BBC Radio 1 réinvente la radio… par la vidéo

Très souvent, les idées audacieuses et les innovations voient le jour dans ces temps difficiles où les industries qui se trouvent dans l’embarras s’accrochent aux anciens modèles d’affaires. Et, dans bien des cas, ces idées audacieuses proviennent d’entreprises de secteurs autres que ceux des industries en difficulté. Pensons à Napster et à Apple, qui ont réorganisé l’industrie de la musique, à Netflix, qui a changé notre façon de consommer films et séries télé, et à Pandora, qui a fait passer la radio d’une diffusion linéaire à sens unique à un flux bidirectionnel sur mesure.

La situation est d’autant plus remarquable quand l’apport de nouvelles idées, la prise de grands risques et la conquête de nouveaux publics sont le fait d’une entreprise médiatique traditionnelle qui connaît déjà un grand succès. Pourtant, c’est exactement ce que BBC Radio 1 est en train d’accomplir. Malgré le fait qu’elle jouit d’une grande loyauté, d’une image de marque largement reconnue, de millions d’auditeurs actuels et d’une réputation d’influenceur culturel autant chez elle qu’à l’étranger, l’équipe de BBC Radio 1 a mis au point une stratégie des plus inhabituelles (au moins pour ce qui est des entreprises médiatiques traditionnelles) et refuse de se reposer sur ses lauriers.

Voici les huit façons via lesquelles la chaîne BBC Radio 1 façonne l’avenir de la radio… par la vidéo

1. Elle a créé un service de visualisation pour la radio  
Joe Harlan porte l’un des titres les plus singuliers de l’industrie de la radio : celui de directeur de la visualisation pour la radio à BBC Radio 1. Son équipe de visualisation compte six membres, qui tous, sauf un, possèdent une expérience de travail à la radio. Leur tâche consiste à apporter du contenu visuel (autrement dit, vidéo) à la programmation radio de BBC Radio 1. Et l’équipe de visualisation ne manque pas de travail : des entrevues avec des célébrités dans leurs studios de radio aux musiciens en vue jouant des reprises, et des couvertures de festivals musicaux au contenu original de leurs animateurs de radio, le matériel vidéo abonde sur la chaîne YouTube de BBC Radio 1.

2. La radio reste la priorité
La radio n’est pas détrônée : tout ce qu’entreprend BBC Radio 1 la met au premier plan. La stratégie de visualisation de BBC Radio 1 dérive de la programmation radio existante, et non l’inverse. D’où la décision d’engager surtout des réalisateurs d’émissions radiophoniques pour créer le contenu vidéo, explique Joe Harlan : « Quand on vient du monde de la radio, on comprend l’intérêt d’apporter du contenu visuel… et on sait où il ne faut faire aucun compromis. »

Rhys Hughes, le directeur de la programmation à BBC Radio 1, résume la stratégie du service à trois mots : « Écouter. Regarder. Partager. La priorité consiste à “écouter”, mais “regarder” prend de plus en plus d’importance. “Partager” fait référence à la façon dont nous engageons un dialogue avec le public sur les médias sociaux. »

C’est au terme d’une série d’essais et d’erreurs qu’ils en sont arrivés au principe de primauté de la radio. « Au début, nous avons cherché à créer des moments visuels qui n’étaient pas directement liés à la radio, dit Joe Harlan. Les résultats ne nous mettaient pas vraiment en valeur. Maintenant, tout est rattaché à la radio. Il nous arrive à l’occasion d’avoir des idées axées seulement sur la vidéo, mais de façon générale, tout le matériel tire son origine de la radio. » La formation de l’ensemble du personnel met l’accent sur la recherche de ce que Rhys Hughes appelle « le compromis élégant ». L’objectif n’est pas de convertir des réalisateurs d’émissions radiophoniques en réalisateurs d’émissions télévisées, mais plutôt de sensibiliser toute l’équipe aux possibilités offertes par les deux médias.

3. Elle comprend sa concurrence dans la sphère vidéo
Relativement aux vidéos de prestations musicales, Joe Harlan explique : « Notre concurrence, ce n’est pas seulement les autres stations de radio; c’est aussi des émissions télévisées comme Jimmy Kimmel Live. Il nous faut passer à un niveau supérieur. » Et c’est ce qu’ils ont fait en créant sur YouTube un espace spécialement dédié aux prestations musicales. « The Live Lounge » est un studio de spectacle et d’enregistrement conçu uniquement pour produire de superbes vidéos musicales pour YouTube. Le studio bourdonne d’activités : la semaine de ma visite, on enregistrait des prestations de Taylor Swift, d’Ed Sheeran et de Maroon 5. Le lieu fourmillait de vedettes – comme MuchMusic ou MTV à leurs beaux jours. Et le public de YouTube semble y prendre vraiment plaisir : BBC Radio 1 compte maintenant 1,2 million d’abonnés à sa chaîne officielle.

4. Elle est au fait des stratégies de contenu multiplateforme
Joe Harlan décrit sa philosophie multiplateforme très succinctement : « Présenter le bon contenu sur la bonne plateforme au bon moment dans le bon format. » C’est pourquoi le seul endroit où la radio n’est pas la priorité, c’est en ligne. Comme le « partage » est l’un des éléments au cœur de la stratégie, l’accent est mis sur les formats que les gens partagent effectivement. « En général, nous ne mettons pas en ligne autant d’extraits audio, car les résultats ne sont pas à la hauteur », souligne Rhys Hughes. Joe Harlan abonde dans le même sens : « Les gens partagent plus volontiers un clip vidéo qu’un clip audio. »

Une solide stratégie multiplateforme se doit également d’inclure une définition intelligente du service global. « Le mot “radio” fait partie de notre nom, mais nous ne voulons pas nous limiter en disant “BBC Radio 1 est le meilleur service audio qui soit”. » BBC Radio 1 cherche plutôt à s’imposer auprès des jeunes Britanniques comme le diffuseur de musique le plus attrayant et divertissant. Cela permet au personnel de penser au-delà de la radio et d’envisager plus facilement de nouvelles façons de faire et de nouvelles plateformes pour joindre les jeunes amateurs de musique.

