La fusion Ethereum aura-t-elle un impact sur les créateur·trices de contenus canadiens?

Chronique d’une petite révolution du web qui change la donne en matière de protection numérique de la propriété intellectuelle.

Le 15 septembre 2022, à 1h42m42s heure normale de l’Est, le processus de fusion des deux chaînes de la cryptomonnaie Ethereum s’est achevée. Il s’agit sans conteste d’un des événements les plus importants du web, dont les implications pour les créateur·trices et les détenteur·trices de propriété intellectuelle artistique sont nombreuses.

Cette nouvelle – passablement technique, il faut l’admettre – est pourtant passée pratiquement sous silence alors que dans le domaine culturel et artistique, la chaîne de blocs (blockchain) Ethereum représente environ 80% des jetons non-fongibles, qui sont aujourd’hui utilisés pour commercialiser, distribuer les droits et authentifier la propriété d’œuvres originales.

En fait, Ethereum a été originellement conçu dans l’esprit de faciliter la création et le déploiement de contrats intelligents et d’applications décentralisées qui peuvent mener à la création d’organisations autonomes décentralisées (OAD) afin d’organiser le travail de collectifs de création. Au sein de toutes ces industries, (cinéma, télévision, jeux vidéos, expériences immersives, etc.) qui font intervenir plusieurs talents combinés afin de produire une œuvre unique, de nombreux acteurs explorent déjà les possibilités découlant de ces OAD.

Bien que l’univers des crypto-monnaies ait été mis à mal par une année 2022 difficile, et que le volume de transactions de jetons non-fongibles se soit effondré en nombre au cours de l’année, les ventes totales ont dépassé le 50 milliards de dollars US durant l’année.

Il ne s’agit donc pas d’un épiphénomène.

Pourquoi cet événement est-il important?

Le processus de fusion des chaînes d’Ethereum visait plusieurs objectifs. Sur le plan structurel toutefois, la principale évolution notoire qui en découle est le passage d’un système de validation des blocs qui est passé du système dit de preuve de travail vers un système basé sur la preuve d’enjeu.

Concrètement, cela signifie que, plutôt que de recourir à un système de rivalité tous azimuts – faisant en sorte que les crypto-monnaies sont particulièrement susceptibles face aux critiques liées à leur volet énergivore – le système de preuve d’enjeu limite la capacité de validation des blocs aux acteurs qui sont en mesure de fournir une «preuve» de leur engagement envers la chaîne. Dans le cas spécifique d’Ethereum, l’exigence est fixée à 32ETH mis en garantie, soit environ 55,000$.

La conséquence directe de cette transition est une diminution de 99.5% de l’énergie requise pour valider la chaîne, et donc une empreinte environnementale infime par rapport à Bitcoin et d’autres monnaies qui ont toujours recours au système de preuve de travail. Les artistes engagés et producteurs conscients de l’impact de leurs œuvres sur l’environnement peuvent donc désormais bâtir leurs réseaux sur la chaîne Ethereum tout en poursuivant un objectif «net zéro».

Une évolution économique

En plus de réduire l’empreinte et les externalités environnementales négatives du système de validation, l’évolution de la preuve de travail vers la preuve d’enjeu a réduit significativement le coût des intrants qui servent à valider la chaîne.

En matière d’acteurs réels, le passage d’un très grand nombre de mineurs vers un petit nombre de validateurs (un peu moins de 500,000 adresses sont aujourd’hui reconnues comme valides) a diminué les besoins en matériel informatique requis. Forbes estime qu’environ 4 milliards US de matériel détenu par d’anciens mineurs opérant sous le système de preuve de travail est devenu obsolète depuis la fusion.

Cette évolution n’a toutefois pas fait évoluer significativement les coûts d’opération au sein même de la plateforme, qui est aux prises avec des phénomènes de priorisation et de congestion des opérations qui justifient parfois des coûts élevés pour les opérateurs.

Or, la transition vers le système de preuve d’enjeu mettait également la table pour une évolution future, nommée éclatement (sharding), qui devrait permettre d’augmenter significativement la capacité de traitement de la chaîne tout en réduisant les coûts d’opération pour les usagers. À titre d’exemple, l’implantation du système d’éclatement pourrait permettre de faire passer de 15, à plus de 100 000 transactions validées par seconde – soit environ 4 fois le volume de transactions gérées par VISA.

Avec la concurrence accrue de nouvelles monnaies comme Solana, que Bank of America a mis de l’avant dans une note de recherche récente, la réduction des coûts de transaction doit faire partie de la feuille de route stratégique d’Ethereum.

Comprendre pour mieux s’orienter

Chose certaine, le domaine de la création va devoir se positionner face à ces évolutions socio-techniques. Comme l’évoque le cabinet Norton Rose Fulbright, la monétisation de la propriété intellectuelle et la protection de celle-ci face à des usages illégitimes via les outils crypto-numériques fait désormais partie des préoccupations de toutes les entreprises, particulièrement celles qui détiennent des droits sur des œuvres originales.

L’estompement du rapport entre le numérique et la manifestation physique de certaines œuvres force à explorer comment des évolutions majeures comme la fusion des chaînes d’Ethereum, les coûts d’opération, et la sécurité relative de telles monnaies, constituera au cours des prochaines années à la fois une opportunité et une menace pour les créateurs canadiens de tous les domaines.


Francis Gosselin
Francis est docteur en économie et entrepreneur en série. Consultant et aviseur auprès de dirigeants et de conseils d’administration, il est également président de Norbert Hill et président du conseil de FailCamp, une OBNL dédiée à la promotion de l’entrepreneuriat et de l’apprentissage. Il a travaillé comme consultant dans le domaine de l’éducation, des médias, de l’immobilier et des services financiers pour des clients comme Ubisoft, l’École Supérieure de Gestion—UQAM, Radio-Canada, Lune Rouge, BNP Paribas, Allied Properties et l’Institut de Développement Urbain. Croyant fermement aux vertus de l’engagement social et philanthropique, il siège sur le Conseil d’administration du festival MUTEK, et est membre du Club des 100 jeunes philanthropes d’HEC Montréal. Il élève depuis 2012 des chiens MIRA destinés à des personnes dans le besoin, en plus de contribuer financièrement à cette cause importante.
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