Futur, famine et famille avec R.T. Thorne, réalisateur de 40 Acres
C’est un défi d’arriver à suivre R.T. Thorne !
Le scénariste et réalisateur alterne frénétiquement entre le montage sonore et la correction des couleurs; il met la touche finale à son premier long-métrage, 40 Acres, présenté en grande première au Festival international du film de Toronto (TIFF) en début septembre.
«C’est follement excitant, lance R.T. Thorne au téléphone, entre deux séances de montage. Ça fait environ 20 ans que je fréquente le TIFF. Quand j’étais jeune, ma tante Gwen, aujourd’hui décédée, partait du Michigan pour nous rendre visite. Elle séjournait chez ma mère, et elle disait : “Allons au festival du film.’’ Je me souviens d’y avoir découvert beaucoup de genres différents. C’est tellement extraordinaire d’avoir fréquenté ce festival en tant qu’amoureux du cinéma et aujourd’hui d’avoir la chance d’y présenter mon film.»
R.T. Thorne s’est surtout fait connaître grâce à son travail de réalisateur et de producteur exécutif de la puissante série The Porter, présentée à CBC et acclamée par la critique. La série a remporté 12 trophées aux Prix Écrans canadiens, ce qui est d’autant plus impressionnant qu’elle n’a été en onde qu’une seule saison. R.T. Thorne a également créé l’émission de science-fiction afrofuturiste pour ados Utopia Falls en plus de réaliser des épisodes de séries telles que Degrassi: Next Class, Blindspot et The Lake.
Et tandis qu’il faisait toutes ces choses, il travaillait à porter le scénario de 40 Acres au grand écran, une aventure qui aura duré six ans et qui témoigne de la persévérance du réalisateur et de son désir profond de raconter cette histoire.
Dans un futur ravagé par la famine, le film suit les Freeman, une famille mixte de fermiers noirs et autochtones menée par Hailey (Danielle Deadwyler) et Galen (Michael Greyeyes). Hailey, une isolationniste vétérane de l’armée, est prête à tout pour protéger sa famille et ses terres, mais des tensions surviennent lorsque son fils adolescent, Emanuel (Kataem O’Connor), établit un lien avec une communauté agricole voisine.
«L’histoire aborde le sujet du traumatisme générationnel, de la durée de ce type de trauma. On se demande comment cela peut s’arrêter avec la génération suivante, jusqu’où ça peut aller. À qui peut-on faire confiance et comment peut-on faire confiance à nouveau ?» explique le réalisateur.
R.T. Thorne a commencé à écrire le scénario en réaction à l’élection de Donald Trump et aux nombreux meurtres de personnes noires par des policiers. Même si cela se passait aux États-Unis, ça le bouleversait profondément.
«Cette période m’a fait me demander où s’en allait le monde. Mon fils n’était pas encore né à l’époque, mais nous envisagions d’avoir un enfant, et j’ai commencé à me demander si j’arriverais à protéger mon enfant, si je saurais comment subvenir à ses besoins. Puis, il y a eu la pandémie », dit-il dans un rire sarcastique.
«La COVID, ça a été dur. Je crois que plus de six millions de personnes sont mortes, mais nous sommes extraordinairement chanceux que le virus n’ait pas été plus mortel. Si ça avait été le cas, les gens n’auraient plus rien eu à manger, parce que la chaîne de production alimentaire se serait arrêtée. J’ai additionné toutes ces choses les unes aux autres, pris des notes, ajouté quelques idées ici et là… ça n’a pas été difficile de garder le momentum créatif durant toutes ces années.»
R.T. Thorne a attrapé le virus de la réalisation cinématographique à l’université Toronto Metropolitan (anciennement Ryerson), mais c’est son premier emploi, à MuchMusic, qui a accéléré sa formation.
«Un de mes amis a obtenu un stage à MuchMusic, et je lui ai dit qu’il devait trouver une façon de me faire entrer, car c’était LA place où regarder des vidéoclips, se rappelle-t-il. Mon travail consistait à changer les bobines, mais lorsque la journée se terminait, je traînais dans l’immense vidéothèque et je prenais des cassettes. Je sortais toutes les vidéos d’un réalisateur en particulier – David Fincher, Spike Jones, Hype Williams. Je regardais toutes leurs vidéos et j’essayais de les analyser. Pourquoi ont-ils choisi cette prise de vue ? Pourquoi leur éclairage est-il tellement meilleur que celui des autres ? J’essayais de dessiner des petites cartes d’éclairage et d’imaginer où ils disposaient les lumières pour tourner leurs scènes. Ça a vraiment été une période instructive.»
Il s’est ensuite rapproché des monteurs à MuchMusic, et il a appris à séquencer des plans. Puis, avec un copain d’école, il a fait le saut et a commencé à réaliser ses propres vidéoclips.
S’il y a un fil conducteur entre toutes les réalisations de R.T. Thorne, des vidéoclips à Utopia Falls, puis à The Porter et jusqu’à 40 Acres, c’est le besoin d’appartenir à une communauté.
«C’est l’idée que nous sommes ensemble dans cette aventure, dit-il. Qu’on s’entende bien ou pas, qu’on ait une vision commune ou non, nous sommes dans le même bateau. Autant nous avons besoin les uns des autres, autant nous sommes à l’origine des problèmes et des irritants des membres du groupe.»
Il affirme que c’est sa mère qui a le plus contribué à faire de lui la personne qu’il est. Son film 40 Acres est, en quelque sorte, un hommage qu’il lui rend.
«Elle m’a appris à fonctionner en société et à être moi-même. J’ai aussi appris en observant comment elle se comportait. Elle est très dure, très stricte. On retrouve beaucoup de ses traits de caractère dans le personnage de Hailey. »
R.T. Thorne dit que 40 Acres met en scène une relation mère-fils, et que c’est en écrivant le scénario qu’il s’est rendu compte qu’il y avait très peu de films qui montraient ce type de relation.
«C’est pourtant une relation centrale dans la communauté noire, une mère qui élève son fils. Évidemment, il y a plusieurs raisons pour ça, et je pourrais vous les énumérer, mais ça me paraissait intéressant qu’il y ait si peu d’histoires de relation mère-fils. Bien sûr, il y a ces histoires de mères noires qui souffrent parce que leur fils a choisi le mauvais chemin, ou encore l’un des deux est toxicomane ou en prison, ou quelque chose du genre, explique-t-il. Mais cette histoire présente une mère et son fils qui ont des perspectives différentes quant aux décisions à prendre pour avancer. La mère a vécu des choses difficiles et elle tente de préparer son fils pour qu’il soit en mesure d’affronter le monde tel qu’elle le perçoit. C’est une mère entièrement investie, comme l’est ma propre mère. Et son fils lui dit : “Écoute, tu as fait du bon travail, je suis prêt pour affronter ce monde. Tu peux te détendre, tu peux relâcher la pédale de l’accélérateur.’’»
Avec 40 Acres, R.T. Thorne annonce, quant à lui, qu’il est prêt à entrer dans le monde du cinéma.
«Quand on réalise pour la télévision, il y a tellement de gens qui ont une influence sur le produit final, explique-t-il. Mais quand on fait un film, c’est notre film. Et si notre film repose sur une histoire personnelle, ça devient une aventure merveilleuse. On résiste par moments, mais le film nous dit ce qu’il veut, et alors on doit être ouvert et écouter. »