Le Canada bien représenté aux GLAAD

Déroulez le tapis rouge! Le 34e gala annuel des prix médiatiques GLAAD (Gay & Lesbian Alliance Against Defamation) est à nos portes, et plusieurs films et émissions canadiennes sont nommés. Coup d’œil sur ces fier·ères finalistes et sur la façon dont GLAAD soutient les communautés 2SLGBTQIA+. D’ailleurs, aurait-on besoin d’une version canadienne des prix GLAAD?

Les Golden Globes sont amusants, les BAFTA, sophistiqués, et les Oscars sont synonymes de divertissement à grand déploiement. Mais pour les fier·ères cinéphiles, téléphiles et mélomanes queer, rien ne bat les prix GLAAD.

Depuis 33 ans, l’association GLAAD, un organisme de défense des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles et transgenres dans les médias, remet des prix afin de rendre hommage aux médias qui mettent de l’avant une représentation juste, respectueuse et inclusive des communautés 2SLGBTQIA+ et des enjeux qui touchent leurs vies.

Les premiers trophées ont été remis à New York le 29 avril 1990. Ce soir-là, GLAAD a remis à l’animateur Phil Donahue le prix de la personnalité médiatique de l’année pour sa couverture engagée de la communauté LGBT. Imaginez gagner un prix simplement pour avoir donné aux personnes queer une plateforme où faire entendre leur voix…

Puis les temps ont changé, et Hollywood a lentement commencé à porter des personnages et des récits queer à l’écran. Des émissions de télévision comme The Real World de MTV ou Roseanne et, bien sûr, l’épisode acclamé du coming-out d’Ellen DeGeneres à son émission Ellen, ont su accueillir la communauté LGBT. Sur le grand écran, My Own Private Idaho, Bound et Le Pot aux roses (In & Out) ont marqué le début d’une ouverture nouvelle.

Ce n’était pourtant pas toujours joli… avec des stéréotypes homosexuels omniprésents, et on aurait dit que chaque personnage principal hétéro avait son acolyte gai. La représentation des personnes trans et bispirituelles était elle, quasi inexistante.

Plus de 30 ans plus tard, heureusement, la différence est remarquable.

Cette année, la 34e édition des prix des médias GLAAD — remis à l’occasion de deux galas, l’un ayant déjà eu lieu à Los Angeles à la fin du mois de mars, l’autre étant prévu le 13 mai à New York — fait la part belle aux nominations canadiennes.

Le cinéaste Chase Joynt a été récompensé dans la catégorie Meilleur documentaire pour Chasing Agnes, un film poignant et intelligent qui reconstitue des transcriptions récemment découvertes de patient·es ayant reçu des soins pour l’affirmation de genre dans les années 1950. 

Le·a réalisateur·trice bispirituel·le L’nu Bretten Hannam, de la Nouvelle-Écosse, pourrait repartir avec le trophée du meilleur film pour la diffusion en ligne ou la télé pour son drame Wildhood. Le récit de passage à l’âge adulte met en scène Lincoln (Phillip Lewitski), un adolescent mi’kmaw, et son demi-frère qui partent à la recherche de leur mère disparue. En route, ils rencontreront Pasmay (Joshua Odjick), une personne ouvertement bispirituelle, qui aidera Lincoln à découvrir sa vraie identité.

Wildhood a reçu la faveur tant de la critique que du public. Pour le producteur principal, Gharrett Paon, la nomination pour le prix GLAAD est comme la cerise sur le gâteau.

«Wildhood a été en lice pour plus de 30 prix internationaux et en a remporté 20, rapporte-t-il. C’est incroyable! Nous avons déjà reçu tellement de soutien et d’amour de la part de l’industrie.»

«Mais, poursuit-il, je pense qu’une nomination des GLAAD a un peu plus de poids. C’est difficile pour les films canadiens plus sobres de se distinguer à l’international. Le fait d’être reconnu aux États-Unis par le plus grand organisme défenseur de la représentation des personnes queer dans les médias... on ne peut s’empêcher de sourire et de se convaincre que les petits films de Nouvelle-Écosse peuvent avoir leur place sur la scène internationale.»

Wildhood

Pour la deuxième année consécutive, la série à succès En quelque sorte (Sort Of), de CBC, a été remarquée dans la catégorie meilleure série humoristique. Cocréée par Bilal Baig et Fab Filippo, cette série acclamée suit Sabi Mehboob (Bilal Baig), un·e millénarial·e non binaire, qui lutte pour trouver sa place dans le monde.

