Jamais deux sans trois: le pouvoir d’attraction de St. John’s  

Terre-Neuve-et-Labrador est devenu un véritable terrain de jeu télévisuel, avec trois populaires séries qui ont élu domicile à St. John's.

« C’est probablement notre meilleure année, lance Laura Churchill, directrice générale de Picture NL, la commission cinématographique de Terre-Neuve-et-Labrador. Notre saison de production est bien remplie. » Celle-ci se déroule de mai à octobre, mais avec une certaine marge de manœuvre. « L’hiver ne s’installe pas vraiment avant décembre », ajoute-t-elle.  

La province soutient l’industrie télévisuelle locale à l’aide de six programmes, dont deux crédits d’impôt. L’un est un crédit d’impôt provincial pour la main-d’œuvre et les producteurs de la région. L’autre couvre 40% des frais de production admissibles des sociétés, jusqu’à concurrence de 10 millions $ par an, et s’adresse également aux producteurs de l’extérieur de la province. Selon Laura Churchill, cette mesure en particulier suscite un grand intérêt pour tourner sur place, incitant même certains producteurs à filmer en hiver. 

Il fut un temps où Terre-Neuve-et-Labrador n’avait même pas de saison de production régulière. Si les courts métrages et les films indépendants à petit budget ont toujours occupé une place importante dans la culture locale, l’industrie tirait principalement ses revenus des projets à plus gros budget qui allaient et venaient. 

« La série Republic of Doyle a vraiment été un point tournant », affirme Laura Churchill. La populaire série policière, diffusée sur CBC et produite par Take the Shot Productions, a vu le jour en 2010. Cinq saisons plus tard, elle avait transformé la capitale de la province en un terrain de jeu télévisuel haut en couleur. À ses débuts, la production faisait principalement appel à de la main-d’œuvre extérieure. À la fin, elle s’était bâti une équipe locale solide. St. John’s était devenue une ville capable de soutenir une série à elle seule. 

Et de trois avec Saint-Pierre  

Saint-Pierre. Photo: Hawco Productions

St. John’s – où la majorité des productions de la province ont lieu, pour l’instant – accueille maintenant non pas une, deux, mais trois séries canadiennes à succès, soit Hudson et Rex (Hudson & Rex), La famille Critch (Son of a Critch) et Saint-Pierre.  

Inspirée d’une populaire série européenne, Hudson et Rex (Pope Productions/Shaftesbury), créée par Ken Cuperus pour Citytv, suit un inspecteur de police et son partenaire canin. Sa huitième saison est en cours de production.   

La famille Critch (Take the Shot/Hawco Productions/Project 10/Gary Breakfast Corporation) est l’adaptation en épisodes d’une demi-heure du livre autobiographique de l’humoriste Mark Critch, Son of Critch. Elle vient tout juste d’être renouvelée pour une cinquième saison.   

La série Saint-Pierre (Hawco Productions), lancée cette année, a déjà été renouvelée pour une deuxième saison après être devenue la nouvelle série la plus regardée sur CBC. Autre série policière, elle prend place sur l’île française du même nom située au large de Terre-Neuve, où elle est en partie filmée.  

Allan Hawco, l’un de ses créateurs et interprètes, a d’ailleurs eu l’idée de la série lors d’une visite de repérage pour un épisode de La famille Critch. Janine Squares, productrice exécutive chez Hawco Productions, se souvient bien de leur passage à Saint-Pierre : « Nous étions assis dans une petite rue pavée à l’extérieur d’un bar, et Allan a dit : “personne n’a encore tourné quelque chose qui parle de cet endroit” ».  

Même si ces trois séries sont au cœur de l’écosystème télévisuel de la province, l’industrie continue de se diversifier. Netflix vient d’ailleurs d’annoncer qu’une nouvelle série du créateur Jesse McKeown, mettant en vedette Josh Hartnett, se déroulera et sera tournée à Terre-Neuve.  

