Comédies canadiennes : le secret est dans la sauce 

Les Canadiens sont reconnus pour leur sens de l'humour. Des sketchs aux comédies de situation, ils ont le don de faire rire. Même s'il n'y a pas de recette miracle pour dilater la rate du public, il existe bien des ingrédients de chez nous qui sont saupoudrés généreusement dans nos émissions les plus comiques. 

Le sentez-vous ? 

Il y a beaucoup de colère dans l'air. Les Canadiens sont irrités, vexés, agacés. 

Une grande partie de cette rage est dirigée contre nos voisins du Sud et contre un président américain en particulier. Pour gérer le stress des tarifs douaniers, d'une éventuelle annexion et de tout ce que l'univers pourrait encore nous envoyer, on peut simplement changer de poste. Exit les mauvaises nouvelles, bonjour la comédie télévisée!  

L’humour n'est peut-être pas le meilleur remède, mais les Canadiens s’y raccrochent volontiers – surtout que nous maîtrisons l’art de provoquer un éclat de rire. D’ailleurs, comment y parvenons-nous? 

Nous sommes une petite nation de 40 millions d'habitants issus de milieux culturels très différents. Nous vivons sur un territoire immense, des communautés isolées aux grandes villes. Et, depuis 70 ans, les Canadiens-Anglais doivent rivaliser avec les comédies américaines à gros budget.  

Il suffit de chercher quelques minutes pour tomber sur des comédies de chez nous de qualité – Letterkenny, Small Achievable Goals, Schitt's Creek, North of North, Kim's Convenience, Shoresy, pour n'en citer que quelques-unes créées en anglais. En français, pensons à Lakay Nou, C’est comme ça que je t’aime, L’œil du cyclone, Double jeu, ou Gâtées pourries

Letterkenny. Crédit photo: Bell Média

Les types de comédies, les interprètes et les sujets varient, mais elles font toutes rire. Quel est donc le dénominateur commun? C'est le sens de la communauté qu’elles portent, ou plutôt le sens des communautés. 

Buffet communautaire 

Certaines émissions célèbrent la vie dans les petites municipalités où tout le monde se connaît… et connaît les secrets de chacun! Aucun personnage n'échappe à la surveillance, mais personne n'est pour autant mis à l’écart. Ces séries parlent du lien entre les gens.  

Ainsi, la famille Rose fait de Schitt's Creek son foyer, bien qu’elle y détonne. Les joueurs de hockey, les fermiers et les mennonites s'unissent quant à eux grâce à des jeux de mots grossiers dans Letterkenny. Et les habitants de Dog River, malgré leurs taquineries, ne sont pas bien méchants dans Corner Gas

Nos comédies plongent aussi profondément dans le multiculturalisme. Contrairement à de nombreuses comédies télévisées américaines, les séries canadiennes embrassent la diversité culturelle, s'attaquent avec humour aux stéréotypes et les exposent pour en rire. Cette tendance fait partie de notre paysage médiatique depuis des décennies. 

Da Kink in My Hair, qui se déroule dans un salon de coiffure au cœur de la communauté canado-caribéenne de Toronto, a innové en 2007 en devenant la première comédie canadienne créée par des femmes noires et mettant en scène des femmes noires. Little Mosque on the Prairie a pour sa part éclairé les téléspectateurs sur la foi musulmane. Kim's Convenience a marqué les esprits en juxtaposant les cultures coréenne traditionnelle et canadienne moderne, tout en ouvrant une fenêtre sur l'expérience des immigrants, les commerçants Appa (Paul Sun-Hyung Lee) et Umma (Jean Yoon) devant composer avec la vie dans un nouveau pays.  

Paul Sun-Hyung Lee et Jean Yoon dans Kim's Convenience. Crédit photo: Thunderbird Entertainment

Lorsque les personnages parlaient avec un accent coréen, certains critiques s'en offusquaient, arguant qu'il s'agit d'un procédé humoristique paresseux. Mais en 2016, Paul Sun-Hyung Lee a déclaré à MacLean's : « L'accent – l’accent n'est pas la blague. Il fait partie du personnage, mais ce n'est pas la blague... Appa n'est pas qu'une voix. Il n'est pas un stéréotype. Un stéréotype, c'est la fin d'un personnage. » 

Ces émissions ont ouvert la voie à certaines des comédies canadiennes les plus innovantes d'aujourd'hui. Ainsi, la culture queer est à la fois célébrée et tournée en dérision de façon bien pimentée dans I Hate People, People Hate Me. Une mère inuk malheureuse cherche pour sa part à se réinventer dans North of North. Lakay Nou, sitcom qui suit un couple d’origine haïtienne coincé entre deux générations, est la première série québécoise à avoir droit à une distribution en majorité afrodescendante. 

