Le développement des entreprises médiatiques et la crise de la COVID-19

La production médiatique est pour le moins changeante dans les circonstances actuelles. Ainsi, les producteurs se recalibrent ― alors qu’ils tirent généralement parti de la connectivité à l’échelle internationale, la portée de leur activité est réduite. En cette période d’incertitude, nous faisons le point sur la façon dont des producteurs canadiens financent leurs contenus et jetons un coup d’œil aux partenaires internationaux qui représentent ce travail à l’échelle mondiale.

Renforcer la «cavalerie»

Malgré les obstacles et l’agitation propre au développement de projets en vue d’une diffusion à grande échelle, les producteurs possèdent un flair pour le développement d’affaires créatif. Comme l’affirme l’auteur et théoricien des médias Charles Davis, «les responsables du développement des affaires sont comme la cavalerie», cherchant de nouveaux marchés et tirant parti d’accords préexistants. Les productions à l’arrêt en raison de la pandémie de COVID-19, la nature déjà imprévisible des industries du cinéma et de la télévision s’est amplifiée. À l’heure actuelle, la persévérance l’adaptabilité sont de mise.

Emily Kulasa est une productrice expérimenté et œuvre à titre de directrice des affaires commerciales pour First Generation Films. Selon elle, les partenariats internationaux dans les domaines du cinéma et de la télévision ont jeté les bases d’une expansion de l’écosystème médiatique canadien et continueront d’être essentiels. «L’industrie cinématographique au Canada n’existerait pas sans les coproductions», affirme Kulasa, ajoutant que «la majorité des contrats de First Gen sont d’envergure internationale». Leurs collaborations avec l’Irlande, le Royaume-Uni et l’Allemagne (pour un prochain long métrage) démontrent qu’il est important pour les «producteurs canadiens d’établir des réseaux [...] et de rencontrer des producteurs d’autres pays.» 

Kulasa précise que «l’industrie en général ne peut pas fonctionner en vase clos.» Lorsque la présidente de First Gen, la prolifique productrice canadienne Christina Piovesan, a un horaire bien rempli, elle organise des réunions et des réseaux pour transmettre des projets intéressants, mais pour lesquels elle n’a pas de temps, à une autre équipe. Kulasa précise: «C’est quelque chose d’international; ça dépasse les frontières internationales.»

Certains pays ont réagi aux impératifs de coproduction mondiale en assouplissant les stipulations de leurs traités pour les rendre davantage compétitifs. C’est notamment le cas de  l’Irlande, dont les traités sont devenus particulièrement souples. Certains producteurs canadiens ont également commencé à plaider en faveur d’une plus grande flexibilité dans les accords entre les pays signataires d’un traité de coproduction avec le Canada.

Du financement pour l’exécution

L’inévitabilité de la coproduction et ses tactiques de distribution et de marketing sont maintes fois démontrées dans les directives de programmation des fonds canadiens de développement des exportations. En fait, la plupart des programmes mettent l’accent sur la gestion des relations transfrontalières qui s’articule autour de la coproduction et des pré-ventes internationales.

Parmi les initiatives de marché du Centre canadien du film (Canadian Film Centre, ou CCF) figure le projet mondial Netflix/CFC, qui dépasse le cadre des diffuseurs dans un paysage médiatique en constante évolution. Le projet Marketplace Accelerator est «conçu pour renforcer la préparation des festivals et des marchés internationaux pour [...] des projets narratifs scénarisés passionnants qui ont un potentiel international», mais il est stipulé que «les projets doivent être développés et au stade de la mise en marché.»

Dans tout échantillon de programmes de financement des exportations, il est essentiel de mettre en évidence le Forum sur le financement international d’Ontario Créatif, le «rendez-vous de cofinancement de longs métrages […] au Festival international du film de Toronto (TIFF).». Le FFI, «assemble des productrices et producteurs internationaux et canadiens triés sur le volet d’un côté, et des agentes de ventes internationaux, des distributrices et distributeurs américains, des bailleurs et bailleresses de fonds propres, des agentes et des productrices et producteurs associés de l’autre, en vue de prendre part à des rencontres orchestrées […].»

En 2017, le Canada est devenu le 38e pays membre d’Eurimages, une alliance orchestrée par Téléfilm donc, par extension, Patrimoine canadien. Depuis 2017, les sociétés de production canadiennes peuvent soumettre des coproductions à Eurimages et au Fonds de soutien au cinéma européen pour obtenir des subventions.

