COVID-19: À quoi ressemblera la suite pour la production télé?
Alors que le processus de déconfinement se poursuit, le secteur de l’audiovisuel, qui était en mode gestion de crise, s’apprête progressivement à passer à une nouvelle étape. Que faire maintenant? De toute évidence, l’industrie devra effectuer d’importants changements à court et moyen terme. Mais qu’arrivera-t-il à long terme? Comment l’industrie réagira-t-elle ― et anticipera-t-elle ― ces changements? Quelles questions cruciales doit-on se poser face à ce qui nous attend ― et qui aura les réponses? Le présent article est le premier d’une série qui se penchera sur l’avenir du secteur audiovisuel canadien, une industrie qui émerge lentement des diverses mesures de confinement et autres restrictions imposées afin de limiter la propagation de la COVID-19.
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La pandémie n’a eu que très peu d’impact sur le secteur de l’animation, si ce n’est que quelques ajustements rapides, les employés étant tout simplement passés en mode télétravail. Le développement de projets a, lui aussi, fait face à peu d’embûches. Certes, les scénaristes préfèrent généralement se retrouver dans une même salle. Toutefois, de ce qu’on entend, la transition vers le virtuel s’est plutôt bien déroulée. Par exemple, Shaftesbury compte une dizaine d’équipes de scénaristes qui s’affairent à développer des projets dans plusieurs genres. L’entreprise souligne que le tout se déroule bien et que les délais sont respectés.
Sans surprise peut-être, les choses ne sont pas aussi simples du côté des productions scénarisées et des documentaires.
La collaboration est le mot d’ordre
Plusieurs intervenants de l’industrie ont décidé de faire équipe afin d’établir des protocoles pour assurer la sécurité des productions. Or, comme la santé et la sécurité sont de juridiction provinciale, chaque province a mis en place sa propre structure afin de développer de tels principes, et ce de façon collaborative.
Ainsi, la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail du Québec a publié un guide de retour au travail pour les productions, lequel a été créé avec l’appui de l’industrie, en vue de la reprise des tournages, le 8 juin 2020.
En Colombie-Britannique, Creative BC collabore avec l’industrie dans l’élaboration d’un plan permettant une reprise sécuritaire des productions et une bonne gestion des risques. Le plan indiquera également comment réagir et s’adapter à une éventuelle réapparition du virus.
De son côté, le Manitoba a publié un guide de sécurité pour les productions. Celui-ci a été développé par On Screen Manitoba de concert avec l’industrie, en vue d’une reprise des productions à compter du 1er juin 2020.
En Ontario, le Comité S.21 a soumis de tels protocoles au Ministère du Travail, de la Formation et du Développement des compétences pour approbation. «Tous devront se rendre à l’évidence que nous vivons désormais dans un monde différent, dit Christina Jennings, présidente et chef de la direction de Shaftesbury. Nous devons travailler de façon collaborative. Il faudra encore 18 à 24 mois avant que les choses reviennent à la normale.»
La collaboration des producteurs s’observe également à l’échelle mondiale. Ainsi, plusieurs producteurs canadiens sondent leurs pairs en Australie, en Islande et en Corée du Sud, trois pays où l’économie s’est remise en marche plus tôt qu’ici. «Les entreprises se feront toujours concurrence pour générer des profits, concède John Young, PDG de Boat Rocker Media. Entretemps, toutefois, l’industrie choisit de s’unir durant la crise. Le processus de préparation s’effectue de façon collaborative partout dans le monde.»
Des défis, mais aussi des opportunités
En termes de préparation pour une reprise des productions, le Canada est en meilleure posture que d’autres pays ― particulièrement les États-Unis. Cela pourrait se traduire par une opportunité pour les entreprises américaines de venir tourner chez nous en retenant les services de producteurs canadiens, ou encore pour les plateformes et diffuseurs américains de solliciter du contenu canadien. Eric Rebalkin, directeur de l’exploitation de Mosaic Entertainment, indique que, si l’entreprise prévoit un nombre limité de productions cet été, elle est toutefois fin prête à remettre la machine en marche dès la levée des restrictions. Christina Jennings constate elle aussi un avantage concurrentiel. «Le Canada est bien positionné, du fait que nous produisons déjà du contenu avec de plus petites équipes que nos voisins américains, dit-elle. Cela nous avantage en termes de transition vers de nouveaux protocoles.»
