Des séries télé expérimentent ailleurs que sur Facebook et Twitter

Aujourd’hui, Pinterest, Tumblr et Instagram font partie de nos vies au même titre que leurs prédécesseurs, les mastodontes Facebook et Twitter. Les producteurs et diffuseurs de télévision ne se sont pas trompés en adoptant à leur tour ces « nouveaux réseaux » – qui sont plus spécifiques, plus ciblés et donc parfois plus pertinents. À l’heure où l’une des séries les plus attendues de l’année, « Agents of S.H.I.E.L.D. », a choisi de diffuser une de ses premières bandes-annonces sur Vine, voici un petit panorama de quelques campagnes sociales originales et innovantes.

TUMBLR : LES SÉRIES D’ARTE

Ainsi soient-ils

http://ainsisoientils.tumblr.com/

En France, plusieurs initiatives innovantes de producteurs et diffuseurs de télévision retiennent l’attention dans les médias sociaux, et ARTE arrive certainement au premier rang. La chaîne s’est tournée vers Tumblr pour faire la promotion de deux de ses plus récentes séries télévisées.

Fin 2012, la série « Ainsi soient-ils » crée l’événement sur la chaîne franco-allemande : plus de 1,2 million de téléspectateurs ont suivi hebdomadairement les aventures de quatre jeunes séminaristes aspirant à la prêtrise. Ce fut un succès pour la chaîne non seulement en raison du sujet universel abordé dans la série, mais aussi grâce à une campagne inédite alliant marketing traditionnel et nouveaux médias. Cette campagne combinait de l’affichage qui marquait les esprits (la RATP a même interdit la diffusion d’une des images dans son réseau), une bande-annonce diffusée dans les salles de cinéma, des espaces publicitaires et une présence sur Tumblr.

Sur Tumblr, le sous-titre annonçant la série – « Ma vie de futur prêtre n’est pas si différente de la vôtre » – emprunte la voix d’un jeune séminariste prénommé Aurélien. Ce personnage n’apparaît pas dans la série, mais il aurait très bien pu être du nombre des étudiants évoluant aux côtés des héros. Comme beaucoup de sites du genre, celui-ci fait la part belle aux GIF animés pour relater avec décalage et humour la vie quotidienne d’un futur prêtre au XXIe siècle.

Lancé plusieurs mois avant la série, rien ne vient annoncer la filiation ce Tumblr et la série, mis à part son adresse URL : certains médias se font ainsi prendre au « piège » de la campagne. Derrière ce Tumblr, l’agence de télévision sociale Darewin, à l’origine de l’attaque de zombies sur Twitter et une habituée de ce genre d’actions à mi-chemin entre fiction et réalité, visait à accompagner la diffusion de « The Walking Dead ».

En huit semaines, Tumblr a enregistré un total de 30 000 pages vues et les utilisateurs ont passé trois minutes en moyenne sur le site. La campagne a aussi eu des retombées médiatiques bien ciblées au sein du groupe des 15-35 ans, depuis les Inrocks jusqu’à Golem13.

Sans expliquer à elle seule le succès remporté par la série auprès des auditoires, cette campagne promotionnelle bien menée a réussi à faire parler de la série de manière originale et adaptée, bien que le sujet abordé dans la série ne soit pas forcément susceptible d’intéresser un jeune public.

Presque un an après « Ainsi soient-ils », ARTE lance sa nouvelle production originale. Cette fois, « Odysseus » traite d’un thème mythique, celui du retour d’Ulysse auprès des siens. La série a fait l’objet d’une coproduction européenne d’envergure pour la chaîne.

Pour accompagner la série, le diffuseur décide de renouveler l’expérience d’une présence sur Tumblr à l’aide de GIF animés. Cependant, il modifie totalement sa stratégie et choisit de ne plus tabler sur la confusion entre réalité et fiction mais plutôt sur la connivence avec le public, en ajoutant une couche d’humour Web à des extraits tirés de la série.

Ce choix de l’humour fait mouche et atteint son public; lors des diffusions en ondes, le public n’hésite pas à se moquer allègrement, via Twitter, de certains personnages jugés un peu trop « feuilleton ».

Source : Odysseus (Tumblr)

Se moquer d’une série, est-ce une opération de communication orchestrée par le diffuseur? À en croire l’équipe Web de la chaîne, il s’agissait avant tout d’une stratégie de second degré visant à s’adapter aux codes du Web et à rester « complice avec ceux qui nous suivent ». « Odysseus » n’a pas fait l’objet d’une campagne d’affichage d’aussi grande envergure que celle déployée pour la sortie de « Ainsi soient-ils », et la série n’a pas remporté le même niveau de succès (moyenne de 500 000 téléspectateurs). Néanmoins, en tablant sur une communication humoristique dans les réseaux sociaux, ARTE conserve son capital de sympathie et réussit même à renforcer son image de chaîne connectée.