Enfin, les Programmes pour l’exportation du Fonds des médias du Canada sont conçus expressément pour «aider à financer des activités de développement de projets télévisuels destinés aux marchés internationaux.»

Stratégie de pivot

Une grande partie du financement du développement des exportations offert aux producteurs canadiens repose sur des rencontres physiques, sur des événements où le réseautage se fait en personne entre producteurs de divers pays. Malgré la COVID-19, ces interactions demeurent inestimables. Certaines organisations ont récemment offert un soutien pour le développement de projets afin de pouvoir fournir une aide immédiate. Le nouveau carrefour de formation et de développement professionnel en ligne de la Commission du film de l’Ontario offre un soutien aux travailleurs du cinéma, qu’ils soient expérimentés ou novices, dans le contexte de la pandémie.

Mais qu’en est-il d’options à long terme plus investies?

La manière dont les producteurs et les créateurs s’engagent auprès des financiers et des distributeurs est déterminante pour la télévision et le cinéma. L’équilibre que les producteurs canadiens doivent trouver entre le financement national et le financement international sera probablement négocié par le biais d’interfaces plutôt que de rencontres en personne. Un marché virtuel a d’ailleurs récemment été lancé par une coalition composée de studios indépendants britanniques et américains, d’agences hollywoodiennes et du distributeur allemand Wild Bunch International pour le Festival de Cannes. 

Les technologies virtuelles s’avèrent globalement essentielles pour les procédures commerciales dans d’autres industries pendant la pandémie de COVID-19, et certaines organisations artistiques suivent le mouvement. Dans une mise à jour concernant la fermeture temporaire du TIFF Bell Lightbox, les codirecteurs Joana Vicente et Cameron Bailey ont annoncé que l’organisation «examinera les innovations sur place et numériques qui offriront des options [...] à nos publics, soutiendront les cinéastes, nos partenaires et stimuleront l’industrie» en septembre prochain. Avec la récente participation du TIFF à We Are One: A Global Film Festival, Vicente et Bailey ont tous deux exprimé que l’organisation continuera de planifier un festival physique pour l’automne. Leur témoignage souligne l’importance cruciale d’accueillir des initiatives actives de développement commercial pendant tout festival, y compris la conférence annuelle du TIFF pour l’industrie.

Un changement dans les façons de faire

Les producteurs et les créateurs canadiens ont toujours soutenu les collaborations internationales et ont présenté leurs projets avec l’aide de la technologie. Il est intéressant de voir comment les fonds publics pourraient aider cette connectivité ― pendant une période aussi incertaine que l’actuelle, mais aussi dans l’avenir des réseaux numériques. 

La nécessité de présenter des films et des émissions de télévision «en attente» restera un dilemme, malgré l’annulation ou le report de festivals internationaux et de sorties en salles. Le Conseil des arts du Canada a pris acte de cette réalité «en réponse à l’impact de la COVID-19 sur le milieu artistique.» Le Conseil invite actuellement les demandeurs au Fonds Stratégie numérique à soumettre d’ici le 31 juillet 2020 des propositions qui «mettent en œuvre des solutions numériques en guise de réponse stratégique à la crise de la COVID-19». 

Vivre et travailler comme producteur peut sembler décourageant pour l’instant ― pour des raisons évidentes. Mais, en fin de compte, la situation actuelle est un moment-pivot. Les objectifs et les ambitions des producteurs et des créateurs restent les mêmes, et ce, malgré la nécessité de pivoter.

En fait, le pivot est ce que les producteurs maîtrisent le mieux.


Kathryn Armstrong
Kathryn Armstrong est à la fois consultante et spécialiste des médias.
Sa feuille de route est axée sur les collectivités et individus qui définissent l’écosystème médiatique fort diversifié du Canada. Ses récentes publications incluent notamment sa thèse sur le discours national de la cinématographie canadienne, remise au Cinema Studies Institute de l’Université de Toronto. Elle livre également de nombreux discours, notamment lors des conférences de l’Association canadienne d’études cinématographiques. Les sujets qu’elle aborde incluent la relation entre les producteurs canadiens indépendants et les diffuseurs nationaux. Connue pour son intellect et son habileté à créer des liens, Kathryn a effectué des travaux de recherche pour l’ACPM, en plus d’avoir travaillé en étroite collaboration avec le TIFF et Ontario Creates. Elle est titulaire d’une maîtrise en production médiatique de l’Université Ryerson, ainsi que d’une maîtrise et d’un baccalauréat en études cinématographiques de l’Université de Toronto.
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