La télé de demain en quatre temps: distribution, appareils, contenus et pub

Le 25 juillet dernier, Google lançait Chromecast dans le marché américain. Il s’agit d’une clé électronique qui se branche dans le port HDMI du téléviseur et sert à projeter le contenu d’appareils mobiles directement sur l’écran du télé. L’appareil a été accueilli avec beaucoup d’enthousiasme par les observateurs de la scène technologique en raison de son prix très abordable (35 $), de sa compatibilité avec toutes les plateformes et – surtout – de sa grande simplicité d’utilisation. Lu dans un tweet: « Le clou dans le cercueil de la télévision? »

Il y a erreur sur le concept : la télévision n’est pas à l’article de la mort. Certes, ce média s’est beaucoup transformé au cours des dernières années et continuera assurément à subir des transformations. Cependant, la télévision, dans son acception première, est plus vivante que jamais.

VOIR À DISTANCE : UN CONCEPT PRESQU’AUSSI VIEUX QUE LE MONDE

Composé de télé (qui signifie « loin » en grec ancien) et de vision (qui signifie « voir » en latin), le terme télévision a été proposé en 1900 par un physicien russe, Constantin Perskyi, qui baptisa ainsi la possibilité de reproduire à distance des radiations lumineuses pour former l’image d’un objet au moyen de l'électricité.

Dans La permanence de la télévision (un compte rendu de rencontres organisées par le Centre d’études sur les médias, les technologies et l’internationalisation [CEMTI] à l’Université Paris 8), on postule que la télévision a été un désir bien avant d’être un objet ou une industrie. Un désir presqu’aussi vieux que l’humanité. Le désir d’ubiquité, d’omniscience, le rêve de devenir invisible pour tous, tout en gardant la faculté de voir et d’entendre ce qui se passe autour de soi.

En juin dernier, Julius Genachowski, ex-président de la FCC qui participait à un panel de l’Aspen Ideas Festival intitulé « The Future of your TV », faisait remarquer qu’on confond tout quand on parle d’avenir de la télévision et qu’il faut, pour bien en parler, différencier quatre éléments : la distribution des contenus, les appareils permettant de visionner ces contenus, la publicité et les contenus eux-mêmes.

DISTRIBUTION : DES ABONNÉS INFIDÈLES DANS UN UNIVERS FRAGMENTÉ

« La télévision, c’est de la télévision, quel que soit le tuyau qui l’amène à l’écran », déclarait récemment Ted Sarandos, le responsable du contenu pour Netflix, au New York Times.

La télévision par câble fut inventée il y a 65 ans à Mahanoy City, Pennsylvanie par un vendeur d’appareils de télévision qui voulait permettre à sa clientèle d’accéder à un contenu ne pouvant franchir les montagnes dans sa région. Elle est longtemps demeurée le seul moyen de « voir encore plus loin ».

Maintenant qu’on assiste à une multiplication des services de distribution de contenu audiovisuel, très souvent exclusifs pour attirer la clientèle par d’autres moyens que le câble et les ondes hertziennes, certains observateurs prévoient un avenir très fragmenté pour la distribution : plus le marché sera encombré, moins le téléspectateur se satisfera de l’abonnement à un seul service et plus il aura tendance à butiner d’un service à un autre à la recherche de ce qui lui convient le mieux.

Mais d’ici là, il ne faut pas pour autant compter l’industrie de la câblodistribution comme vaincue dans la « bataille pour le salon des ménages » analyse Fabien Loszach dans son billet intitulé Le câble est loin d’être mort; boîtiers connectés à la rescousse! sur Écran de veille.