Les producteurs sont conscients que de tels protocoles de sécurité auront également un impact sur la création. Comme il sera plus facile de gérer les enjeux de santé et de sécurité sur les productions de moindre envergure, cela pourrait mener à des récits plus simples et des tournages où l’on compte moins de figurants, de décors et de changements de costumes et de coiffures.
Puis, il y a les lieux de tournage. Pour réaliser Murdoch Mysteries, Shaftesbury misera sur son propre studio et ses espaces extérieurs pour tourner un plus grand nombre de scènes, étant donné qu’il sera plus facile alors d’assurer un environnement sécuritaire. Christina Jennings indique que l’entreprise envisage même la possibilité d’investir dans un second lieu de tournage extérieur, pour y filmer Frankie Drake. De son côté, Mark Bishop, co-PDG de marblemedia, souhaite exploiter les installations de l’entreprise à Orangeville de façon à en faire un lieu de tournage indépendant et autonome.
Certaines sociétés de production, qui ne bénéficient pas de studios ou d’espaces permettant les tournages sur place, explorent divers genres dont la production sera plus facile dans un contexte de protocoles de sécurité découlant de la COVID-19. Par exemple, il peut être plus simple à court terme de réaliser des documentaires, qui n’exigent généralement que des équipes réduites.
Eric Rebalkin souligne d’ailleurs que c’est la raison pour laquelle, après avoir mis l’accent sur les séries dramatiques scénarisées, Mosaic s’affaire à développer son premier documentaire. Christina Fon, productrice déléguée chez Rezolution Pictures, cherche quant à elle des façons d’amener les sujets des productions à se filmer eux-mêmes, ou encore de faire parvenir les équipements directement aux communautés. De son côté, Christina Jennings indique que Shaftesbury, qui ne compte que peu de projets d’animation à son actif, s’affairait justement à développer deux projets du genre au moment où la COVID-19 a fait son apparition. Ces projets vont désormais de l’avant sans délai. L’entreprise s’affaire également à développer une série de baladodiffusion pouvant être produite à distance.
Certes, les limites imposées par la pandémie peuvent s’avérer à la fois frustrantes et inquiétantes. Malgré tout, la nécessité de devoir s’adapter et avancer mène les producteurs à faire preuve de créativité, et certains y voient même un défi stimulant. Ainsi, Eric Rebalkin constate une «renaissance créative» alors que Mosaic Entertainment multiplie les nouvelles idées de projets qui pourraient très bien fonctionner dans un contexte où la distanciation sociale ou le télétravail devenaient la norme. L’entreprise cherche également à adapter ses projets en cours à la nouvelle réalité.
Entertainment One adapte son contenu de façon à le rendre plus sécuritaire ― élimination des scènes de sexe ou de contacts physiques entre les comédiens, entre autres ― tout en cherchant également à être plus en phase avec la situation actuelle. Selon Jocelyn Hamilton, présidente de eOne Television Canada, «la télévision a toujours su refléter la réalité. Or, la réalité d’aujourd’hui sera intégrée dans les récits, et ce, même si ces récits ne portent pas nécessairement sur le coronavirus», afin d’éviter toute dissonance cognitive résultant de comportements observés avant la pandémie.
Le tournage d’émissions où les voyages sont prédominants, tel que Restaurants on the Edge de marblemedia ou Amazing Race Canada d’Insight Production (une filiale de Boat Rocker), ne reprendra pas avant longtemps. Leurs producteurs priorisent plutôt les émissions qui peuvent rapidement se retrouver en ondes, sans pour autant en sacrifier la qualité. Par exemple, Boat Rocker prévoit que la production d’une nouvelle saison de Top Chef Canada sera facile à gérer, même avec la mise en place de protocoles de sécurité.
Jocelyn Hamilton souhaite que la crise s’avère une opportunité de relancer le système, et qu’elle favorisera un dialogue constructif sur les façons dont les producteurs peuvent accroître leur efficacité au bénéfice de toute l’industrie. «Par exemple, nous pourrions raccourcir les journées de tournage pour ainsi réduire la charge de travail et favoriser la santé de toutes les équipes», suggère-t-elle.
Celle-ci conclut en insistant sur la nécessité pour l’industrie de faire preuve d’unité. «Nous devons collaborer et démontrer que “plus forts ensemble” n’est pas qu’un simple mot-clic», dit-elle.