Les auditoires et les nouvelles technologies à l’avant-plan d’un grand renouveau dans l’univers du divertissement
Les rapports de force qui façonneront l’avenir de l’industrie du divertissement et de ses modèles d’affaires sont en plein changement. Les puissantes avancées technologiques qu’on a pu observer l’année dernière, comme l’IA générative (et le fait qu’elle a été si largement adoptée), indiquent que l’industrie est prête à entrer dans une phase de perturbation accélérée récurrente. Et, en ce moment, ce sont les publics et les entreprises derrière les technologies novatrices qui guident les changements qu’on observe dans la façon dont le divertissement est créé, distribué et consommé.
La valse des plateformes, des artistes et des auditoires
Les plateformes de partage de médias ne se contentent plus d’apprendre du comportement de leurs utilisateurs et utilisatrices pour créer une boucle ludique qui maintient l’attention du public afin d’augmenter la valeur des abonnements ou les bénéfices des annonceurs. La plupart d’entre elles s’entraînent activement à partir des données fournies par le public et les créateurs et créatrices. Elles pourront ensuite à leur tour potentiellement influencer leurs propres décisions en matière de contenu et de produits. Il en va de même pour de nombreux outils d’IA générative dont se servent les créatrices et créateurs de contenu. En conséquence, l’équilibre des forces en ce qui concerne la narration penche de plus en plus du côté des plateformes elles-mêmes. Certains créateurs et créatrices continuent de percevoir des revenus importants et il est vrai que le public bénéficie d’un divertissement de qualité gratuit ou à peu de frais, mais les plateformes tirent davantage profit des données et des renseignements qu’elles récoltent.
En outre, les applications de médias sociaux et les boutiques d’applications fournissent aux créateurs et créatrices divers niveaux de données précieuses sur leur propre contenu et leurs auditoires. Certaines plateformes offrent plus de renseignements que les autres, ce qui incite les créateurs et créatrices à les choisir; ainsi, elles profitent de plus de contenu à monétiser et dont elles peuvent apprendre.
Le public qui utilise les plateformes est également incité à y publier davantage de contenu. Dès qu’une personne publie du contenu sur une plateforme, elle peut être considérée comme une créatrice, en quelque sorte, et son contenu sera moussé pour le rendre plus attrayant. Des outils tels que Meta AI, Snap AI et même YouTube, qui intègrent Veo dans leurs plateformes, permettent au public de s’amuser à créer des contenus captivants. Les outils hors plateforme, de Sora d'OpenAI à Canva, facilitent également la tâche à un plus grand nombre de personnes qui souhaitent créer du contenu.
Une simple utilisation de base d’un grand nombre de ces plateformes et même de certains jeux fait augmenter la quantité de contenus qui contribuent à éduquer l’IA. La plupart des plateformes populaires placent automatiquement les gens dans une position où ils acceptent que l’IA s’entraîne à partir de leurs informations. Ils doivent retirer leur consentement manuellement s’ils refusent un tel usage de leurs données. Des jeux de Niantic, comme Pokémon Go, utilisent les scans faits par les joueurs et les joueuses pour entraîner un modèle d’IA à cartographier des lieux dans le monde entier. Sur LinkedIn, les membres doivent continuer à publier régulièrement, sans rémunération, des réflexions précieuses sur la manière dont ils abordent leurs domaines professionnels s’ils souhaitent conserver le badge ludique « Top Voices ». De plus, bon nombre de ces plateformes sont associées à des outils d’IA générative offrant diverses caractéristiques, de Veo 2 de Google Deepmind à Hunyuan AI de Tencent.
Serait-il possible que ces plateformes deviennent éventuellement elles-mêmes les plus grandes génératrices de contenu de synthèse en plus d’avoir la mainmise sur les algorithmes qui décident quels récits et quelles expériences seront facilement accessibles aux auditoires ? Il est temps que les principaux intervenants et toutes les parties prenantes de l’industrie adoptent des lignes directrices et des lois qui protègeront équitablement les intérêts et le gagne-pain de tous ceux et celles qui gravitent dans notre écosystème, y compris les divers publics et les entreprises.
