L’art de faire du cinéma écoresponsable
C’est le grand dilemme auquel sont confrontés les créateurs et créatrices de l’univers du divertissement.
Comment justifier l’empreinte environnementale associée à la création artistique?
Émissions rejetées par les génératrices et les véhicules utilisés sur les plateaux, nourriture gaspillée une fois le personnel, les actrices et les acteurs nourris, matériel non recyclable envoyé au dépotoir à la fin des tournages : au bout du compte, la facture environnementale est stupéfiante.
On s’est penché sur ce problème lors de la table ronde « Strategies for Sustainable Cinema » (Des stratégies pour un cinéma durable) présentée cette année au Festival international du film de Toronto.
C’est la réalisatrice et productrice Jennifer Baichwal qui présentait le panel, et elle a donné le ton à la discussion.
« J’ai passé bien des nuits blanches à me demander si tout cela valait le coup, considérant l’ampleur de notre empreinte environnementale. Un jour, quelqu’un a demandé à un moine bouddhiste : ‘’Que puis-je faire pour sauver la planète ?’’ Et celui-ci lui a répondu : ‘’Allez vous coucher.’’ Maintenant, je repense à tous les endroits où nous avons tourné, et j’espère que l’incidence que nous avons eue avec nos histoires en valait la peine. »
Jennifer Baichwal est membre du conseil d’administration du TIFF (le Festival international du film de Toronto) et elle est derrière les initiatives du festival en matière de développement durable. Au cours de sa carrière, elle a réalisé des films d’une importance cruciale, tels que Manufactured Landscapes, Watermark et Anthropocene : The Human Epoch, des documentaires qui mettent en lumière à la fois la beauté et la fragilité de la planète sous la contrainte exercée par les humains. Alors, lorsqu’elle demande si les histoires racontées par les créateurs et créatrices de contenu ont vraiment une valeur équivalente à leur coût environnemental, nous devons l’écouter.
Parmi les panélistes, se trouvaient Justin Cutler, commissaire cinéma de Ontario Creates et coprésident du programme Green Screen (écran vert), ainsi que Sam Read, directeur général de la Sustainable Entertainment Alliance, basée à New York.
Tous deux s’entendaient pour dire que la question de la durabilité entre en jeu bien avant le début d’un tournage.
« Ce n’est pas trop cher de viser la durabilité à condition d’avoir planifié le changement de culture et d’avoir réfléchi à la manière de former votre personnel, au cours de la période pré-tournage, pour qu’il soit préparé à faire des choix très simples, déclare Justin Cutler. Il faut vous y prendre d’avance et vous pouvez peut-être même budgéter pour avoir sur votre plateau un consultant ou une consultante en production durable, une personne qui possède l’expertise nécessaire pour mobiliser votre équipe et l’aider à faire ces choix cruciaux. C’est un poste tout simple à ajouter. »
Selon une étude menée par Téléfilm Canada et la Sustainable Entertainment Alliance, le transport est le principal responsable des émissions de carbone pour toutes les productions. Cela est d’autant plus vrai au Canada, car nos productions, de manière beaucoup plus marquée qu’ailleurs, comptent en grande partie sur les véhicules à essence.
« Pour toute production, environ la moitié des émissions de carbone proviennent du carburant associé aux véhicules, c’est-à-dire les camions et les voitures utilisés pour transporter les gens et le matériel, explique Sam Read. Mais il y a aussi les génératrices à diesel utilisées comme source fiable d’énergie mobile. Voilà donc les deux clés sur lesquelles nous nous concentrons. Nos membres réfléchissent beaucoup à la question de l’énergie mobile propre, essayant d’élargir l’accès aux batteries et travaillant de concert avec notre personnel pour tirer le meilleur parti des batteries utilisées au lieu des génératrices à diesel ou pour découvrir comment fonctionner avec des véhicules électriques au lieu de camions à diesel. »
RÉSEAU VERT
En Ontario, l’un des mandats du programme Green Screen de Justin Cutler consiste à trouver des moyens de diminuer l’utilisation de génératrices à diesel sur les lieux de tournage.
