Internet : un gigantesque club vidéo

En 2019, Internet sera vidéo selon le géant de l’informatique en réseau Cisco, qui évalue que 80 % du trafic Internet sera alors attribuable à la consommation de contenu vidéo. En 2014, c’était 64 % du trafic.

Cette croissance sera en partie amenée par l’arrivée de nouveaux utilisateurs : en 2019, plus de la moitié de la population mondiale sera connectée alors qu’aujourd’hui c’est 42 % de la population qui l’est.

Mais la croissance proviendra surtout de l’augmentation de l’offre et de la demande pour du contenu vidéo de haute qualité, ce grand consommateur de bande passante.

En 2019, Internet se sera plus ou moins transformé en un gigantesque club vidéo.

Gigantesque comme dans : pour visionner tout le contenu vidéo qui circulera sur les réseaux IP mondiaux chaque mois, une personne devra fixer son écran pendant plus de cinq millions d’années.

En dépit de son rayonnement mondial, ce club n’est pas ouvert à tous. Pour accéder à tous les privilèges offerts, le consommateur doit disposer d’une connexion Internet à large bande suffisante ainsi que des paramètres, appareils et abonnements adéquats. Pour devenir un fournisseur de services reconnu, les producteurs, les diffuseurs de contenu et les fournisseurs d’accès doivent naviguer dans des eaux tumultueuses, régies par de multiples et divergentes règles, et infestées de pirates et de requins de tout acabit.

Devenir membre du club vidéo mondial

Pour une qualité vidéo supérieure, il faut disposer d’une connexion Internet rapide : au minimum, un débit de 1,5 Mo/s pour une définition standard et de 3,0 Mo/s pour du contenu haute définition.

Ces vitesses sont vraiment un minimum pour assurer la qualité de l’image dans un foyer où une seule connexion peut fournir plusieurs services Internet simultanément. Au Canada, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a fixé le seuil du service de base à 1,5 Mo/s. Selon le Conseil, presque tous les Canadiens et Canadiennes y ont accès.

Mais pour qu’une connexion Internet réponde aux besoins d’un foyer où elle sert à plusieurs utilisateurs simultanément, le Conseil a déterminé que tous les Canadiens devraient avoir accès à une vitesse minimale de téléchargement de 5 Mo/s et que cet objectif devait être atteint d’ici la fin de l’année 2015. Selon le Conseil, la disponibilité du service à large bande de 5 Mo/s est passée de 87 % à 95 % dans les grands centres urbains, mais seulement 25 % des Canadiens vivant en zones rurales y ont accès. En 2013, environ 1,2 million de ménages canadiens, soit 9 %, n’avaient pas accès aux services Internet à large bande aux vitesses ciblées par le Conseil.

« Au XXIe siècle, des réseaux de haut-débit abordables et généralisés seront tout aussi critiques pour la prospérité économique et sociale que les réseaux de transport et les systèmes d’approvisionnement en eau et en électricité. »

Hamadoun Touré, secrétaire général de l’Union internationale des télécommunications

Aux États-Unis, la Federal Communications Commission (FCC) estime que, dans un foyer typique (4 personnes et 7 appareils connectés à Internet), il faut disposer de plus de 10 Mo/s pour, par exemple, participer à un cours en ligne, télécharger des fichiers et visionner un film en continu simultanément, pour visionner deux films en haute définition sur deux appareils distincts, ou visionner un film en format 4K.

« L’accès à Internet haute vitesse est maintenant essentiel à la vie moderne, que ce soit au travail, à la maison ou à l’école. La connectivité à large bande est en mesure de briser l’isolement géographique et permet aux citoyens, même ceux des régions éloignées, d’avoir accès à un monde d’information et de possibilités économiques en un clic. »

Tom Wheeler, président de la Federal Communications Commission

L’organisme de réglementation américain décidait en janvier 2015 de hausser la vitesse de téléchargement minimale de 4 Mo/s à 25 Mo/s. Une des membres de la FCC, Jessica Rosenworcel, fait même valoir que ce seuil devrait être de 100 Mo/s : « Nous avons inventé Internet. Nous pouvons accomplir des choses audacieuses si nous établissons des objectifs ambitieux, et je suis d’avis que le nouveau seuil devrait être de 100 Mo/s. Selon moi, tout seuil inférieur risque de nuire à nos enfants, à notre avenir et à notre économie numérique. »

Chez les voisins américains, le débat est engagé autour de la vitesse minimale nécessaire pour télécharger des vidéos de qualité supérieure (4K ou Ultra HD). Netflix recommande 25 Mo/s, ce que conteste la National Cable & Telecommunications Association (NCTA). Une bonne partie des abonnés de géants des télécommunications comme AT&T et Verizon sont abonnés à des services LAN (ligne d’abonné numérique), une technologie considérée obsolète par certains experts, qui atteignent des vitesses maximales de 6 Mo/s.

Source : CRTC, Rapport de surveillance des communications 2014

Au Canada, le CRTC a lancé en avril 2015 un examen des services de télécommunication de base, qui inclura l’examen des vitesses des services d’accès Internet (et qui se terminera par une audience en avril 2016).

