Dans l’œil queer de Blake Mawson

Si Blake Mawson s’est donné la mission de porter la culture queer à l’écran, ne vous attendez pas à du joyeux contenu arc-en-ciel. Âgé de 39 ans, le réalisateur-scénariste queer a débuté comme acteur à l’adolescence à Vancouver, sa ville natale. Mais après avoir passé cinq ans de sa vingtaine à Berlin, il est revenu au Canada avec la ferme intention de passer derrière la caméra.

Son premier film, PYOTR495 (2016), un court métrage primé sur un adolescent russe gai qui se venge d’un duo d’agresseurs homophobes, a révélé un talent aiguisé pour raconter habilement des histoires. Le vidéoclip qu’il a réalisé pour la chanson d’amour «Hope to Die» du chanteur country queer Orville Peck a plutôt mis en lumière son regard poétique. À présent, il plonge dans l’univers de l’humour noir en réalisant les six épisodes de la comédie décalée I Hate People, People Hate Me.

Avec une sortie prévue cet automne sur la plateforme CBC Gem, la websérie a été créée par l’humoriste Bobbi Summers, qui joue aussi le personnage principal Jovi, qui, aux côtés de sa meilleure amie Tabitha (Lily Kazimiera), peine à trouver sa place dans la communauté queer. Intelligente, légèrement poignante et résolument drôle, cette émission incarne bien le type de projet que le FMC est fier de soutenir. Nous avons pris des nouvelles de Blake Mawson, qui, de chez lui à Toronto, nous a parlé de la nouvelle série, de son parcours vers la réalisation et de son amour de l’horreur. 

Blake Mawson

Q : Comment décririez-vous I Hate People, People Hate Me?

R : Jovi (Bobbi Summers) et Tabitha (Lily Kazimiera) sont des meilleurs amis qui sont des marginaux au sein de leur propre communauté queer. Ils ne sont pas vraiment valorisés dans la communauté LGBTQ+ et, par conséquent, sont très désabusés et pessimistes quant à la façon dont ils sont traités et ignorés, alors que tout le monde autour d’eux semble s’épanouir. Mais ils ne s’aident pas beaucoup non plus, leur attitude blasée ne les aide pas à progresser.

Q : Et pourtant, ils sont très drôles dans leur désespoir.

R : Oui, la série est une sorte de comédie noire, et c’est parfois franchement dégueulasse [rires]. Je ne sais pas s’il y a eu quoi que ce soit au Canada d’aussi dégoûtant par moments depuis Chez Porky

Q : Ce que j’adore de cette émission est le fait qu’elle s’approprie les aspects «en marge» de la culture queer. C’est merveilleux de voir que la culture LGBTQIA+ a été acceptée par les médias de masse, mais j’apprécie la façon dont l’émission célèbre notre culture unique.

R : Oui, absolument! Je pense que c’est ce qui m’a attiré lorsque j’ai rencontré Bobbi Summers. Il a un point de vue très unique que l’on ne voit pas souvent dans le cinéma queer ou à la télé. Je trouve qu’il y a une forte pression ou des attentes pour que nos personnages queer soient très soignés. Il faut qu’on voie uniquement leurs bons côtés, autrement ils pourraient être perçus comme homophobes ou autre chose. Mais les personnages imparfaits m’attirent énormément. Il y a tant d’éléments du parcours de Jovi dans lesquels on peut se reconnaître. Et je pense que beaucoup de gens qui ne se sont jamais sentis valorisés ou qui se sentent opprimés s’identifieront à Jovi.

Q : L’émission est visuellement intéressante. Des plans rapprochés aux plans d’ensemble, vous capturez vraiment la vie parfois étrange et décalée de Jovi et Tabitha.

R : Merci! Dans nos premières conversations, Bobbi et moi avons parlé des choses qui l’ont inspiré, de Ghost World à Bienvenue dans l’âge ingrat en passant par certains dessins animés du samedi matin qu’il écoutait quand il était jeune. Je crois que c’est cinématiquement vibrant par endroits, mais souvent, on peut aussi sentir la solitude de Jovi, son dédain du monde et sa dépression.

Q : Parlons de votre propre parcours. Vous avez grandi à Vancouver et commencé une carrière d’acteur à l’adolescence. Avez-vous toujours voulu jouer?