« Nous travaillons de concert avec de nombreuses municipalités partout dans la province pour réfléchir à la façon dont l’industrie peut devenir un meilleur partenaire au sein de la communauté, explique-t-il. Le bruit et les émissions que produisent les génératrices à diesel sont dérangeants, et il est difficile d’obtenir les permis nécessaires pour fermer des rues (en vue des tournages). »
« Si nous parvenons à prouver à ces communautés que nous agissons d’une manière propre et respectueuse de l’environnement, ce sera un grand progrès. Ainsi, nous avons créé une nouvelle carte de raccordement au réseau électrique de l'Ontario, qui permet aux productions de se brancher directement au réseau plutôt que de compter sur des génératrices. Nos gestionnaires de tournage utilisent une carte Google pour déterminer les points de raccordement les plus près des camps de base ou des principaux lieux de tournage. Il y a actuellement environ 90 de ces sites dans la province. Nous réfléchissons également à d’autres moyens de continuer à progresser. »
Justin Cutler et Sam Read fondent de l’espoir dans les technologies émergentes, comme la génération d’hydrogène, qui pourrait bien transformer entièrement les plateaux de tournage, qu’il s’agisse de télévision ou de cinéma.
Cependant, certaines choses ne changeront pas sur les plateaux : les accessoires, les costumes et les constructions à grande échelle, nécessaires pour donner vie à des mondes imaginaires, sont là pour rester. Ce qu’on en fait après le tournage est devenu un élément central des plans de développement durable. Il faut recycler ou miser sur la circularité; ces responsabilités sont en train de s’imposer.
« Il existe toutes sortes d’occasions à saisir en matière de circularité, glisse Justin Cutler. Les entrepôts de matériaux durables ont le vent en poupe en ce moment. Ici, en Ontario, par l’intermédiaire de Ready, Set, Recycle, on trouve des décors à vendre. Les accessoiristes ont eux aussi commencé à penser à la circularité, et de super concepteurs et conceptrices conçoivent maintenant des décors de façon à ce qu’ils soient réutilisables. C’est important à mon avis. Nous empruntons une voie plus tactique, et nous commençons à avoir d’excellents résultats. »
Sam Read ajoute qu’il existe également une perspective communautaire à cette approche.
« Nous avons vu des choses formidables se produire. Par exemple, il y a à New York un entrepôt de matériaux provenant de plateaux de tournage qui est ouvert aux groupes et théâtres communautaires. Quand vous démontez les décors à la fin d’un tournage et que vous avez un tas de murs ou d’autres matériaux qui s’en iront directement au dépotoir, demandez-vous si vous pouvez trouver une production étudiante, une école de cinéma ou un petit théâtre local qui saura en faire bon usage. Ces éléments seront alors utilisés de façon circulaire tout en profitant à la communauté locale. »
PLACEMENT PLANÉTAIRE
L’un des éléments les plus intéressants, et pourtant l’un des moins abordés, dans notre création d’une industrie plus verte réside dans le message. Il ne s’agit pas de prêcher et de faire de grands discours didactiques, mais plutôt d’intégrer le message dans le contenu. On pourrait appeler ça faire du placement planétaire.
« Au fil des ans, nous avons constaté à quel point cette industrie avait le pouvoir d’influer sur les perceptions, rappelle Sam Read. Pensons simplement à Will & Grace, à son succès et à la façon dont la série a fait évoluer les mentalités en ce qui a trait au mariage homosexuel et aux droits des personnes LGBTQ. On peut aussi penser aux conducteurs désignés dans Cheers. »
« Quels comportements durables peuvent être montrés à l’écran ? Parfois, ça peut être une émission entière qui traite de ce thème. Mais ça peut aussi être quelque chose de mineur, comme des figurants qui installent des panneaux solaires sur une maison en arrière-plan. Ou si vous écrivez une sitcom et que vous aviez pensé que le père serait un plombier, peut-être que vous pourriez le transformer en technicien en panneaux solaires ? »
« Il y a de nombreuses possibilités que cette industrie doit continuer à explorer pour favoriser un avenir durable. Il faut incorporer toutes les nouveautés dans le contenu que nous montrons à l'écran et ainsi avoir une incidence réelle sur l’auditoire. »