Et n’oublions pas les jeunes! L’une des catégories les plus inspirantes du gala est celle de la meilleure programmation destinée aux enfants. Cette année, trois séries d’animation produites au Canada sont nommées, dont Pomme de pin et Poney (Pinecone & Pony), qui présente des personnages non binaires. Un épisode de Dino Ranch dans lequel des pères dinosaures désirent voir éclore un œuf de dinosaure bien à eux, et Charlotte aux fraises: à la conquête de la grande ville (Strawberry Shortcake: Berry in the Big City), où l’on retrouve un personnage trans, ont récolté les deux autres nominations.

«Le Canada vit un moment remarquable», note Mathieu Chantelois, le vice-président exécutif, Marketing et affaires publiques du Fonds des médias du Canada. «Les productions canadiennes remportent des prix pour la diversité dans de grands événements de l’industrie partout dans le monde. Il reste beaucoup de travail à faire, mais nous devons poursuivre sur cette lancée.»

Dino Ranch

Définir ce «travail à faire», c’est le moteur qui propulse GLAAD. La mission de l’organisation va bien au-delà des cérémonies de remise de prix; GLAAD mène des recherches approfondies sur la représentation des 2SLGBTQIA+ dans tous les médias, y compris la diffusion en continu, les bandes dessinées, les talk-shows et les bulletins d’information télévisés. Les résultats de ces recherches se retrouvent sur son site Web, comme le rapport Where We Are On TV, qui dévoilait en 2021 que, des 773 personnages réguliers apparaissant dans des émissions de télévision scénarisées à des heures de grande écoute lors de cette saison, seuls 9,1 % étaient LGBT+. De plus, GLAAD n’a recensé aucun personnage transgenre dans les 44 films issus des grands studios en 2020 — la même chose que les trois années précédentes. Cela signifie zéro personnage transgenre sur un total de près de 400 films suivis depuis janvier 2017.

Également sur le site Web, les cinéastes peuvent vérifier si leur film passe le test Vito Russo, nommé ainsi en l’honneur du cofondateur de GLAAD, historien du cinéma et auteur de The Celluloid Closet. Le test s’inspire du fameux test de Bechdel, qui analyse la représentation des femmes à l’écran.

Pour passer le test Vito Russo, un film doit notamment compter au moins un personnage 2SLGBTQIA+ identifiable; le personnage ne doit pas être défini uniquement ou de manière prédominante par son orientation sexuelle ou son identité de genre; et il doit être rattaché à l’intrigue de sorte que son retrait du scénario aurait des conséquences notables. En d’autres mots, le personnage doit avoir de l’importance.

Le paysage médiatique canadien devrait-il créer son propre GLAAD, un organe de surveillance qui se penche sur la manière dont les médias d’ici représentent les communautés 2SLGBTQIA+ et qui remet des prix par la même occasion?

Si le producteur Gharrett Paon soutient le travail du GLAAD, il ne croit pas que l’environnement médiatique unique du Canada ait nécessairement besoin de toutes les paillettes et du glamour de l’organisme américain.

«Je pense que nous avons du mal à intéresser les Canadiens et Canadiennes aux différents prix que nous avons déjà, dit-il. Je ne suis pas sûr que nous ayons besoin d’un autre gala au Canada qui attirerait surtout l’attention de notre propre industrie, particulièrement parce que le contenu queer est déjà régulièrement reconnu par nos prix existants. 33 tours, qui aborde des thèmes queer, vient de tout rafler aux Prix Écrans canadiens, et notre film, Wildhood, a été nommé l’an dernier pour le prix du meilleur film.»

«Il y a d’innombrables exemples année après année, continue-t-il. Toutes proportions gardées, je pense que le Canada fait déjà un travail fantastique pour célébrer le contenu queer.»

Quant à Mathieu Chantelois du FMC, il ne voit pas les choses du même œil.

«GLAAD est un leader incroyable partout dans le monde, et le Canada a bénéficié de leurs recherches et de leurs activités militantes, convient-il. Mais le Canada, ce n’est pas les États-Unis. Nous devons développer notre propre expertise, nos propres protocoles sur les plateaux, nos propres études.»


Ingrid Randoja
Journaliste indépendante, Ingrid Randoja est l'ancienne responsable éditoriale de la section Film du magazine NOW de Toronto, l'ancienne rédactrice en chef adjointe du magazine Cineplex et l'une des membres fondateurs de la Toronto Film Critics Association.
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