Ici, les cycles de croissance et de ralentissement sont aussi naturels que les mouvements des marées. Mais l’industrie audiovisuelle locale aspire à survivre et à prospérer peu importe les conditions, et c’est pourquoi elle se concentre sur le développement à long terme.   

Le travail ne manque pas 

​​« La télé me garde très occupée », déclare la réalisatrice Deanne Foley, qui a réalisé des épisodes de Hudson et Rex et de La famille Critch. Bien qu’elle travaille sur ses propres longs métrages, ses passages derrière la caméra pour la télévision lui permettent de gagner sa vie et de se perfectionner tout en élevant ses enfants dans sa province natale. ​​ 

La famille Critch. Photo: Hawco Productions

​​​Elle espère que ce boom de production télévisuelle ouvrira des portes à plus de talents émergents.​​ 

​​​Chose certaine, les possibilités de postes techniques ne manquent pas.    ​​​​   ​​ 

« Nous avons de la difficulté à trouver de la main-d’œuvre », dit Lisa Porter, en s’empressant d’ajouter que « ce n’est pas une mauvaise chose ». Lisa Porter est la présidente de Pope Productions et productrice exécutive d’Hudson et Rex.  

Quand la production d’Hudson et Rex a commencé, en 2018, son équipe de Terre-Neuve était bien établie. Maintenant, avec la multiplication des tournages, les ressources sont moins disponibles. « C’est l’occasion de se demander à quoi ressemblera la suite. Quels sont les gestes à poser? Qu’est-ce qu’on peut faire pour soutenir tout ça? » 

« Je sais que ça peut paraître cliché, mais on a vraiment de bonnes personnes ici », ajoute-t-elle.  

Elle attribue à son défunt mari, Paul Pope, le mérite d’avoir assuré une relève. Ce champion de l’industrie locale, décédé en 2022, était un producteur prolifique et un mentor pour plusieurs. 

Hudson et Rex. Photo: Shaftesbury

« Il a vraiment placé la barre très haute en formant des équipes à la fois rapides, efficaces et ouvertes, capables de s’adapter, qui ont du plaisir et qui sont gentilles et respectueuses », ajoute Lisa Porter.      

Elle souligne aussi la présence de syndicats forts dans la province. Il y a l’ACTRA (l’Alliance des artistes canadiens du cinéma, de la télévision et de la radio), mais aussi l’IATSE (l’Alliance internationale des employés de scène, de théâtre et de cinéma) et la GCR (la Guilde canadienne des réalisateurs). « On voit une réelle collaboration entre les travailleurs et les producteurs dans le but de développer l’industrie », poursuit Lisa Porter.  

« Nous sommes habitués de travailler fort »  

Toute industrie qui se développe rencontre des douleurs de croissance, surtout celles qui grandissent rapidement. « Ce qui est bien de notre industrie, c’est que nous sommes habitués de travailler fort », affirme Lisa Porter, faisant référence à la riche histoire de la province en matière de cinéma indépendant à petit budget.  

La Newfoundland Independent Filmmakers Co-operative (NIFCO), fondée en 1975, célèbre son 50e anniversaire cette année – une occasion qui rappelle que l’industrie repose sur des fondations solides.   

« En fin de compte, c’est une bonne chose d’avoir beaucoup de travail, insiste Lisa Porter. Les équipes sont plus diversifiées et plus jeunes que jamais. C’est vraiment excitant. » 

Si la concurrence est fréquente dans les grands centres, à Terre-Neuve-et-Labrador, ce sont la coopération et la réciprocité qui règnent.  

La preuve : Saint-Pierre a interrompu ses tournages pendant deux mois l’année dernière pour permettre à certains membres de son équipe de retourner travailler sur les plateaux de La famille Critch.   

