« Pour vendre sur le marché mondial, il faut créer pour le marché mondial »

Quelles sont les meilleures stratégies pour percer le marché extrêmement concurrentiel d’Hollywood ?

Pour le compte de FMC Veille, je me suis entretenue récemment avec Patricia Elliott, consule et déléguée commerciale principale du Canada à Los Angeles, pour en savoir davantage sur l’aide que son service apporte aux entreprises canadiennes du secteur des médias qui souhaitent mener des activités dans la Cité des Anges.

Le Service des délégués commerciaux (SDC) du Canada fait partie du ministère du Commerce international, représenté par l’honorable François-Philippe Champagne. Le SDC a été établi en 1894 — cela fait donc plus de 120 ans qu’il aide les entreprises canadiennes à promouvoir leurs intérêts économiques sur les marchés mondiaux.

Le SDC compte maintenant 161 bureaux partout dans le monde. Les exportations continuant de s’accroître dans une économie mondialisée, le cinquième des emplois du Canada est directement lié au commerce international. Selon le Guide pas-à-pas à l’exportationun document indispensable publié par le SDC, une entreprise qui connaît du succès sur les marchés internationaux est mieux outillée pour soutenir la concurrence étrangère potentielle au Canada.

Patricia Elliott est à la tête d’une équipe qui grandit sans cesse et qui compte actuellement 15 spécialistes du commerce. Son bureau est responsable d’un territoire couvrant la Californie du Sud, le Nevada et l’Arizona. En plus des arts et de la culture, il s’intéresse à divers secteurs prioritaires, notamment les technologies propres, l’investissement direct étranger (IDE), les technologies de l’information et des communications, les infrastructures, l’innovation et les sciences de la vie.

D’entrée de jeu, Patricia Elliott nous rappelle instantanément à la réalité : « Los Angeles est la capitale mondiale du divertissement, mais elle est aussi la deuxième ville des États-Unis. Bien entendu, l’industrie du spectacle est emblématique : les lettres Hollywood, les Oscars, les Grammys, les Emmys... Toutefois, selon le Centre du commerce international de Los Angeles, ce secteur est éclipsé par celui de la fabrication de pointe, qui représente ici une part plus importante que celle du divertissement et de l’agriculture combinés. L’industrie du spectacle est-elle importante ? Absolument. Par ailleurs, si on la remet dans le contexte de tout ce qui se passe à Los Angeles — les incubateurs, les établissements d’enseignement, la haute technologie —, elle demeure une composante cruciale, mais ce n’est pas le principal moteur économique. »

Irene Berkowitz (IB) : Compte tenu de cette réalité, quelle attention le secteur canadien du divertissement reçoit-il à Los Angeles ?

Patricia Elliott (PE) : Puisque les industries créatives constituent un secteur prioritaire pour le gouvernement actuel, nous pouvons nous concentrer sur la recherche de débouchés pour le cinéma, la télévision, la musique et les arts de la scène du Canada. La première chose à faire est de comprendre le réseau et le marché, ce qui n’est pas une mince tâche à Los Angeles.

IB : Quel est l’objectif principal du SDC à Los Angeles pour cette industrie ?

PE : L’exportation. Il est difficile pour n’importe quelle entreprise canadienne de croître et de renforcer ses activités en se confinant au marché canadien. La Californie compte à peu près le même nombre d’habitants que le Canada. Pour croître et prospérer, il faut prendre de l’expansion à l’extérieur du Canada. C’est vrai pour tous les secteurs.

IB : Comment cela fonctionne-t-il dans la pratique ?

PE : Nous cherchons des débouchés qui correspondent aux capacités canadiennes. Nous pourrions découvrir une occasion absolument phénoménale, mais, si aucune entreprise canadienne n’offre ce service ou ne fabrique ce gadget, cette occasion n’a aucune valeur.

IB : Des exemples ?

PE : Une entreprise canadienne pourrait nous demander : « Avez-vous des contacts avec telle société ? » Nous rencontrons des entreprises comme Netflix, Hulu et Amazon pour tenter de trouver des débouchés, pour ensuite répondre à des entreprises canadiennes : « Ils cherchent telle chose. »

IB : Selon vous, quels sont les principaux obstacles à l’accroissement des exportations ?

PE : L’accès aux capitaux est l’une des plus grandes difficultés que nous constatons. Que vous ayez une entreprise de technologies propres, une société pharmaceutique ou une boîte de production télé, vous êtes toujours à la recherche de fonds pour soutenir la croissance de votre entreprise. Il y a beaucoup d’argent ici, mais tous les secteurs éprouvent les mêmes difficultés, pensant que, si elles ont du succès au Canada, elles en auront aux États-Unis. C’est très rare qu’une entreprise qui se contente de reproduire la même stratégie qui a fonctionné au Canada ait du succès aux États-Unis.

IB : Quelle est l’erreur commise dans cette analyse ?