R : J’étais intéressé par le jeu. Je suis allé à l’école à Richmond, en Colombie-Britannique, et c’était une école dure. J’ai été lancé contre une machine distributrice parce que j’étais gai. Et ma mère m’a dit: «Tu sais, si tu veux commencer à travailler et que tu ne veux pas retourner là, tu peux le faire. » Je ne voulais pas retourner à l’école, donc j’ai décidé de commencer à jouer. J’ai trouvé un agent et, au début, j’ai fait des choses comme du doublage pour Pyro (Aaron Stanford) dans X2. Puis j’ai eu des petits rôles, par exemple dans Freddy contre Jason et dans quelques émissions de télé. Mais je suis aussi tombé amoureux à cette époque et j’ai décidé de déménager à Berlin avec mon copain d’alors.

Q : Vous avez passé environ cinq ans à Berlin, puis êtes revenu à la maison, mais votre amour pour le jeu a changé.

R : Lorsque je suis revenu, je trouvais que le jeu ne me procurait plus la même joie qu’avant. Je sentais que j’avais autre chose à apporter à la conversation, et je ne voulais pas être contraint à ces cases dans lesquelles je sentais que l’audition tentait de nous mettre.

Q : À cette période, étiez-vous ouvertement gai et le mettiez-vous de l’avant lors d’auditions?

R : Non, pas du tout. Dans ce temps-là, il n’y avait pas de cachet dans le fait d’être queer. Je regarde les générations plus jeunes maintenant, elles sont sur TikTok et les réseaux sociaux, et j’ai des amis qui espèrent que leurs enfants soient queer parce qu’ils trouvent ça punk ou cool en quelque sorte! Mais ce n’était pas le cas à mon époque. Dans ma vie d’acteur, je devais me présenter d’une certaine façon, et je me souviens qu’un directeur de distribution a dit à mon agent que j’étais trop gai. Je pense qu’il y a plus d’opportunités maintenant pour un acteur gai.

Q : Est-ce à ce moment que vous vous êtes tourné vers la réalisation?

R : Oui, je voyais que tous ces gens autour de moi recevaient du financement pour leurs idées et histoires, et je sentais que j’avais quelque chose à dire aussi, je voulais essayer. Donc j’ai présenté une demande au fonds BravoFACT et j’ai fait mon premier court métrage, PYOTR495. Ç’a été ma porte d’entrée vers la réalisation, et je savais que c’était ma vocation parce que le film m’a ouvert plus de portes en un an que 10 ans comme acteur ne l’ont fait.

Q : Dans PYOTR495, un adolescent gai est agressé par un homme avec qui il avait rendez-vous, jusqu’à ce qu’il se venge de ses agresseurs. Le film est basé sur de réelles attaques homophobes qui ont eu lieu en Russie, et vous avez décidé de raconter cette histoire sous forme de film d’horreur. Pourquoi?

R : Je suis passionné par le cinéma d’honneur depuis que je suis tout jeune. C’est mon père qui m’y a initié avec ses cassettes VHS. Selon moi, il faut se concentrer sur ce qui nous passionne et le faire avec notre voix la plus convaincante, en se servant de ces outils.

Q : Quels films d’horreur ont influencé votre travail?

R : C’est toujours une question difficile pour moi. Premièrement, ma mémoire est terriblement mauvaise [rires]. J’adore les films de John Carpenter comme L’effroyable chose. J’aime aussi vraiment David Cronenberg, je suis évidemment très influencé par l’horreur corporelle dans un contexte queer. Et j’adore les films queer bizarres des années 1960 et 1970 comme Vampyros Lesbos de Jesús Franco, dans lequel des vampires se font bronzer et vivent dans une maison psychédélique près de l’océan en Turquie. 

Q : Et vous travaillez actuellement sur votre premier long métrage, Perennials. Sur quoi porte-t-il?

R : C’est un thriller surnaturel sur deux femmes queer qui vivent dans le nord de l’État de New York dans les années 1960. Je le développe avec Gharrett Paon, qui a produit le road movie initiatique autochtone Wildhood. Nous avons reçu un certain soutien de Téléfilm et nous développons une troisième version. Nous sommes presque prêts à le faire financer. Alors c’est excitant!


Ingrid Randoja
Journaliste indépendante, Ingrid Randoja est l'ancienne responsable éditoriale de la section Film du magazine NOW de Toronto, l'ancienne rédactrice en chef adjointe du magazine Cineplex et l'une des membres fondateurs de la Toronto Film Critics Association.
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