participation, depuis les coûts élevés associés aux droits d’entrée et aux voyages jusqu’aux exigences en matière d’accréditation et d’inscription. Les marchés sont des événements qui peuvent être étourdissants pour les nouveaux venus, quand ils ne sont pas carrément inaccessibles pour les gens issus de collectivités marginalisées.

«Nos résultats suggèrent que, pour ceux qui ont déjà rencontré des barrières systémiques lorsqu’ils ont voulu prendre part à ces événements, la présentation des marchés en virtuel permet d’éliminer certains obstacles à la participation. C’est particulièrement vrai pour les mères de famille, les gens qui habitent en région éloignée et les cinéastes issus de collectivités sous représentées, révèle Nauzanin Knight. De plus, en optant pour des événements virtuels, on pourrait aussi améliorer l’accessibilité pour des gens vivant avec un handicap.»

La réduction des coûts entraînerait aussi une plus grande participation. En effet, si les événements avaient lieu en ligne, les gens n’auraient plus besoin de voyager pour y assister (donc pas de coûts liés aux déplacements, à l’hébergement ou à la garde des enfants, par exemple). Les participants à l’étude ont également mentionné la réduction de l’empreinte carbone associée aux événements virtuels.

Une fois ces barrières éliminées, tout le monde profiterait d’une meilleure accessibilité, pas seulement les cinéastes et les producteurs. L’étude a révélé, par exemple, une augmentation de la participation des entreprises de taille moyenne, qui agissent comme des remparts entre les grands studios et les créateurs de contenu. Elle a également mis en lumière la grande variété d’intervenants et de conférenciers auxquels on a accès lorsqu’on réduit les considérations financières et géographiques. Cela pourrait inciter l’industrie à créer des marchés potentiellement plus riches, plus diversifiés et qui mettraient en relation un plus grand éventail d’acteurs de l’industrie.

Les auteures du rapport ont constaté que le format numérique lui-même offrait ses avantages, dont «le côté pratique des plateformes transactionnelles et autres catalogues accessibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.» Cela permet aux acheteurs et aux vendeurs une meilleure gestion de leurs produits et de la façon dont ils sont reçus.

Toutefois, d’autres aspects du format virtuel se sont avérés moins efficaces. Pensons entre autres à certains algorithmes mettant acheteurs et vendeurs en relation; des participants se sont plaint que cela «manquait de contact humain». De plus, pour que les opérations en virtuel se déroulent sans accrocs, certains ont suggéré qu’on offre en amont davantage de tutoriels et d’exercices pour apprendre à manipuler l’interface avant l’ouverture du marché.

Malheureusement, les marchés virtuels s'accompagnent de quelques-uns des mêmes obstacles que les marchés «en personne», comme le côté exclusif de l’accréditation et du réseautage. En outre, certains éléments des marchés traditionnels sont absents de la sphère virtuelle. Pensons aux rencontres fortuites et à la fameuse (et essentielle) effervescence festivalière. Enfin, s’il y a une chose que nous avons retenue de la dernière année passée en télétravail, c’est bien qu’on se fatigue à passer du temps devant nos écrans, et les marchés virtuels n’échappent pas à cette réalité.

Selon Nauzanin Knight, «tous les participants à l’étude étaient impatients de reprendre les événements en personne.» Néanmoins, la chercheuse prédit que le futur des marchés sera hybride. «Il s’agira de réunir le présentiel et le virtuel, afin de profiter de l’expérience que propose le marché en personne et de la plus grande accessibilité qu’offre le marché en ligne.»

Mais le concept de marchés hybrides suscite aussi de l’inquiétude. Il amplifierait possiblement les inégalités entre ceux et celles qui auraient les moyens de participer à la version en personne et les autres qui devraient se contenter de la version virtuelle, une séparation qui favoriserait certains groupes pouvant se permettre d’être sur place. La formule hybride risquerait aussi de mener à la disparition des plus petits événements moins dispendieux, étant donné que les gens auraient tendance à participer aux plus gros festivals. Si les événements majeurs réunissant une masse critique de participants finissent par occuper une place prépondérante dans les budgets de voyage, les petits marchés avec un créneau plus spécifique auront de la difficulté à tenir leurs événements en personne.

Compte tenu de ce danger potentiel, l’étude conclut en proposant «une double stratégie pour améliorer l’accès aux marchés du film et de la télévision: (1) s’assurer que les marchés en ligne continuent de se transformer pour répondre aux besoins d’un plus grand nombre d’acteurs de l’industrie et (2) augmenter le nombre de programmes d’accessibilité soutenant les cinéastes, et plus particulièrement ceux et celles issus de groupes marginalisés ou de régions éloignées.»

Selon les participants à l’étude, ces programmes d’accessibilité «réduisent le stress associé au fait d’entrer dans l’environnement chaotique de ce type de marchés» en permettant aux intervenants du milieu du cinéma et de la télévision de se réunir en petits groupes et de prendre part aux marchés en tant que communautés. «On se sent plus à l’aise pour provoquer des occasions quand on est dans un esprit de camaraderie et qu’on peut s’appuyer sur notre groupe», explique Nauzanin Night.  Cela facilite non seulement l’entrée dans cet environnement, mais cela rend aussi la culture de ces marchés plus accessible. En résumé, ce qu’il faut retenir de cette étude sur l’avenir des marchés du cinéma et de la télévision, c’est que les programmes d’accessibilité et les avantages du virtuel seront au cœur de leur succès.


Jessica Yang
Jing Xian (Jessica) Yang est candidate au doctorat à la University of Southern California. Elle y étudie le point d’intersection entre les nouveaux médias et la recherche sur les communautés de fans (les fandoms). Elle a complété son premier cycle universitaire à l’Université de la Colombie-Britannique avec une double majeure en psychologie et en études cinématographiques. Elle vise à harmoniser les méthodes quantitatives, les études culturelles et les analyses textuelles en vue de mieux saisir les nuances et complexités des tendances et communautés en ligne.
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