PE : Il est faux de croire que la stratégie est transférable, que le plan d’affaires peut être répété ici, que vous fassiez affaire avec un investisseur, un distributeur ou un acheteur. L’une de nos principales tâches est de dire aux entreprises canadiennes, par exemple : « Ça ne fonctionnera pas. Vous ne pouvez pas présenter ce PowerPoint à ce bailleur de capital-risque. Ce n’est pas ce qu’il veut voir, car la concurrence est très féroce ici. »

IB : Est-ce que c’est parce que, à Los Angeles, on est en concurrence avec les meilleurs ?

PE : Les entreprises sont en concurrence avec le monde entier, avec tous les pays qui tentent de faire financer ou de vendre leurs produits.

IB : Le SDC tient-il des réunions avec les entreprises pour les aider à améliorer leurs arguments de vente ?

PE : Nous ne l’avons jamais vraiment fait encore avec des entreprises culturelles, mais nous l’avons souvent fait pour des entreprises d’autres secteurs. Il faut toujours avoir les yeux ouverts ici, et être très combatif.

Des gens nous disent : « Je n’ai pas pu fixer une rencontre avec telle personne. » Nous leur répondons d’essayer encore et encore, puisque cette personne n’était pas libre cette journée-là, voilà tout. C’est tout ce que font les gens ici : tenir des réunions.

IB : Quel est votre conseil le plus important en prévision de cette rencontre cruciale ?

PE : Assurez-vous de savoir ce que le marché veut. Ce que les gens achèteront. À quoi ils s’associeront. Connaissez vos concurrents. Assurez-vous que votre produit est viable sur le plan commercial à l’extérieur du Canada.

IB : Le SDC à Los Angeles a-t-il des relations avec les agences, qui sont souvent celles qui contrôlent ces réunions ?

PE : Nous renforçons présentement ces liens. Nous avons récemment lancé un appel d’offres pour l’établissement d’une base de données de personnes-ressources, car, de tous les services que nous offrons, c’est celui qui est le plus demandé : « J’aimerais parler à telle entreprise, à qui dois-je m’adresser ? »

IB : Si un producteur demande à rencontrer un représentant de Netflix, offrez-vous ce service ?

PE : Bien sûr. Mais Netflix est une société énorme; alors, quelle composante de Netflix ? Qui souhaitez-vous rencontrer ? Où en êtes-vous dans la présentation de prévente ? Où en est votre entreprise ? Toutefois, nous ne sommes pas des producteurs télé, ni des agents ou des distributeurs; ce sont les besoins du marché qui motivent nos initiatives. Il faut garder en tête que nous couvrons également d’autres secteurs. L’industrie musicale est gigantesque ici, et nous nous intéressons aussi aux arts de la scène. Nous ne nous attachons pas à l’édition ni aux arts visuels, car ces secteurs sont plus vivants sur la côte Est, à New York.

IB : Selon des rapports récents, les producteurs canadiens ont besoin de renseignements commerciaux sur les marchés d’exportation. Votre bureau est-il en mesure de soutenir ce type de recherches, notamment en fournissant des données sur le nombre de spectacles achetés, les tendances de genres ?

PE : Nous n’avons pas les capacités internes pour mener ce type de recherches, mais, si l’industrie nous le demandait, nous pourrions sans doute débloquer des fonds pour nous procurer ce service ou embaucher quelqu’un pour le faire. Nous avons différents mécanismes en place pour demander du financement pour ce genre de rapports, mais les ressources sont limitées. Les résultats sont affichés dans notre site Web, et nous publions des rapports sur les événements auxquels nous participons, comme MusExpo.

IB : La brochure Guide pas-à-pas à l’exportation du SDC présente différents programmes d’aide financière à l’exportation, notamment Exportation et développement Canada(EDC), la Banque de développement du Canada (BDC), Opportunités mondiales pour les associations (OMA), CanExport et Femmes d’affaires en commerce international (FACI). De quelle façon ces services touchent-ils l’industrie des médias ?

PE : Par exemple, si vous formez une association nationale canadienne, vous pouvez présenter une demande de financement auprès d’OMA. Je crois que la Canadian Independent Music Association (CIMA) reçoit des fonds pour ses initiatives d’exportation. Selon mon expérience, certaines entreprises réussissent bien à accéder au financement, en particulier dans le secteur du cinéma et de la télévision. Mais il faut avoir un plan d’affaires solide, y compris ce qui touche les aspects financiers. C’est comme aller à la banque pour obtenir un prêt. Nous devons vous poser des questions comme « Quel type d’études de marché avez-vous réalisées pour déterminer que Los Angeles était votre marché ? » « Qui sont vos concurrents ? » « Un membre de votre entreprise possède-t-il de l’expérience sur des marchés étrangers ? » « Avez-vous les reins assez solides pour survivre jusqu’à ce que l’argent commence à entrer ? » Les entreprises qui ne peuvent répondre à ces questions doivent se préparer davantage.

IB : Bon nombre de ceux qui peuvent ouvrir les portes à la vente de contenu dans les marchés d’exportation en croissance d’Asie et d’Afrique seraient établis à Los Angeles. Vous visez ces occasions ?

