Échouer après avoir une campagne de financement participatif
Atteindre l’objectif de sa campagne de financement participatif n’est pas garant du succès de son projet. Parfois, après quelques mois ou années d’efforts, des entrepreneurs se voient forcés d’abandonner.
Les projets de financement participatif par récompenses qui ne livrent pas la marchandise ont souvent mauvaise presse. Mais à quel point le problème est-t-il répandu?
C’est ce qu’a tenté de vérifier le chercheur de l’ Université de Pennsylvanie Ethan Mollick, en faisant parvenir un questionnaire en ligne à 456 751 utilisateurs de la plateforme Kickstarter ayant participé à l’un des 65 326 projets financés entre avril 2009 et mai 2015. Au total, 47 188 personnes ayant financé 30 323 projets en tout ont participé à l’étude.
Échec de 9 % des projets
Il appert qu’environ 9 % des projets financés ayant fait l’objet de l’étude peuvent être considérés comme des échecs. Ces projets émanent de partout dans le monde et concernent autant les domaines créatifs que les fabricants de produits. Par ailleurs, 8 % de l’argent investi irait dans des projets qui échouent et 7 % des participants n’auraient jamais reçu la récompense qu’on leur avait promise.
« Les problèmes qui affectent le plus les entrepreneurs qui échouent sont liés aux complications avec les fournisseurs », précise Ethan Mollick en entrevue. D’autres entrepreneurs éprouvent aussi parfois des difficultés avec le service à la clientèle et peinent, par exemple, à gérer les retours de produits.
Pour les créateurs et les projets plus artistiques, comme les films et les jeux vidéo, un autre problème est à surveiller : celui des cibles trop basses.
« Seulement un quart des projets financés obtiennent plus de 10 % de ce qui avait été initialement demandé. Si une entreprise essaie de contourner le système et de demander moins que ce dont elle a besoin pour assurer son financement [NDLR : les projets qui n’atteignent pas la cible demandée sur Kickstarter ne reçoivent pas leur argent], elle risque d’obtenir juste ce qu’elle demande et ainsi de ne pas disposer des ressources financières nécessaires pour mener son projet à terme », ajoute le chercheur.
Il est bon de noter que le taux d’échec de 9 % augmente parmi les projets plus anciens. Ainsi, pour ceux complétés avant 2012, le taux varie entre 8,6 % et 13,9 %, selon les critères retenus pour définir ce qui constitue un échec. Selon une définition plus souple, au moins un participant sondé estime que le projet est un échec, alors qu’une définition plus restreinte indique que tous les participants sondés le jugent de cette façon.
Cette variation pourrait être attribuable au fait que les entreprises financées avant 2012 ont eu plus de temps pour échouer que les plus récentes. D’ailleurs, 18,82 % des répondants affirment qu’ils attendent toujours leur récompense; le taux d’échec parmi les projets en cours pourrait donc aussi augmenter au fil du temps.
Pour Ethan Mollick, il faut toutefois aussi prendre en considération que les premières campagnes étaient moins efficaces que celles qui sont en cours maintenant. « Les créateurs ont appris comment réussir et ceux qui financent les projets sont mieux outillés pour savoir lesquels financer », note-t-il dans son étude.
Les très petits et les très gros projets échouent plus souvent
Le taux d’échec varie selon l’argent obtenu par les projets financés sur Kickstarter.
En général, les projets ayant obtenu 1 000 $US ou moins sont ceux qui échouent le plus souvent, à environ 13 %. Le taux diminue ensuite pour remonter progressivement jusqu’aux projets de 500 000 $ et plus.
« Les petits projets n’ont parfois pas les ressources nécessaires pour réaliser leurs objectifs », croit Ethan Mollick. Aussi, plusieurs projets de moins de 1 000 $ sont des événements uniques, où les promoteurs peuvent être moins diligents quant à la remise des récompenses.
Seulement 19 % des gens soutiendraient de nouveau un créateur ayant essuyé un échec
Les créateurs échouent souvent « mal » sur Kickstarter. Seulement 17 % des gens qui ont financé un projet n’ayant pas abouti affirment comprendre pourquoi le projet a échoué. Seulement 13 % ont obtenu un remboursement, à défaut de recevoir leur récompense prévue.
« Il est important d’informer les gens qui nous ont aidés tout le long du processus. Ça les aide à comprendre et ils peuvent aussi nous prodiguer des conseils. Plus la communication est ouverte, plus les gens risquent de vous faire confiance à nouveau par la suite », explique Ethan Mollick.