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Lakay Nou. Crédit photo: Ève B. Lavoie

Dans Late Bloomer, nous suivons plutôt les mésaventures d'un millénarial sikh qui voudrait bien connaître le succès comme influenceur. Et deux jeunes femmes des Premières Nations prennent toutes les mauvaises décisions sur le chemin de l'âge adulte dans Don't Even

Des goûts différents au Canada et aux États-Unis ? 

Il est fascinant de comparer les comédies canadiennes et américaines. Alors que beaucoup de nos comédies sont centrées sur des communautés spécifiques, les séries américaines mettent surtout des milieux de travail en scène. The Office, Parks and Recreation, Superstore, 30 Rock, Brooklyn Nine-Nine, Party Down et Abbott Elementary nous viennent immédiatement à l'esprit.  

Bien sûr, on y voit des personnages en dehors du travail. Mais les éclats de rire sont surtout provoqués par les mésaventures, les relations et la pression du boulot. 

C'est peut-être parce que les principes de la société américaine – la volonté de réussir, l'acquisition d'un statut et d'une richesse – sont si profondément ancrés dans leur culture que les créateurs considèrent le lieu de travail comme une source d’humour. 

L’incontournable série à sketchs  

Lorsque les Canadiens veulent se moquer de leur lieu de travail, ils se tournent vers la série à sketchs et, sans vouloir se vanter – ce n’est pas dans l’ADN canadien de faire ça! –, notre comédie à sketchs est de classe mondiale. 

Second City Television, communément appelée SCTV et diffusée pour la première fois en 1976, a établi la norme pour les émissions à sketchs. L’influence de cette série, qui se déroulait dans une station de télévision située dans la ville fictive de Melonville, se fait d’ailleurs encore sentir aujourd'hui. SCTV parodiait tout ce qui touche à la télévision, y compris la difficulté de travailler pour un réseau à petit budget. Les jeunes acteurs de la série sont devenus des légendes de la comédie, notamment Catherine O'Hara, Martin Short, Eugene Levy, Andrea Martin, John Candy, Rick Moranis et Harold Ramis. 

L'héritage de SCTV a inspiré la troupe de Kids in the Hall, composée de Dave Foley, Bruce McCulloch, Scott Thompson, Kevin McDonald et Mark McKinney. Ces créateurs ont pris plaisir à se moquer du travail de bureau, que ce soit dans le sketch récurrent des secrétaires (mettant en vedette Cathy avec un C et Kathy avec un K) ou en s’en prenant aux hommes d'affaires (en leur « écrabouillant » la tête). Le neuf à cinq en a pris pour son rhume! 

Et il faut saluer l'ensemble féminin du Baroness Von Sketch Show, composé de Meredith MacNeill, Carolyn Taylor, Jennifer Whalen et Aurora Browne, qui s'est attaqué au monde du travail moderne avec un humour féministe percutant. Pensons au sketch « Honesty Circle », dans lequel des employées de bureau un brin nerveuses sont encouragées par leur patronne à partager leurs sentiments dans un « espace sûr », avant d'être licenciées pour leurs propos.  

Un soupçon de compassion 

On dit que l'une des plus importantes exportations du Canada est sa bienveillance, qu'il s'agisse de Casques bleus ou d’humoristes. 

Dans une entrevue accordée en 2019 au site web Refinery 29, Catherine O’Hara a déclaré : « Sans vouloir nous vanter, je dirais que nous, les Canadiens, savons nous moquer de nous-mêmes sans que cela ne tourne trop autour de nous. Nous rions avec le monde entier, avec intelligence et compassion et, souvent, avec un humour noir. » 

Il est révélateur qu'O’Hara parle de compassion dans sa définition. S'il y a bien une chose dont le monde a besoin aujourd'hui, c'est de compassion. Nous pouvons encore nous moquer de nous-mêmes et des autres en ces temps incertains, mais faisons-le en sachant que nos défauts et nos faux pas sont ce qui nous rend humains et nous unit au-delà des frontières. 


Ingrid Randoja
Journaliste indépendante, Ingrid Randoja est l'ancienne responsable éditoriale de la section Film du magazine NOW de Toronto, l'ancienne rédactrice en chef adjointe du magazine Cineplex et l'une des membres fondateurs de la Toronto Film Critics Association.
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