5. Elle a réinventé le studio de radio
À BBC Radio 1, les studios de radio sont équipés d’un système de production vidéo incroyablement simple : il n’y a que trois boutons dans tout le studio qui concerne la vidéo – un pour l’éclairage, un pour changer les nuances de l’éclairage et un pour activer la diffusion en continu. Des caméras fixes ont été placées à des endroits stratégiques pour capter divers angles et couvrir tout l’espace. Les caméras sont activées automatiquement sans l’intervention d’opérateurs; les animateurs de radio n’ont donc qu’à appuyer sur deux-trois boutons pour enregistrer une vidéo en quelques secondes.

La BBC a même mis au point son propre logiciel, Trigger Mix, qui suit les formes d’onde audio sur chaque micro et effectue automatiquement le montage des entrevues en temps réel. Quand quelqu’un se met à parler, le logiciel insère une brève pause, puis passe à la caméra qui est braquée sur le locuteur. Chaque entrevue est filmée et rendue accessible sur YouTube dans un délai de 30 minutes. La solution est rapide, simple et efficace.

Surtout, le système vidéo donne la priorité à la radio. « Nous cherchons d’abord à nous assurer que la vidéo ne prenne pas le dessus pour ruiner l’émission de radio », souligne Joe Harlan. Tout de même, la qualité de la vidéo n’est pas négligée. En fait, une vedette hollywoodienne particulièrement soucieuse de son image a récemment loué le système d’éclairage de BBC Radio 1. « Quand Kim Kardashian vous donne un sceau d’approbation, cela veut dire que vous avez réussi à mettre tout le monde en valeur dans le studio de radio, blague Joe Harlan. Après tout, si on ne vise pas l’excellence visuelle, qui prendra la peine de regarder la vidéo? »

6. Elle offre aux artistes et aux maisons de disque un guichet unique pour joindre les amateurs de musique
Avec le service de radio et la chaîne YouTube, BBC Radio 1 a maintenant accès à un vaste public (sur deux plateformes qui plaisent aux jeunes amateurs de musique), ainsi qu’à une légion d’abonnés sur les médias sociaux. Avec cette combinaison de solides plateformes traditionnelle et numérique, elle présente une offre que peu de concurrents peuvent égaler – et qui pourrait bien faire de BBC Radio 1 une destination incontournable des artistes de renom pour encore un bon moment.

7. Elle réinvente l’animation et la programmation radio
Geste des plus audacieux, le service a embauché deux YouTubeurs en vue, Dan Is Not On Fire et Amazing Phil… non pas pour créer des vidéos, mais pour présenter une émission de radio hebdomadaire. Chaque semaine, le duo demande au public de produire des vidéos sur YouTube pour solliciter les chansons qu’il souhaite entendre sur BBC Radio 1. Dan et Phil sélectionnent ensuite les meilleures vidéos pour en faire une programmation radio de demandes spéciales nouvelle vague qui fait état en direct des tendances mondiales en ligne. Leur émission atteint dix fois le volume de diffusion en continu des autres émissions produites par BBC Radio 1. D’autres créneaux radio mettent régulièrement en vedette des YouTubeurs très connus (dont SMOSH, Zoella et Tyler Oakley) qui, pour la plupart, comptent des millions d’abonnés. Le résultat? Les amateurs de YouTube deviennent un public fidèle de BBC Radio 1.

8. Ses chaînes de médias sociaux débordent du cadre de la programmation en ondes de BBC Radio 1
Selon Rhys Hughes, si BBC Radio 1 connaît un grand succès sur les médias sociaux, c’est qu’elle reconnaît ouvertement que son auditoire embrasse une multitude de champs d’intérêt et de choix de divertissement qui ne relèvent pas de BBC Radio 1. Avec une directrice des médias sociaux dévouée dont la tâche consiste à dialoguer activement avec le public, l’équipe « entend adopter un ton et une touche distinctive sur Twitter et Facebook qui font place à l’humour et ne sont pas perçus comme du baratin d’entreprise ». BBC Radio 1 est la première chaîne de médias sociaux de l’entreprise qui mentionne volontiers des programmes, comme X Factor, qu’elle ne produit pas. « Cela montre que nous voyons au-delà de la station de radio dont nous faisons partie : nous sommes branchés sur notre époque. »

Les stratégies avant-gardistes de BBC Radio 1 peuvent servir d’exemple à toute entreprise médiatique traditionnelle, et il semble qu’au moins l’une d’entre elles cherche effectivement à s’en inspirer : la BBC elle-même. Cet automne, on a réussi adroitement à faire sensation avec le lancement d’un nouveau service, BBC Music, grâce à une version vidéo éblouissante de God Only Knows débordant de célébrités. On peut s’en douter, la chanson a connu un succès viral immédiat sur YouTube. En moins de deux mois, la vidéo a été visionnée 9,5 millions de fois, et BBC Music compte déjà plus de 2,3 millions d’abonnés sur YouTube. Il ne fait aucun doute qu’on entendra encore parler d’autres stratégies numériques brillantes de la BBC – qui nous en mettront plein la vue.


Steve Pratt
Steve Pratt est le co-fondateur de Pacific Content et ancien chef de la section musique numérique pour CBC Radio 3 et CBC. Avec Pacific Content, il crée des stratégies de contenu à la fois pour les entreprises média et non-média.
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