Selon son étude, à peine 19 % des gens seraient prêts à faire confiance à un créateur après l’avoir aidé dans un projet s’étant soldé par un échec et 73 % d’entre eux seraient toutefois prêts à financer le projet d’un autre créateur.
Le financement participatif en capital : la situation s’améliore
Le financement participatif en capital permet d’obtenir de l’argent en échange non pas de récompenses, mais plutôt de parts de l’entreprise. Le processus est tout nouveau au Canada, mais existe au Royaume-Uni depuis 2011. La firme d’analyse britannique Beauhurst a récemment comparé le taux d’échec des entreprises ayant obtenu du financement participatif en capital à celui d’entreprises ayant obtenu un financement traditionnel(fonds de capital d’amorçage, investisseurs providentiels, etc.).
Seul le financement en capital d’amorçage a été évalué pour les besoins de l’étude. Les résultats de 2011, alors que le financement participatif en capital était à ses premiers balbutiements, n’ont pas été comptabilisés. Toutes les entreprises financées en amorçage au Royaume-Uni de 2012 à 2015 ont été analysées pour l’occasion (4290 rondes de financement en tout).
Les entreprises ayant obtenu du financement participatif en capital en 2012 et 2013 affichent un taux d’échec tout de même important, soit de 21,7 % et de 25,4 % respectivement. En comparaison, les entreprises financées de façon traditionnelle présentent quant à elles des taux de 8,6 % et de 6,2 %.
Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer cet écart important. « Beaucoup de compagnies plus risquées essayaient d’obtenir du financement participatif par capitaux propres à cette époque », explique en entrevue Pedro Madeira, directeur de la recherche pour Beauhurst. « Ces entreprises proposaient aussi souvent des produits de consommation, alors que l’économie n’était pas totalement sortie de la crise », ajoute ce dernier.
Le taux d’échec s’est grandement stabilisé en 2014, à 4,5 % pour les entreprises ayant eu droit à du financement participatif par capital contre 3,9 % pour les entreprises ayant bénéficié d’un financement traditionnel.
Le facteur temps explique probablement une partie de cette baisse observée dans les résultats de 2014, les entreprises n’ayant pas toutes eu le temps d’échouer. Par ailleurs, la maturité du marché pourrait aussi expliquer cette différence.
Les plateformes de financement se sont en effet multipliées depuis 2011, et des leçons ont été apprises des erreurs du passé. « En 2011 et 2012, il y avait aussi moins de compagnies et de plateformes. Les moins bons projets pouvaient donc quand même se démarquer et obtenir du financement. Aujourd’hui, la concurrence est plus forte », précise M. Madeira.
Pour ce dernier, il y a aussi une plus grande diversité d’entreprises qui recherchent du financement participatif en capital aujourd’hui qu’en 2012 ou 2013. Cela pourrait aussi expliquer cette amélioration.
La valeur des entreprises qui réussissent diminue souvent au fil du temps
Si le taux d’échec des entreprises ayant obtenu du financement participatif en capital s’est amélioré avec le temps, une autre donnée calculée par Beauhurst est moins reluisante.
Selon la firme de recherche, plus de la moitié des entreprises ayant obtenu du financement participatif qui ont droit à une seconde ronde de financement voient leur évaluation diminuer . Le contraste par rapport aux entreprises financées traditionnellement, où une diminution survient dans 24 % des cas seulement, est flagrant.
« Ces compagnies fonctionnent toujours, mais pas très bien », juge Pedro Madeira. Le chercheur reconnaît que les entreprises qui ont eu le temps de faire deux rondes de financement sont souvent parmi les premières à avoir bénéficié du financement participatif en capital. Ce sont donc des entreprises plus risquées. « Mais même en tenant compte de cela, il y a quand même une bonne différence », soutient-il.
Pour Pedro Madeira, les entreprises qui songent à obtenir du financement participatif en capital doivent d’abord établir leur priorité : l’argent ou la publicité.
« Si vous voulez surtout de l’argent, vous pouvez être plus agressifs dans votre évaluation », croit le chercheur. Mais si obtenir des évangélistes et de la publicité est l’élément le plus important pour la compagnie, celle-ci devrait offrir de meilleures conditions aux investisseurs, quitte à obtenir une évaluation plus faible. Les risques d’une diminution de la valeur dans les rondes de financement subséquentes seront ainsi plus faibles et les premiers investisseurs pourront demeurer des évangélistes pour la compagnie.
« Si l’évaluation est trop élevée, l’entreprise risque une dévaluation future et la perte de ses premiers clients. Alors à quoi bon faire tout cela si le but est de jouir d’une bonne visibilité? », résume Pedro Medeira.