APPAREILS : LA TÉLÉVISION SERA PARTOUT ET TOUT SERA DE LA TÉLÉVISION

La technologie Displair Air Screen permet de projeter des images numériques dans l’air, au moyen de gouttelettes d’eau ultrafines en fait. Source : http://www.displair.com/

La technologie Displair Air Screen permet de projeter des images numériques dans l’air, au moyen de gouttelettes d’eau ultrafines en fait. Source : http://www.displair.com/

Bientôt, la télévision flottera et on la traversera comme le miroir d’Alice au pays des merveilles. L’immersion sera totale. La télévision sera partout, dans un environnement aux écrans ubiquitaires, comme dans cette vision de l’entreprise américaine de fabrication de verre Corning, avec murs, portes de placard et tables convertis en écrans (« A day made of glass »).

Quels que soient la forme, la taille et l’emplacement des fenêtres qui nous permettront de « voir plus loin », une tendance se dessine : la fin de la hiérarchie entre les écrans. Premier, deuxième ou troisième écran, l’important c’est surtout de bien comprendre la façon dont les téléspectateurs interagissent avec la télévision et de privilégier le développement d’applications destinées à un univers à écrans multiples, nous affirme le collaborateur de GigaOm, Janko Roettgers.

CONTENUS : UN ART EN TRANSFORMATION

McLuhan disait: « La télévision ne sera pas comprise avant d’être dépassée par un nouveau média. Quand survient la désuétude, tout média devient une forme d’art, et c’est à ce moment-là qu’il est possible de s’en servir. Le média cinéma et le média photographie sont mieux compris depuis l’apparition de la télévision. » [Jean PARÉ. Conversations avec McLuhan, 1966-1973. Éditions du Boréal]

Aux États-Unis, on parle de plus en plus du nouvel âge d’or de la télévision (le deuxième ou même le troisième Âge, selon certains). Au cours du panel « The Future of your TV », Michael Lynton, le PDG de Sony Corporation of America et de Sony Entertainment, a fait remarquer que les EVP (enregistreurs vidéo personnels) et maintenant la diffusion sur Internet ont donné naissance à une nouvelle forme de consommation de la télévision : la télévision de rattrapage (catchup TV), une télévision qu’on consomme sans interruption. Cette nouvelle forme de consommation permet aux auteurs d’innover et de configurer différemment la trame dramatique de leur œuvre.

Par exemple, les auteurs de Arrested Development, la série que Netflix a fait revivre cette année, ont exploré une nouvelle forme de narration plutôt inusitée dans le monde de la télévision : chaque épisode était consacré au point de vue d’un personnage sur les mêmes événements. Mitch Hurwitz, le créateur, explique qu’« à nouveau média, nouveau format ».

REVENUS : PAYANT, MAIS POUR QUI ?

En matière de financement, la tendance est à la diversification, pas nécessairement à la substitution d’un moyen par un autre. La télévision financée par la publicité explore de nouvelles avenues, dont le contenu de marque et la publicité ciblée. Le visionnement de vidéos sur Internet ne remplacera pas l’écoute de la télévision traditionnelle : selon certains indicateurs, les nouvelles manières d’accéder au contenu en augmenteraient la consommation globale. C’est ce que confirmait récemment un sondage mené par l’Observateur des technologies médias (OTM) auprès des abonnés de Netflix au Canada. Plus de quatre répondants sur cinq sont également abonnés à un service de télévision conventionnelle et à un service de télévision payante.

Avocat s’étant porté à la défense des consommateurs dans l’affaire Aereo c. les réseaux de télévision, Jonathan Brand déclarait au New York Times : « On vit une période de transition vers un monde où nous allons avoir accès au contenu qu’on veut sans publicité. Mais la vérité est qu’on devra toujours payer. Ce qui est vraiment au cœur du débat actuellement, c’est de savoir qui empochera l’argent. »


Danielle Desjardins
Danielle Desjardins offre des services d’analyse, de recherche et de rédaction aux entreprises et organisations des secteurs médiatiques et culturels par le biais de son entreprise La Fabrique de sens. Auparavant, elle était directrice de la planification à Radio-Canada, où, pendant une vingtaine d’années, elle a été responsable de dossiers stratégiques, institutionnels et réglementaires.
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