PTP Rapport rose: gros plan sur la représentation queer
Ça y est, un autre mois de la Fierté tire sa révérence. Les stations de radio remisent jusqu’à l’an prochain leur liste de lecture « Pride », et vous risquez beaucoup moins de tomber par hasard sur Le Mariage de mon meilleur ami et Carol à la télévision.
Ce fut un mois faste pour la représentation queer dans les médias… mais ce n’était que ça: un mois. Cela soulève une grande question: comment la représentation 2ELGBTQIA+ dans le paysage audiovisuel canadien se porte-t-elle une fois le drapeau arc-en-ciel abaissé? Le Fonds des médias du Canada (FMC) s’est penché sur la question avec l’aide du groupe de médias queer Pink Triangle Press.
Les résultats de l’enquête se retrouvent dans PTP Rapport rose: La représentation 2ELGBTQIA+ dans les industries canadiennes des écrans, un rapport de 112 pages qui offre des recherches fondamentales sur l’état actuel de la présence des personnes 2ELGBTQIA+ dans le cinéma, la télévision, les services de diffusion en ligne et les jeux vidéo au Canada.
Les données ont été recueillies par le biais d’entretiens et d’une enquête auprès de professionnel·les de l’industrie des médias au Canada, notamment des acteur·trices, des scénaristes, des producteur·trices et des développeur·euses de jeux vidéo, ainsi que par l’analyse du contenu des programmes télévisés canadiens les plus regardés (en anglais et en français).
Il s’agit d’une étude exhaustive et, bien qu’il soit impossible de résumer ici toute l’information qu’elle contient, voici certaines des conclusions centrales et des suggestions offertes pour améliorer la situation.
La représentation, le nerf de la guerre
Les personnes queers savent parfaitement que la représentation joue un rôle essentiel dans la façon dont elles sont perçues, dans leur perception d’elles-mêmes et, ultimement, sur la manière dont elles sont traitées.
Une impressionnante majorité de 97 % des répondant·es croient que la représentation est extrêmement importante. Bien que les personnes hétérosexuelles interrogées soient un peu moins susceptibles de partager cet avis, plus des trois quarts (78 %) déclarent néanmoins que la représentation 2ELGBTQIA+ est extrêmement importante pour elles.
Comme l’indique le rapport, ces résultats sont importants car ils remettent en cause l’hypothèse selon laquelle les personnes cis ou hétérosexuelles ne sont pas ouvertes aux histoires 2ELGBTQIA+. L’étude révèle que l’un des obstacles perçus à cette représentation est la nature prudente des décideurs et décideuses des médias. Selon ces leaders, la représentation des personnes 2ELGBTQIA+ risquerait d’avoir un impact sur l’auditoire, ce qui, comme nous disent ces chiffres, est un mythe.
L’émission Canada’s Drag Race en est un bon exemple. Devenue la production originale la plus plébiscitée dans l’histoire de Crave, elle remet en cause l’idée que les contenus 2ELGBTQIA+ ne font pas recette. Offrir aux créateur·trices 2ELGBTQIA+ la possibilité de faire leurs preuves permettra au secteur de répondre à la demande du public en faveur d’une véritable représentativité.

Invisibles
Certaines identités queers sont davantage dépeintes, alors que d’autres sont moins visibles :
• Les personnages bispirituels, trans et ayant une diversité de genre sont extrêmement sous-représentés dans toutes les industries.
• Les personnages bi+ sont sous-représentés de façon disproportionnée par rapport aux personnages gais et lesbiens alors que près de la moitié des professionnels des médias 2ELGBTQIA+ s’identifient comme bi, pan ou queer.
• Deux lettres de l’acronyme utilisé tout au long du Pink Paper sont totalement absentes des écrans canadiens: les personnes intersexes et les personnes asexuelles.
Clichés et traumas
Une proportion de 84 % des professionnel·les du secteur des médias croit que les films, la télévision et les programmes de diffusion en continu canadiens s’appuient sur des clichés et des stéréotypes attribués aux personnes 2ELGBTQIA+. Parmi ces trop nombreux stéréotypes, mentionnons le meilleur ami gai, le ou la bisexuel·les débauché·es et le ou la queer triste.
Un constat fait presque l’unanimité: la représentation 2ELGBTQIA+ dans le cinéma canadien porte beaucoup sur les traumatismes, notamment les histoires d’abus, d’agressions, de harcèlement et de micro agressions. Les lesbiennes (98 %) et personnes trans (97 %) ayant répondu s’accordent presque unanimement sur le fait qu’il s’agit là des récits dominants dépeints dans les films.