Les personnages, nouveaux médias
Si, en 2019, les êtres virtuels ont commencé à émerger dans l’univers du divertissement, en 2025 ils pourraient s’imposer en tant que média en soi grâce aux avancées techniques ainsi qu’à l’intérêt grandissant du public pour l’interaction avec le contenu et les agents numériques de l’IA générative. On peut accéder au contenu sur demande et maintenant on peut aussi accéder aux êtres virtuels sur demande. Les personnages sont l’essence même d’un monde défini par un artiste, mais les audiences peuvent désormais inviter des personnages basés sur l’IA dans leurs univers propres. Par exemple, les gens qui utilisent ChatGPT peuvent déjà discuter de vive voix avec des êtres virtuels grâce à de simples invites. De son côté, X étend l’intégration d’une IA futée appelée Grok à de multiples caractéristiques de son expérience utilisateur, alors que MasterClass On Call permet à ses membres d’interagir avec des agents conversationnels formés pour se comporter comme les vedettes et experts de sa plateforme.
Les interactions de synthèse avec des personnages fictifs ou des célébrités peuvent aller au-delà de la voix. Mark Zuckerberg a récemment démontré la capacité de Meta à créer des doubles numériques, avec le consentement de l’utilisateur, en organisant un appel vidéo en direct avec un double numérique du technologue créatif et futuriste Don Allen Stevenson III, sous le regard de ce dernier. Meta permet également aux artistes de créer plus facilement des personnages non joueurs alimentés par l’IA générative et avec lesquels le public peut interagir dans des univers sociaux totalement immersifs.
Des applications comme Replika permettent au public de créer ses propres amis virtuels générés par l’IA. Ceux-ci peuvent même « prendre vie » grâce à la réalité augmentée. Bientôt, l’intégration de la vision par ordinateur grâce aux caméras des appareils aidera l’IA derrière les personnages à mieux comprendre le contexte du monde dans lequel se trouve l’auditoire, ajoutant ainsi une nouvelle couche à l’expérience immersive. Et, plus le public interagira avec ces personnages, plus les plateformes apprendront à le connaître et plus elles seront en mesure de lui créer des offres attrayantes. Elles parviendront peut-être même à exploiter les informations obtenues au bénéfice des annonceurs.
Grâce aux outils disponibles, les créateurs et les créatrices ainsi que le public peuvent concevoir leurs propres personnages interactifs. Évidemment, cela signifie aussi qu’il est plus facile de générer des hypertrucages (« deepfakes ») ou encore des personnas qui ressemblent étrangement à de vraies personnes, et ce, sans le consentement de ceux et celles à qui appartiennent les droits de propriété intellectuelle, des actrices et acteurs ou même des membres de l’auditoire.
Divertissement sur mesure
Les plateformes au contenu attrayant et les algorithmes performants fidélisent leur public, gagnant la confiance des internautes par leur curation. Toutes les plateformes continueront à s’affronter pour réussir leur curation mieux que leurs concurrentes. Mais la personnalisation, rendue possible grâce à l’IA générative, permettra d’offrir des solutions de divertissement sur mesure à un niveau inédit.
La création de contenu personnalisé de longue durée coûte encore très cher, mais elle est tout de même déjà possible. Par exemple, l’expérience de RV Tulpamancer nous offre un aperçu de ce que sera le contenu dans un avenir très proche : avant d’enfiler un casque de RV, chaque spectateur ou spectatrice répondra aux questions d’un personnage créé par l’IA, puis une histoire entièrement immersive basée sur les souvenirs et l’avenir possible des participants sera générée en temps réel. Au fur et à mesure que les plateformes apprendront à mieux connaître chaque membre du public, le contenu pourrait être personnalisé sans même qu’on ait à fournir de renseignements préalables.
Le contenu sur mesure de courte durée est moins coûteux et commence tout juste à émerger. Par exemple, TIME AI dispose d’une fonction qui permet aux gens de poser dans un chat intégré des questions sur ce qui les intéresse dans les articles qu’ils lisent. Ainsi, ils prolongent également leur interaction avec le contenu de TIME.
