Création de contenu original – YouTube poursuit sur sa lancée
À l’occasion du dernier MIPTV, YouTube était invité à faire une présentation de ses chaînes issues du monde entier, saisissant ainsi l’occasion de faire le point sur la stratégie du groupe en matière de contenus.
Un aperçu des chaines à succès soutenues par YouTube
« Les Original Online Content Screenings [présentés par YouTube] ont pour but de montrer à l’industrie de la télévision la créativité dynamique et innovante qui abonde sur la toile, et d’encourager les interactions entre ces chaînes du web et les autres plateformes », a déclaré en guise de préambule Laurine Garaude, directrice de la Division télévision du MIPTV.
Inviter des « youtubers » (les contributeurs, vidéastes actifs de la plateforme) sur la grande scène de l’auditorium, celle-là même qui a vu passer tant de grands noms du cinéma et de la télé, voilà qui correspond totalement à la devise du MIP cette année : « Internet is the future of television ».
La petite dizaine de chaînes présentées, toutes partenaires du programme de génération de revenus de YouTube, certaines même financées par ce dernier, affichent parmi les plus hauts taux d’engagement dans leurs pays respectifs.
VSauce (États-Unis, 3,2 millions d’abonnés) est la première chaîne YouTube dans la catégorie Science et technologies; ses vidéos posent des questions à la fois futiles et importantes comme « Quelle est la couleur d’un miroir? ».
Dans un autre registre, celui des tutoriels coiffure et maquillage (l’équivalent vidéo des blogueuses beauté), notons la chaîne Pixiwoo (Royaume-Uni, 996 000 abonnés) créée par deux sœurs et récoltant chaque mois plus de 6,5 millions de visionnements cumulés.
En Allemagne, la première chaîne YouTube non anglophone se nomme Ponk et met en scène de jeunes comédiens partageant un appartement, sur le ton de la comédie. En France, deux chaînes similaires créées fin 2012 étaient également à l’honneur : l’une financée par YouTube, Studio Bagel (417 000 abonnés), et l’autre par le groupe M6, Golden Moustache(220 000 abonnés). Toutes deux ont l’ambition de devenir l’équivalent français du célèbre site de vidéos parodiques américain créé en 2006, « Funny or Die ».
Enfin, le phénomène des « stars » en ligne était représenté par Food Tube, la chaîne YouTube créée il y a tout juste trois mois par Jamie Oliver, grande vedette de la télévision britannique, qui compte déjà plus de 200 000 abonnés. Dans sa vidéo d’introduction, Oliver déclare, comme un pied de nez à ses précédents diffuseurs, que « YouTube est bien plus ouvert d’esprit que les diffuseurs télé et les chargés de programme ».
YouTube à la recherche de partenaires solides
Au-delà des questions du nombre de visionnements et d’abonnés et de la génération de revenus, la présence de YouTube au cœur du marché consacré aux programmes télévisuels du monde entier révèle un positionnement très clair. Google, via sa plateforme d’hébergement de vidéos, accompagne désormais les producteurs de contenus par l’entremise de ses chaînes.
L’annonce avait été faite au dernier MIPCOM en octobre : après avoir lancé cent chaînes aux États-Unis, dans une initiative baptisée « Original Channels », YouTube se lançait sur le marché européen, entendant bien couper l’herbe sous le pied à des plateformes locales comme Dailymotion en France – qui, en dépit de son programme « motionmaker » de soutien aux créateurs, n’a pas encore riposté à l’heure actuelle.
En France, YouTube a ainsi lancé en octobre dernier 13 chaînes originales sur les 60 subventionnées en Europe, en partenariat avec des producteurs audiovisuels traditionnels (Capa TV, Troisième œil Productions, Endemol) ou des marques (Marmiton, auFeminin.com).
YouTube a investi 150 millions de dollars au total dans ces chaînes de contenus, pour un financement allant de 300 000 à 700 000 € par chaîne, selon Le Figaro.
Ce mode de financement n’est pas sans rappeler celui du cinéma : on parle de « minimum garanti » ou « d’avance sur recettes » pour les producteurs de contenus, qui ne commenceront à toucher des recettes publicitaires qu’une fois la somme de départ remboursée.
YouTube et télévision - Distincts mais complémentaires
Avec ses chaînes originales, YouTube semble s’inspirer de certaines formules déjà éprouvées. Ainsi, le terme même de « chaine » (channel), est hérité de la télévision traditionnelle, tandis que la chasse aux visionnements et aux abonnés ressemble fortement à celle des audiences sur les chaînes de télévision historiques.
Autre héritage de la position de diffuseur traditionnel, celle de l’exclusivité : les contenus des chaînes financées par YouTube ne peuvent être vus ailleurs.
YouTube se présente ici comme un diffuseur « total », finançant des flux de contenus plutôt que les programmes eux-mêmes, sans surveillance éditoriale a priori sur ceux-ci.
Cette liberté offerte par la plateforme est revendiquée par la plupart des youtubers, qui peuvent se permettre d’expérimenter différentes formules et différentes longueurs, de manière très souple. On ne parle plus de case de programmation, mais de rendez-vous : Jamie Oliver donne ainsi rendez-vous à ses admirateurs trois fois par semaine sur sa chaîne Food Tube, permettant ainsi de rediriger l’engagement des internautes.
Plus encore que la liberté, c’est l’engagement de l’auditoire qui caractérise d’abord ces chaînes : le public y est plus jeune qu’à la télévision (aux États-Unis, les adolescents représentent le cœur de l’audience de nombreuses chaînes YouTube), et également plus mobile et plus connecté. Les vidéos YouTube sont visionnées sur les écrans mobiles et sont massivement partagées sur les réseaux sociaux, signe d’une adaptation plus fine à la réalité des usages que la télévision actuelle.
Enfin, les mécanismes d’engagement de l’auditoire restent prioritaires : le nombre de visionnements ou la qualité d’une seule vidéo est moins important que l’engagement à long terme avec les amateurs – d’où l’importance primordiale de la notion d’abonnement pour ces nouvelles chaînes (l’abonnement permettant de notifier l’internaute dès qu’une nouvelle vidéo est publiée). Le recours aux commentaires permet aussi un échange réciproque et actif entre les internautes et le « youtuber », ce dernier écoutant ses spectateurs et forgeant ses contenus en conséquence.
Les chaînes YouTube se démarquent donc de la télévision traditionnelle par leur spontanéité et le contact direct qu’elles permettent entre diffuseur et public. Les deux se complètent et peuvent coexister de manière intelligente, comme en témoignent la chaîne Taratata, tirée d’un programme de France Télévisions, ou encore la diffusion récente sur l’antenne de W9 d’une sélection des meilleurs contenus de la chaîne YouTube Golden Moustache, appartenant toutes deux au groupe M6.
Alors que Netflix a attaqué en fanfare son entrée dans la production de contenus avec House of Cards et que Amazon semble lui emboîter le pas avec l’adaptation du film Zombieland en série, YouTube cherche à consolider sa position de leader mondial dans la vidéo en ligne. Pour ce faire, la plateforme s’appuie à la fois sur des mécanismes du modèle même qu’elle cherche à dépasser tout en conservant ce qui fait le cœur et la spécificité de son activité, la liberté de ton et de format ainsi que l’engagement conversationnel avec l’auditoire.
Pour en savoir plus : Vidéo de la conférence complète du MIPTV « YouTube’s Original Online Content Screenings ».