« Les vitesses cibles actuelles du Conseil pour les services d’accès Internet à large bande sont d’un minimum de 5 mégaoctets par seconde (Mo/s) pour le téléchargement et de 1 Mo/s pour le téléversement, selon les utilisations que les consommateurs devraient raisonnablement vouloir faire d’Internet. Ces vitesses sont-elles suffisantes pour répondre aux besoins minimaux actuels des Canadiens ? Sinon, quelles devraient être les nouvelles cibles et quel délai serait considéré comme raisonnable pour la mise en œuvre de ces nouvelles cibles ? »

Dans ce classement des pays par vitesse de téléchargement, les États-Unis arrivent au 26e rang et le Canada au 35e. Le pays le plus rapide : Singapour avec 135 Mo/s. Le plus lent : la Guinée équatoriale avec 1,05 Mo/s.

Source : Ookla Net Index

Qui contrôle le club ?

Quand on voit Internet comme un immense canal de distribution de contenus vidéos, cela permet de voir toutes les manœuvres et actions des géants de l’informatique et des communications sous un nouveau jour.

Le contrôle des ondes, par l’occupation du spectre électromagnétique, devient alors un enjeu stratégique.

« Cette infrastructure invisible », écrit-on sur le site d’Industrie Canada, le propriétaire du spectre canadien, « est indispensable à la transmission sans fil de l’information. On dit du spectre qu’il est l’oxygène de notre économie mobile. »

« D’ici l’été 2015, soit après les enchères de la bande de 2 500 MHz, la quantité de spectres disponibles pour offrir des services mobiles aux consommateurs aura augmenté de près de 60 % depuis le début de 2014. Il s’agit de la plus grande quantité de spectres jamais libérée au Canada, et ce, en aussi peu de temps. Ce spectre permettra aux Canadiens et à leur famille de bénéficier des toutes dernières technologies et de services de qualité supérieure. »

Pour le gouvernement du Canada, ces enchères représentent des revenus annuels et récurrents de plusieurs centaines de millions de dollars puisque les entreprises de télécommunication n’achètent pas une fréquence du spectre, mais obtiennent le droit de l’utiliser pendant 20 ans.

« Celui qui maîtrise les ondes ou les câbles peut maîtriser Internet puisqu’Internet n’existe et ne fonctionne que grâce à ces connections. Les entreprises Web ne peuvent atteindre leurs clients par aucun autre moyen. Pour utiliser un moteur de recherche ou tout autre outil, il faut un accès à Internet, et ce service n’est pas offert par des sociétés comme Amazon ou Google (à quelques futiles exceptions). Pour obtenir cet accès, il faut payer un fournisseur de services Internet — généralement une société de services de téléphonie ou de câble. Les entreprises Web doivent également payer pour obtenir ce service, ce qui les place toutes sur le même pied d’égalité, du moins sur le plan conceptuel. En fait, cette égalité est la source de vie des entreprises qui sont  avec un Internet ouvert. Si Internet ne constituait pas un vecteur commun, la plupart d’entre elles devrait mettre en place un nouveau modèle d’affaires. »

Tim Wu (le père du concept de neutralité du net). The Master Switch. Vintage. 2010.

La télévision sera mobile

Il y a quelques années, l’idée de diffuser en continu les énormes quantités de contenu vidéo de qualité maintenant disponibles en ligne sur les réseaux cellulaires – déjà passablement encombrés – aurait pu sembler farfelue. Mais selon les experts, grâce à leur acquisition judicieuse de fréquences, quatre fournisseurs de services mobiles seront en mesure d’offrir des services de télévision par contournement en 2015.

Source : Adobe Digital Index

D’ailleurs Verizon, le plus important fournisseur de services mobiles aux États-Unis, prévoit lancer un service de télévision mobile d’ici la fin de l’année 2015.

La clé du succès résidera dans la capacité des fournisseurs à obtenir les droits sur les contenus les plus attrayants, ce que Verizon a réussi à faire en concluant des ententes avec deux propriétés des studios DreamWorks, AwesomenessTV et DreamWorksTV, deux services destinés à des publics jeunes.

Et qu’en est-il du coût pour le consommateur de l’importante augmentation de consommation de bande mobile générée par le visionnement de vidéos ? Chez Verizon, on annonçait récemment envisager de faire payer la consommation des données vidéo par des commanditaires, une pratique instaurée par AT&T au début de l’année 2014, et qui permettrait de contourner les règles sur la neutralité d’Internet de la FCC.

Mais surtout, cette stratégie de fournisseurs de services sans fil est indicatrice de l’importance, pour dominer le marché, d’avoir un accès direct aux consommateurs. Comme le mentionnel’éditeur de la section « technologie » de l’International Business Times : « C’est pourquoi le secteur télévisuel a été aussi difficile pour les nouveaux venus comme Apple, Sony, Google et Microsoft. Ces quatre entreprises sont plus qu’en mesure de conclure des ententes de contenu. Toutefois, on ignore toujours si ces ententes seraient rentables, en particulier si l’entreprise doit payer des frais de bande passante pour entrer dans les salons. »


Danielle Desjardins
Danielle Desjardins offre des services d’analyse, de recherche et de rédaction aux entreprises et organisations des secteurs médiatiques et culturels par le biais de son entreprise La Fabrique de sens. Auparavant, elle était directrice de la planification à Radio-Canada, où, pendant une vingtaine d’années, elle a été responsable de dossiers stratégiques, institutionnels et réglementaires.
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