Si les marques grand public consacrent toujours plus d’argent à la narration pour stimuler l’engagement (en particulier sur les plateformes numériques), les budgets qu’elles investissent et le fait qu’elles ont accès à des renseignements pointus sur leur auditoire contribueront probablement à accélérer l’innovation, stimulant une personnalisation plus poussée des contenus. « Pour les marques, tout part évidemment du contenu sur mesure. L’IA permettra un niveau d’hyperpersonnalisation qui n’a jamais été possible auparavant... et toutes les marques sont déjà dans la course, affirme Eric Shamlin, PDG de Secret Level. Mais ce que je trouve le plus intéressant, c’est la perspective de la cocréation. Les marques peuvent désormais former un modèle d’IA, lui apprendre leurs particularités, puis le rendre accessible à leur public. Celui-ci sera alors à même de cocréer ses propres publicités, contenus et expériences autour de sa marque préférée. Musique, médias sociaux, cadeaux ou nouvelles idées de produits : le public pourra prendre part à de tout nouveaux types de collaborations grâce à la structure et à la flexibilité qu’une IA bien formée lui fournira. »
Selon Sharon Flynn, directrice de la stratégie de collecte d’information chez Publicis Sapient, il est possible de vivre des expériences personnalisées avant même de choisir le contenu. Prenons l’exemple d’un membre du public qui arrive dans n’importe quel « environnement lui offrant un choix », qu’il soit numérique ou physique. « Disney a joué avec ce type d’intervention... Dans les événements où l’on rencontre des personnages, ceux-ci peuvent agir comme s’ils connaissaient les enfants. » Le niveau de personnalisation qui pourrait être possible si une plateforme disposait de plus de renseignements sur un membre du public, au-delà des tendances dans ses intérêts en matière de contenu, est infini.
Un accès facilité à tous les médias
Des balados aux mondes virtuels interactifs, les avancées en termes de fonctionnalités offertes par les plateformes et l’accès aux renseignements du public permettent aux individus de participer plus facilement à la création de contenus et aux créateurs et créatrices de contenu d’étendre leurs histoires à des médias différents ou émergents. Après tout, les plateformes cherchent toujours à proposer un contenu plus attrayant, et elles offrent la possibilité d’atteindre de nouveaux amateurs et amatrices et de créer de nouvelles sources de revenus.
Par exemple, YouTube a bénéficié de sa décision d’étendre son offre aux balados, média qui était traditionnellement réservé à l’audio. En ce qui concerne la création de balados, Fatima Zaidi, PDG de Quill, affirme que « ce sera non négociable en 2025 d’y ajouter la vidéo. Les balados qui réussiront seront ceux qui s’adapteront à leur public et à de nouveaux formats, tels que la vidéo, s’assurant ainsi de demeurer pertinents dans un paysage médiatique qui se transforme constamment et rapidement. À elle seule, Spotify a recensé plus de 250 000 balados vidéo sur sa plateforme, et 170 millions de personnes ont regardé un balado vidéo. La vidéo élargit la portée du matériel produit, ouvre les portes des plateformes qui misent d’abord sur le visuel et favorise la création de contenu promotionnel. »
Outre les outils déjà mentionnés, qui facilitent la production de contenu vidéo pour les créateurs, les créatrices et le public, gardez un œil sur les outils qui en sont à différents stades de développement, tels que Genie 2, lequel est déjà capable de générer des environnements 3D jouables, ou NotebookLM, qui permet de générer de courts épisodes de balado simplement en téléchargeant un PDF. Découvrez l’épisode créé à partir de cet article ici :
L’IA, chasseuse d’histoires
L’IA peut contribuer à dévoiler des histoires vraies qui, jusqu’à présent, ne nous étaient pas accessibles pour cause de limites techniques. Par exemple, des organismes comme le Earth Species Project élaborent des modèles d’apprentissage automatisés pour décoder la communication entre les espèces. Les nouvelles voix pourraient n’être ni humaines ni machines. Imaginez ce que les grandes plateformes de modèles de langage seront à même d’apprendre sur l’humanité, sur la base de leur formation et de nos interactions avec elles. Il y a de quoi être enthousiaste à l’idée que l’IA continue d’être utilisée pour découvrir et inspirer des histoires susceptibles de faire évoluer notre monde.