Préparer la relève  

« Depuis quelques années, nous avons travaillé d’arrache-pied pour développer notre équipe, la syndiquer, lui donner suffisamment d’heures de travail, que ce soit sur des films ou des plus petites productions, et quand est venu le temps de soutenir ces trois productions qui coexistent, nous avions presque assez de gens pour le faire », dit Janine Squires.   

Les compagnies de production recrutent dans d’autres régions lorsque nécessaire, mais elles essaient aussi d’attirer de nouveaux talents dans l’industrie locale. Janine Squires souligne que le Paul L. Pope Centre for TV & Film, l’école de cinéma établie au College of the North Atlantic en 2024 en l’honneur de son défunt mari, contribue à cet objectif.  

Le centre Paul L. Pope pour la télévision et le film au College of the North Atlantic à St. John's. Photo: Sara Swain

Les étudiants diplômés du programme trouvent du travail sur des projets plus petits et non syndiqués, comme des productions de Bell Fibe ou du programme Picture Start. « Nous avons aussi des films à plus petits budgets produits par Hallmark et Lifetime, dit-elle. Leur présence alimente énormément l’industrie », souligne Janine Squires.   

Un environnement favorable au cinéma  

« Notre environnement est très favorable au cinéma, dit Laura Churchill. Les industries culturelles sont bien soutenues par les gouvernements, peu importe leurs orientations politiques. » 

Alors que les investissements dans le secteur se multiplient, « les services doivent aussi se développer pour répondre aux besoins de l’industrie », explique Janine Squires.   

« Des choses aussi simples que la location de voitures pour les équipes, de roulottes pour les interprètes ou de camions pour les plateaux deviennent un vrai défi quand plusieurs productions ont lieu en même temps. » Compte tenu de ces obstacles, « on finit par faire appel à des ressources externes, de façon temporaire, jusqu’à ce que l’écosystème local soit capable de soutenir toute l’industrie », déclare Janine Squires.  

Trouver des vols entrants et sortants peut aussi s’avérer difficile, tout comme loger les interprètes venus d’ailleurs. Hawco Productions fait appel à des prestataires de services locaux autant que possible.  

Un coup de pouce pour les entreprises locales  

Ted Perrin, propriétaire et exploitant de l’entreprise Perrin’s Marine Services Ltd., a été ravi d’offrir ses services maritimes. Il a d’abord été engagé comme consultant pour fournir un navire de sécurité et un équipage pour un épisode d’Hudson et Rex. Après une visite de sa maison à Conception Bay South, près de St. John’s, l’équipe de production lui a demandé la permission de l’utiliser comme lieu de tournage clé de la série.  

Ce qu’il a accepté avec plaisir, en plus de montrer d’autres paysages à l’équipe en lui faisant visiter les environs à bord de son bateau. Après avoir trouvé un lieu parfait, l’équipe a adapté le scénario de l’épisode en question, et le résultat a dépassé les attentes de tout le monde.  

Ted Perrin est bien fier du résultat. L’expérience a été très positive pour lui, tant sur le plan personnel que professionnel. Sans oublier le plan financier.  

« Tout ça a donné un bon coup de pouce à mon entreprise, nous avons pu acheter de nouveaux équipements », se réjouit-il. Les chances que les productions de la province aient besoin de tourner sur ou près des étendues d’eau sont toujours très élevées.  

Il s’agit pour lui d’un très bon investissement pour l’avenir : « S’ils m’appellent cette année, je pourrai leur offrir encore plus de services ».  


Sara Swain
Sara Swain est une rédactrice indépendante spécialisée en culture basée à St. John’s, à Terre-Neuve-et-Labrador. Elle est titulaire d’un doctorat en communication et culture de l’Université York. En 2024, elle a reçu un Newfoundland and Labrador Arts and Letters Award pour sa prose créative, ainsi qu’un Atlantic Journalism Award pour ses écrits sur les arts et le divertissement. Ses textes sont parus dans le Canadian Journal of Film Studies, Offscreen, PUBLIC et The Independent (NL).
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