Le Big Data : l’avenir de la télévision ?
En 2011 au Canada, les revenus de la publicité en ligne ont atteint 2,593 milliards de dollars, une croissance de 16 % par rapport à 2010 (selon IAB Canada), tandis que ceux de la télévision traditionnelle, payante et spécialisée, publique et privée, connaissaient une plus modeste hausse de 4,5%, pour atteindre 3,578 milliards (selon Statistique Canada) . L’écart entre les revenus des deux médias se rétrécit de plus en plus, au point où certains spécialistes prédisentqu’au Canada les revenus de la publicité en ligne dépasseront ceux de la publicité télévisée en 2016.
Il n’est pas étonnant dans ce contexte que les annonceurs se prennent à rêver d’un nouveau média qui permettrait de jumeler la puissance du média de masse qu’est la télévision avec la précision des engins de recommandation ainsi que l’instantanéité et l’ubiquité de la publicité en ligne.
La promesse : une expérience télévision qui transcende les écrans, façonnée sur mesure pour chaque téléspectateur grâce à des recommandations d’émissions choisies spécialement pour lui façon Amazon et Netflix, financées par des publicités en harmonie avec ses intérêts et placées instantanément devant son regard grâce à des enchères en temps réel (real-time bidding), qui permettent d’allouer des espaces publicitaires sur tous les écrans.
Pour capitaliser sur cette promesse, par exemple, le géant Samsung a présenté au Consumer Electronic Show 2013 sa nouvelle Smart TV, qui affiche cinq écrans d’accueil différents et dont le premier recommande émissions, films et séries en fonction de l’historique de consommation du téléspectateur et des émissions les plus populaires.
À la clé de ces innovations : le Big Data, un concept qui a pris de l’ampleur ces dernières années et désigne le traitement des données volumineuses générées par les internautes, leurs interactions sur les médias sociaux, leurs transmissions et réceptions de vidéos et de photos en ligne, les signaux GPS de leurs téléphones cellulaires, leurs achats sur le Web, etc., auxquels il faut ajouter les données générées par les millions de capteurs sans fil installés dans les objets du quotidien. Consacré nouvel or noir du 21e siècle, le Big Data est en voie de devenir un élément essentiel à la compétitivité des entreprises.
Les promesses du Big Data pour la télévision
Depuis que la distribution de la télévision s’est numérisée, que de plus en plus de téléviseurs sont connectés à Internet, directement ou par l’entremise d’appareils divers (consoles de jeux, lecteurs DVD, etc.), que le visionnement de vidéos en ligne a explosé et que l’expérience télévision se prolonge sur un deuxième, voire un troisième écran, les consommateurs produisent une multitude de données sur leurs habitudes d’écoute et de consommation, lesquelles ne demandent qu’à être extraites.
On connaît l’analyse des conversations sur Twitter autour des émissions de télévision, une activité en passe de devenir une industrie en soi. Mais Twitter, ce n’est qu’une faible portion de la vie en ligne. En dépit des raccourcis qu’on voit souvent dans les médias, « abonné Twitter » n’est pas synonyme de « tout le monde », et la population qui utilise Twitter n’est pas représentative de la population en général.
Les informations vraiment représentatives de l’auditoire, on les retrouve dans toutes ses interactions avec la télévision et dans ses transactions en ligne, une matière brute qui peut être transformée en informations rentables. Plusieurs entreprises sont positionnées pour en tirer profit. Ooyala, une start-up de Silicon Valley par exemple, spécialisée en produits et services technologiques pour la vidéo en ligne, assure utiliser les dernières technologies analytiques et une « architecture Big Data » pour permettre aux diffuseurs de livrer le bon contenu, sur le bon écran, au bon moment (the right content, to the right screen, at the right time) afin d’engager le téléspectateur dans une expérience immersive dont les annonceurs voudront faire partie.
De son côté, Simulmedia, une agence de la région de New York financée par Time Warner entre autres, dont le slogan est « People ads want », vend de la publicité pour la télévision en utilisant les données et la méthodologie de la publicité en ligne, c’est-à-dire en appliquant la recette du succès de la publicité web et de la publicité de recherche, l’analyse de volumes élevés de données en temps réel. Selon son évaluation, 90 % de l’écoute de la télévision provient de 60 % des téléspectateurs. L’analyse des données disponibles permet de capturer les 40 % qui restent, de réagréger tout l’auditoire possible pour un contenu publicitaire et d’élargir sa portée. Il y a aussi ce projet pilote que Time Warner mène au Texas et qui offre à ses clients de cibler les consommateurs avec la même campagne publicitaire sur toutes les plateformes, de la télévision câblée aux médias sociaux, en passant par le Web et les appareils mobiles. La plateforme mise à l’essai permet de mesurer l’engagement d’une personne avec une campagne sur chaque plateforme et de lui proposer une offre spéciale sur mesure.
Netflix, championne de la vidéo en ligne, a parié plus de 100 millions de dollars sur sa capacité à deviner les besoins de ses abonnés à partir de l’analyse de la masse de données que ceux-ci génèrent. C’est le prix que l’entreprise aurait payé pour arracher les droits de première diffusion des deux premières années de la série House of Cards aux réseaux HBO et AMC. En croisant les données sur le nombre d’abonnés qui apprécient les films du réalisateur de la série, David Fincher, avec ceux qui sont fans de la vedette, Kevin Spacey, avec les amateurs de thrillers politiques, Netflix se dit convaincue que cette série sera un grand succès.
L’avenir est aux données, non à la quincaillerie
Les possibilités du Big Data sont extrêmement impressionnantes. On raconte qu’elles sont presque responsables de la réélection de Barack Obama, dont la campagne a exploité leur puissance à son avantage en permettant de rebâtir la coalition de 69 millions d’électeurs qui avaient voté pour lui en 2008, d’identifier les électeurs qui pouvaient être amenés à changer de camp et de trouver pour chacun les arguments qui pourraient le convaincre.
Dans notre nouveau monde interconnecté, l’avenir est au Big Data, en politique comme en économie, et la télévision n’y échappera pas. Dans ce monde où Internet amène les gens à se regrouper en tribus autour d’intérêts pointus, la segmentation en fonction des profils démographiques perd de son sens. Les données deviennent une nouvelle monnaie d’échange qui permettra à ceux qui sauront les exploiter d’acquérir des avantages commerciaux et de fournir aux annonceurs et à l’auditoire une expérience taillée sur mesure : la télévision personnalisée.