En mode jeu
Saviez-vous que trois Canadien·nes sur cinq, soit plus de 23 millions de personnes, jouent à des jeux vidéo? Pourtant, seulement 22 % des professionnel·les croient que la représentation des personnes 2ELGBTQIA+ est précise dans les jeux vidéo canadiens, moins que dans toute autre industrie. De plus, pour la grande majorité, les personnages 2ELGBTQIA+ dans les jeux n’ont pas de rôles significatifs.
Leçon de français?
Les répondant·es francophones ont tendance à se sentir plus positif·ves que les anglophones quant à la façon dont les personnes 2ELGBTQIA+ sont représentées à l’écran. Cependant, une analyse de contenu des émissions canadiennes les plus regardées révèle que les personnages 2ELGBTQIA+ sont plus unidimensionnels à la télévision francophone (73 %) qu’à la télé anglophone (25 %). Ces conclusions mettent en lumière le besoin de mener des discussions sur ce qui constitue une représentation appropriée et authentique pour corriger les perceptions.
En coulisses
Le contenu médiatique est le fruit du travail de personnes que l’on ne voit pas à l’écran. Ce sont les scénaristes, les réalisateur·trices, les producteur·trices et les cadres qui dictent ce que nous voyons et qui nous voyons; c’est pourquoi la présence de personnes 2ELGBTQIA+ à ces postes est essentielle. Cependant, les professionnel·les 2ELGBTQIA+ sont, dans l’ensemble, considéré·es comme rencontrant plus de difficultés que leurs collègues cisgenres hétérosexuel·les en ce qui concerne leur avancement, leur sécurité d’emploi et leur capacité à contribuer aux aspects créatifs des productions.
82 % des professionnel·les croient qu’il est plus difficile pour les personnes 2ELGBTQIA+ d’accéder à des postes décisionnels de haut niveau. L’accord avec cette affirmation est le plus élevé parmi les professionnel·les de l’industrie du jeu vidéo (87 %). Comme le révèle le rapport, les professionnel·les 2ELGBTQIA+ sont régulièrement exclu·es des salles où le changement se produit le plus souvent.
Tokénisme
Les professionnel·les 2ELGBTQIA+ déclarent se sentir réduits à l’état de “symbole” dans les productions où ils·elles·iels sont les seul·es employé·s 2ELGBTQIA+. De plus, lorsque le poids de la représentation repose, à tort, sur les épaules d’une seule personne, la peur de l’échec est décuplée. Beaucoup de participant·es expriment de l’inquiétude quant au fait que leur travail peut être présenté comme représentant « la communauté 2ELGBTQIA+ tout entière ». Il y a aussi un manque certain de mentorat et de formation pour les créatif·ves 2ELGBTQIA+ de talent désireux·ses de progresser.
Que peut-on faire?
Si le rapport de Pink Paper dresse un portrait plutôt sombre de la représentation queer, il y a moyen de changer les choses. Les répondant·es ayant participé au rapport ont formulé des pistes d’actions qui pourraient apporter des changements. En voici quelques-unes.
Authenticité, profondeur et complexité
Il est temps de laisser tomber les clichés et les stéréotypes au profit d’une représentation 2ELGBTQIA+ véritable et authentique, qui comporte plus d’intersections nuancées entre appartenance ethnique ou culturelle, handicap, neurodivergence, classe sociale, âge et corps.
Plus de la moitié des personnes consultées ont cité la série En quelque sorte (CBC Gem), de Bilal Baig et Fab Filippo, comme étant un modèle de représentation authentique et un exemple de ce que les professionnel·les 2SLGBTQIA+ peuvent livrer lorsqu’on leur apporte le soutien nécessaire.

Formation de base
Les cadres de l’industrie doivent développer des programmes de mentorat et de formation, qui ciblent des rôles clés de la chaîne de développement (par exemple auteur·trice-producteur·trice, réalisateur·trice, directeur·trice technique). Des programmes de formation, de partage de compétences et de développement de réseau peuvent préparer les professionnel·les 2ELGBTQIA+ en début et milieu de carrière à de meilleures opportunités. En outre, toutes les industries de l’écran devraient adopter et appliquer une politique de tolérance zéro à l’égard du harcèlement, de la discrimination et de la violence à l’encontre des personnes 2ELGBTQIA+.
Bureau ouvert
Pourquoi ne pas fonder un Bureau de l’écran des personnes queers?
Bon nombre des parties prenantes de Pink Paper en ont fait la suggestion. Comme le présente le rapport, au cours des huit dernières années, nous avons assisté à la création du Bureau de l’écran autochtone, du Bureau de l’écran des Noirs et de l’Office de la représentation des personnes handicapées à l’écran, qui soutiennent respectivement la représentation à l’écran et dans les coulisses des professionnel·les des médias autochtones, noirs et handicapés. Un Bureau de l’écran des queers pourrait donner accès à des réseaux, promouvoir des pratiques d’embauche inclusives et défendre des lieux de travail plus sûrs grâce à la sensibilisation et à la responsabilisation.