Le transmédia a-t-il encore de beaux jours devant lui?
Le transmédia a encore une fois été éclipsé par la réalité virtuelle et ses casques lors de l’édition 2015 du festival South by Southwest™ Interactive, comme en témoignent trois conférences réunissant des acteurs-clés de l’industrie.
Cette année encore, le festival South by Southwest™ Interactive ne bruissait que des dernières expériences « VR », la réalité virtuelle lancée en grande pompe l’an dernier avec les installations Game of Thrones et Strangers de Félix & Paul. Depuis, Oculus n’est plus le seul casque en dévelopment et les collaborations entre différentes industries se sont multipliées, notamment avec le cinéma, à une vitesse étonnante.
De quoi se poser la question de la convergence totale, promise par le transmédia, mais que partiellement atteinte. Et si la réalité virtuelle parvenait à accomplir ce que n’a pu réussir la narration transmédia, à savoir la fusion ultime entre contenu et technologie, entre jeu vidéo et cinéma?
Le « créateur activiste »
Le premier indice de ce changement de paradigme nous vient du cours de maître donné par Robert Kirkman, créateur de The Walking Dead. De ses débuts comme auteur de comics en noir et blanc, Kirkman est devenu en seulement quelques années la tête créative d’un empire télévisuel et vidéoludique, à peine fragilisé par Game of Thrones dans le cœur des geeks.
Kirkman se définit comme un « créateur activiste », comme en témoigne l’intitulé de sa conférence à Austin. Cette dénomination quasi militante s’explique par sa volonté de garder la mainmise sur sa création et d’offrir le même pouvoir aux autres auteurs de sa société Skybound, créée en 2010.
Pourtant, il hésite avant d’employer le terme « transmédia », qui semblerait pourtant représenter le terme tout désigné pour qualifier l’univers de The Walking Dead : « Je déteste autant que tout le monde le terme transmédia. »
Le ton est donné, mais sans acrimonie. Kirkman précise que l’objectif fixé pour sa saga zombiesque n’a jamais été de devenir transmédia : « C’est devenu transmédia presque par accident. Lorsque j’ai commencé à travailler sur The Walking Dead, je n’avais qu’un objectif : en faire une bonne fantaisie. »
Néanmoins, le scénariste soulève un point intéressant : alors même que sa société, Skybound, produit aussi bien des comics books que des séries pour le Web et la télévision, des jeux vidéos et des produits dérivés et bien qu’elle vienne de signer un partenariat avec Maker Studios, c’est le terme même de transmédia qui reste connoté, du moins aux États-Unis, comme une expression essentiellement commerciale, comme le soulignent les envoyés spéciaux du journal Le Monde.
La production transmédia semble donc être devenue normale pour des sociétés comme Skybound, à un point tel qu’il n’est même plus nécessaire de le mentionner. Le développement et l’exploitation des propriétés intellectuelles détenues sont désormais intégrés aux fondements mêmes de ces sociétés multiplateformes. En étant aussi étroitement intégrée au cœur des activités de l’entreprise, la problématique de « faire du transmédia » en devient ainsi caduque.
Transmédia contre réalité virtuelle
Pourquoi une telle défiance à l’égard d’un mot qui a tellement enthousiasmé le milieu de l’audiovisuel il y a à peine de cela quelques années? La complexité de la notion, qui peine encore aujourd’hui à trouver une définition simple et partagée par tous, est sans doute en partie responsable de cette lassitude.
Les promesses offertes par le transmedia étaient – et sont toujours – immenses, depuis la convergence des contenus jusqu’à celle des technologies, en passant par une intégration active du public devenant par là-même « spect’acteur ».
L’une de ces promesses, particulièrement forte en potentialités pour les univers de l’imaginaire, était celle de l’immersion : grâce aux jeux en réalité alternée (ARG) et autres jeux de piste à vivre en ligne ou dans la vie réelle (IRL), on pourrait faire vivre une histoire au spectateur « comme s’il y était », dans un effet poreux entre le réel et le virtuel.
Aujourd’hui, cette immersion recherchée par la narration transmédia se trouve quasiment annihilée par l’arrivée de la réalité virtuelle. Plus besoin d’un ARG complexe et coûteux à mettre en place lorsqu’il suffit désormais de poser un casque sur sa tête pour se voir transporter dans une autre dimension.
Du journalisme à la porno en passant par le jeu vidéo et le cinéma, tous les univers seront bouleversés par l’arrivée de ces casques dans les foyers – ce que promet le transmédia depuis 2003…
Pour avoir la sensation de se trouver en haut du Mur de Westeros, dans la cabine du vaisseau d’Interstellar ou tout simplement au milieu de chevaux sauvages d’une plaine de Mongolie, la réalité virtuelle ne propose plus qu’un seul et même geste à l’utilisateur : enfiler un casque et se laisser emporter.
En arrière-plan, pour parvenir à une véritable immersion, ça demeure complexe : il faut filmer à 360 degrés (Félix & Paul, et les autres réalisateurs, ont fabriqué leur propre système de captation) tandis que les fabricants de casques travaillent encore à éliminer le flou et le vertige ressenti par les utilisateurs de leurs produits.
Mais l’essentiel est là : la manipulation est simple et la sensation inédite, unique pour le spectateur, qui n’a plus besoin d’aller chercher le compte Twitter ou le blogue de son héros de fiction favori, alors que celui-ci peut désormais s’adresser directement à lui, « les yeux dans les yeux ».
Du transmédia au « sensual media »
Autre conférence, autre ton. Lors de « The Future of Storytelling: The Event », on ne parle même plus de transmédia. En effet, le mot n’y a pas été prononcé une seule fois.
Aaron Koblin (artiste numérique, VRSE), Ari Kuschnir (producteur chez Missing Pieces), Charles Melcher (monteur numérique) et Levi Khansari (concepteur de jeux) préfèrent évoquer le terme « sensual media », à contre-courant des démonstrations de force que peuvent parfois livrer certains projets multiplateformes. Ici, l’idée est de raconter des histoires « sensibles » et « émouvantes » en utilisant moins la technologie pour la technologie, mais plutôt pour l’émotion qu’elle induit. Ce sont donc les mêmes réflexions qui étaient à l’œuvre l’an dernier, comme en témoigne mon bilan du SXSW 2014.
C’est certes signe que le « slow media» et le « sensual media» ont la cote, mais néanmoins, depuis l’an dernier, une nouvelle donnée est venue s’insérer dans le paysage : la réalité virtuelle a fait du chemin et est explorée aussi bien par Facebook que par Hollywood. C’est signe d’un intérêt global, palpable aussi bien dans les rues d’Austin que sur les blogues spécialisés.
Un intérêt inédit pour une technologie encore réservée à un petit nombre, avant peut-être une commercialisation des casques Oculus, Morpheus et consorts d’ici la fin de l’année en cours ou le début de 2016.