PE : Nous ne ciblons pas uniquement les entreprises américaines lorsque nous tenons des réunions de diffusion sur notre territoire. Nous incluons aussi des multinationales pour voir si nous pouvons faciliter l’accès à celles-ci pour les entreprises canadiennes; nous ne visons pas uniquement les filiales américaines, mais aussi — potentiellement — les maillons de leurs chaînes d’approvisionnement à l’extérieur des États-Unis. En définitive, le SDC vise l’obtention d’avantages économiques pour le Canada, et nous avons mis en place un certain nombre d’indicateurs de rendement pour mesurer les progrès réalisés vers l’atteinte de ce but. Par exemple, lorsque des gens viennent nous voir pour obtenir une rencontre, nos indicateurs sont les suivants : avons-nous été en mesure d’obtenir une rencontre et quels sont les résultats économiques éventuels de la rencontre — avoir eu accès à du capital, avoir conclu un contrat de distribution, avoir été choisi par Netflix ou CBS. Voilà ce qu’est le succès pour nous, et nous le mesurons grâce à des indicateurs de rendement clés.

IB : Où en est le contenu canadien actuellement dans son parcours ?

PE : Cela dépend du secteur. Récemment, du côté de la musique, six des dix premiers artistes du Billboard étaient canadiens.

IB : Quelles leçons l’industrie de la télévision peut-elle tirer de l’industrie musicale ?

PE : Pour vendre sur le marché mondial, il faut créer pour le marché mondial. C’est bien de raconter des histoires canadiennes aux Canadiens, mais vous risquez de vous limiter à ce seul auditoire. C’est comme pour la mise au point d’un médicament en sciences de la vie ou d’une technologie propre : si votre création n’a pas été produite pour le marché mondial, vous ne la vendrez pas sur ce marché.

IB : Sur la route vers la viabilité commerciale, il y a au moins un point commun entre le secteur des médias et l’industrie pharmaceutique : le coût très élevé de la R et D. Les émissions de télévision coûtent très cher à développer.

PE : Oui. Des sociétés investissent des millions et des millions de dollars dans des médicaments, mais elles ignoreront si elles seront en mesure de les vendre avant d’avoir effectué tous les essais nécessaires et obtenu les approbations de la FDA et de Santé Canada. Dans les secteurs créatifs, nous avons maintenant des plateformes comme Netflix, qui a produit 1 000 heures de contenu original en 2017. L’histoire canadienne The Handmaid’s Tale — La Servante écarlate en français — est un cas intéressant. La série domine les Emmys et on voit des femmes en costume se promener main dans la main partout à Hollywood et à Beverly Hills. Je vois des photos sur Instagram et Facebook, c’est extraordinaire.

IB : Effectivement, The Handmaid’s Tale connaît un vif succès au Canada et partout dans le monde. Vous le savez, l’histoire s’inspire d’un roman de Margaret Atwood, l’une de nos auteurs les plus célèbres, mais il ne s’agit pas de contenu canadien. C’est une série américaine, créée par un Américain (Bruce Miller) et produite pour Hulu. Warren Littlefield, l’ancien dirigeant de NBC, est l’un des producteurs exécutifs. Qu’en pensez-vous ?

PE : La situation parle d’elle-même. Les producteurs ont pris un produit viable sur le plan commercial — dans ce cas, un grand roman canadien écrit par une auteure reconnue dans le monde entier — et en ont tiré quelque chose qui remporte un énorme succès mondial.


Le Guide pas-à-pas à l’exportation du SDC contient une mine d’informations sur l’exportation : les avantages du commerce international, les plans d’exportation, le marketing, le commerce électronique, la réglementation, la propriété intellectuelle, les contrats, les droits de douane, l’expédition, la livraison, le paiement, les formalités administratives, les ententes commerciales et plus encore.

Au moment où l’industrie audiovisuelle se prépare à relever le grand défi du XXIe siècle, soit la nécessité d’être concurrentielle à l’échelle mondiale, le SDC semble essentiel. Son service est inestimable pour la compréhension des impératifs de viabilité commerciale et la prestation des outils qu’il faut, à tous les échelons de l’industrie, pour atteindre ce nouvel objectif. Voilà qui nous permet d’aller dans la bonne direction.


Irene S. Berkowitz
Irene S. Berkowitz, Ph. D, est chargée de cours au MBA à l’école de commerce Ted Rogers et associée de recherche principale au Media Innovation Research Lab à l’Université Ryerson. Son mémoire de doctorat sur la politique canadienne de radiodiffusion, déposé dans le cadre de l’instance du CRTC intitulée Parlons télé, lui a valu une reconnaissance nationale. Des médias comme le Globe and Mail, Playback, BNN, Sirius XM et CBC font souvent appel à son leadership éclairé. Mme Berkowitz est titulaire d’un doctorat de l’Université Ryerson, d’une maîtrise de l’Université de Chicago et d’un baccalauréat de l’Université Cornell.
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