De contenu de marque à chaine de marque
Le billet « La publicité est morte. Vive le contenu de marque ! » abordait un sujet qui en cachait plusieurs autres, tant la relation entre contenus audiovisuels et marques, amorcée depuis près d’une centaine d’années, est forte et complexe.
La marque Procter & Gamble (P&G) est particulièrement représentative de cette relation. Après avoir inventé le concept de gestion de marque dans les années trente, le fabricant de savons a été à la source de l’expression soap opera en créant des séries d’abord pour la radio puis pour la télévision.
Pendant plus de 70 ans, P&G Productions a créé 20 feuilletons. L’entreprise a mis fin à ce cycle en 2010 en annulant son dernier, As the World Turns, 54 années après sa première diffusion.
Depuis, P&G Productions est devenue P&G Entertainment (PGE), une division de P&G qui se concentre sur la création de contenu original multiplateforme.
La mission de PGE, c’est de produire du contenu qui résonne avec les consommateurs et les fidélise à leurs marques, comme la très réussie campagne « P&G fier commanditaire des mamans », dont les divers clips avaient atteint près de 25 millions de vues au total sur YouTube avant même le début des Jeux de 2012.
Cette initiative correspond tout à fait à la définition que Forrester Research donne au contenu de marque : ni annonce payée, ni commandite, ni placement de produit, le contenu de marque est un contenu développé — ou choisi — par une marque pour renforcer son image et sa relation avec le consommateur.
C’est ce que la série The Hire devait faire pour la marque BMW. A-t-elle réussi à faire vendre plus de voitures ? Le lien est difficile à établir, et BMW ne l’a jamais fait officiellement, mais le consultant en marketing Joseph Jaffe s’est livré, dans son livre Life after the 30-Second Spot, à un calcul savant fondé sur les coûts de production (14 millions de dollars selon certaines estimations), le nombre de vues des épisodes (13 millions) et le nombre d’abonnés au canal (2 millions) pour évaluer le coût de revient des épisodes Web à 3,50 $ par spectateur contre 5,46 $ pour un message télévision. On ne peut pas isoler et mesurer chacun des points de contact qui auraient pu amener un consommateur du visionnement de la série à l’achat d’une BMW, mais, comme le souligne Jaffe, il est également impossible d’attribuer une valeur à la très forte possibilité que les acheteurs de BMW aient basé leur décision d’achat sur l’impression significative que les films leur auront laissée.
Contenu de marque: l'avenir est multiplateforme
De nos jours, la technologie permet aux marques d’imaginer un lien vraiment direct entre elles et la décision d’achat du consommateur.
C’est ce qu’Amazon expérimentait en 2003 avec Amazon Theater, une série de quatre courts métrages mis en ligne sur amazon.com pendant la période des fêtes (qu’on peut encore voir sur YouTube). Parmi les vedettes mentionnées dans le générique figuraient certains produits utilisés dans les films et offerts dans amazon.com. Il suffisait de cliquer sur leur nom pendant la diffusion du générique pour les commander.
Tout comme BMW, Amazon n’a pas officiellement rendu compte des résultats de cette expérience. Le fait qu’elle n’ait pas été répétée est probablement indicateur d’une performance décevante, et il y a fort à parier que la diffusion sur une plateforme unique et non dédiée au visionnement de vidéos ait quelque chose à y voir.
Aujourd’hui, grâce aux technologies qui facilitent la mobilité des contenus dans les plateformes et les appareils, les marques sont en train de s’imposer dans l’écosystème médiatique comme des entreprises médias à part entière.
C’est ainsi qu’American Express lançait en novembre dernier la chaîne AMEX, accessible aux États-Unis dans plus de 50 millions de foyers grâce à des ententes avec cinq télédistributeurs (le service U-verse d’AT&T, Cablevision, DirecTV, Dish et Verizon FiOS) et les manufacturiers de télévisions connectées LG and Samsung.
AMEX Channel est une chaîne interactive qui offre de l’information sur les produits et les avantages de la carte, des promotions, des jeux et du contenu original (la diffusion exclusive d’un spectacle du groupe The Killers, par exemple). American Express et son partenaire technologique BrightLine — une entreprise spécialisée dans le développement d’applications pour la publicité interactive — parlent de cet essai comme d’un grand pas en avant dans l’univers de la publicité et de la télévision « avancée ». C’est en tout cas un premier pas vers le télécommerce, le t-commerce.
En apparence, on est loin des soap operas. Mais la prémisse de base demeure la même : on cherche à orienter le parcours décisionnel du consommateur en lui offrant une expérience émotive qui favorise son identification à une marque et sa relation avec elle. Ce qui est en train de changer, grâce à la technologie, c’est la façon dont ce lien est établi et consolidé : de manière directe et sur toutes les plateformes de diffusion qu’on utilise quotidiennement, du téléphone intelligent au téléviseur du salon.