Ces deux moyens d’accompagnement de la diffusion en ondes s’inscrivent dans une stratégie plus globale qui vise à rajeunir l’auditoire de la chaîne.

« Beat Girl », une webfiction entièrement sur Pinterest

http://www.pinterest.com/beatgirlworld/

Autre réseau social fondé sur l’image, Pinterest a récemment enthousiasmé Nuno Bernardo, le créateur de la société multimédiasbeActive, au point de le convaincre d’y affecter un pan entier de sa dernière franchise transmédia.

« Beat Girl » raconte l’histoire d’une jeune femme évoluant dans le monde de la musique. La narration se déploie au cinéma (un long-métrage est sorti au Royaume-Uni et au Portugal en mai dernier), sur appareils mobiles et en ligne (via une websérie), dans un roman et via un compte Pinterest, faisant de « Beat Girl » « the first scripted series to be told on Pinterest » (traduction : la première série scénarisée à être racontée sur Pinterest).

Le compte Pinterest en question est au nom de Heather Jennings, l’héroïne de la franchise, et est écrit par Jasmina Kally, qui est également l’auteur du roman original.

À mi-chemin entre roman photo et moodboard, le compte joue le jeu du journal intime en ligne, se divisant en plusieurs « tableaux » dont certains sont thématiques et d’autres, promotionnels. D’autres encore, au nombre de douze, reprennent une narration linéaire etintègrent les épisodes vidéo de la websérie.

Source : capture d’écran du compte Pinterest de « Beat Girl »

Signe du succès indéniable d’une opération de ce type, le compte est cité en 2012 parmi les dix comptes les plus influents sur Pinterest, juste avant celui de nul autre que Barack Obama… Une entreprise américaine a d’ailleurs récemment acheté les droits de la franchise. Nul doute que cette expérimentation sera bientôt diffusée à plus grande échelle.

La première série sur Vine

Enfin, le dernier né des réseaux sociaux a également inspiré les créateurs et autres producteurs de contenu. La chaîne américaine LogoTVa fait parler d’elle en juin dernier après le lancement de son premier feuilleton sur Vine, stratégiquement titré « The Vines of Sauvignon Blanc ». Ce feuilleton raconte l’histoire d’un vigneron n’ayant plus que deux minutes et six secondes à vivre.

Limitée par la nature même de Vine (une vidéo d’une durée limitée à six secondes par image), la série entière dure à peine plus de deux minutes, soit le temps de 22 épisodes se répétant inlassablement en boucle (cliquez ici pour voir le premier épisode). Chaque épisode était diffusé sur le compte Vine de la chaîne, quotidiennement à 13 h, et la série est parvenue à réunir plusieurs vedettes du petit écran dans la répartition des rôles.

Évidemment, un tel projet ne peut être qu’ironique. Ainsi, il est affirmé dans le communiqué de presse que la chaîne veut faire gagner du temps précieux à ses spectateurs : « Already overcommitted viewers need not worry about dedicating too much of their frenetic summer schedules to the series as the entire season will play out in just over two minutes. » (Traduction : Les téléspectateurs déjà dépassés n’ont pas à craindre de devoir consacrer une trop grande part de leur horaire estival déjà frénétique à la série, car la saison entière ne dure qu’un peu plus de deux minutes.)

Au-delà de la blague, il s’agit d’un véritable coup promotionnel pour un petit câblodistributeur américain ciblant les gais et lesbiennes et d’une manière plutôt originale de décloisonner sa programmation et de faire parler de lui avec humour.

Au vu de ces quatre exemples – auxquels on pourrait ajouter l’utilisation de Songza et Instagram par les héroïnes de Girls dans lapromotion de leur troisième saison –, il paraît évident que les diffuseurs s’intéressent avant tout à ces nouveaux médias comme autant de moyens de viraliser leur contenu et de créer la nouveauté à moindre coût.

Lorsqu’on se trouve dans les réseaux sociaux, on ne compte pas ou très peu de tentatives d’interaction avec le public. Dans les quatre exemples cités, la communication demeure unilatérale, soit du producteur vers le spectateur. Certes, ce dernier est sollicité dans les réseaux sociaux qu’il utilise, mais il n’est pas pris à partie pour contribuer à une quelconque forme de création autour de la marque. Rendez-vous en 2014?


Oriane Hurard
Oriane Hurard est productrice pour Les Produits Frais. Elle est également programmatrice en festivals de sections dédiées aux nouvelles écritures (transmedia, webséries, VR) et formatrice en nouveaux médias et gestion de communautés.
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