Rapport de surveillance des communications 2013 du CRTC – Le fil n’est pas encore coupé (1 de 2)

« Les entreprises de distribution de radiodiffusion offrent maintenant des services téléphoniques. Les compagnies de téléphone offrent des services de télévision. Internet offre tout et les appareils mobiles vous le livrent dans la main, où que vous soyez », affirmait l’ancien président du CRTC, Konrad von Finckenstein, dans un discours prononcé en 2010.

Il aurait pu ajouter que les industries des communications transformées par la convergence de leurs marchés respectifs offrent à leurs clients un accès Internet – le grand perturbateur de leur écosystème, le trouble-fête par excellence. La boucle est bouclée en quelque sorte.

Chaque année depuis 2008, le CRTC mesure l’effervescence qui agite ces marchés et rend compte de leur évolution dans son Rapport de surveillance des communications. Le rapport 2013, rendu public le 26 septembre dernier, compte plus de 200 pages de tableaux et de graphiques qui représentent autant d’indicateurs de l’évolution de nos habitudes de consommation des médias et de notre utilisation des technologies de communication.

Voici le portait en un clin d’œil du système de communication canadien en 2012 : revenus totalisant près de 61 milliards de dollars, dont un peu plus de 80 % sont partagés entre cinq grands joueurs, en l’occurrence Bell Canada, Québecor, Rogers, Shaw et Telus.

Ces revenus proviennent très majoritairement (72 %) des services de télécommunications (téléphonie filaire et sans fil, accès Internet, transmission de données) dispensés par autant des EDR (entreprises de distribution de radiodiffusion comme Rogers et Québecor) que des FST (fournisseurs de services téléphoniques comme Bell).

Il en découle donc qu’une grande part (soit 68 % pour l’ensemble des entreprises canadiennes) des revenus encaissés par des câblodistributeurs bien établis tels Vidéotron et Rogers provient maintenant de la vente de services de télécommunications et non plus de la vente de services de radiodiffusion comme la télédistribution ou les chaînes de télévision. Les services de téléphonie sans fil engendrent un peu moins de la moitié des revenus de télécommunications.

Dans ce nouvel univers de la convergence, tout est lié : des heures que le Canadien moyen passe devant le téléviseur à la vitesse et la tarification des services Internet résidentiels en passant par la disponibilité de la large bande. Chaque élément a une incidence sur la santé de l’ensemble du système.

Dans une analyse en deux volets, nous allons examiner les tendances qui se dégagent de la masse de chiffres et de données fournis par le CRTC dans son rapport, et ce, dans l’optique de suivre la transition de deux piliers du système de radiodiffusion – la télédistribution et la programmation télévisuelle – vers leur nouvelle incarnation dans ce qui est devenu, convergence oblige, le système de communication. Chacun de ces éléments du système a subi une transformation qui, si elle s’est amorcée avant l’arrivée d’Internet, s’est accélérée sous l’impulsion combinée de la technologie et de la nouvelle liberté de choix qu’elle offre au consommateur.

PREMIER VOLET : LA TÉLÉDISTRIBUTION – LE FIL N’EST PAS ENCORE COUPÉ

Quand la câblodistribution s’est ajoutée au premier mode de transmission de la programmation télévisuelle (la distribution par ondes hertziennes), cet accès à des signaux éloignés jadis inaccessibles a créé la première perturbation dans le système. Ensuite, de nouvelles technologies se sont ajoutées – avec des effets perturbateurs plus ou moins forts –  et ont été ajoutées à la brochette de services réglementés par le CRTC : radiodiffusion directe par satellite, distribution multipoint et technologie IPTV (télévision sur protocole Internet) entre autres.

Aujourd’hui, ces modes de distribution seraient en voie d’être remplacés par des services de diffusion qui échappent à la réglementation du CRTC; en effet, les services de télévision par contournement (TPC) sont tenus responsables de ces phénomènes que les Américains appellent le « cord-cutting » (désabonnement), le « cord-shaving » (réduction des services par certains abonnés) ou encore le « cord-never » (pour désigner cette génération qui ne s’abonnera jamais à un service de télédistribution).

Les indicateurs de l’existence ou non de cette tendance se constatent au premier chef dans l’évolution des revenus et des abonnements des services canadiens de télédistribution :

Source : Rapport de surveillance des communications, CRTC, septembre 2013, section 4.4 Secteur du marché de la distribution de radiodiffusion

À première vue, ces indicateurs ne confirment pas une tendance au désabonnement ou à la réduction des services par les abonnés : les abonnements et les revenus demeurent en croissance.

Par contre, l’augmentation des revenus est surtout imputable à la hausse des montants déboursés par client. C’est ce qu’explique Québecor, par exemple, dans sa revue financière 2012 : « l’augmentation des revenus par client, [est] générée (…) par la hausse de certains tarifs, l’impact de la migration vers le numérique, la location de terminaux numériques et l’adhésion à la diffusion en HD. »

De plus, derrière la hausse des abonnements apparaît l’ombre d’Internet : la croissance du nombre d’abonnés est presqu’essentiellement attribuable à l’augmentation du nombre d’abonnés aux services d’IPTV, soit la télévision diffusée sur l’infrastructure du réseau Internet du fournisseur, contrairement aux services de TPC utilisant Internet public. Le service d’IPTV, qui n’est offert au Canada que dans les grands centres pour l’instant, se rapproche beaucoup de l’expérience interactive et sur demande que propose la TPC. Au Canada, le principal service de télévision sur protocole Internet est le service Fibe de Bell.

Le taux d’adoption par les consommateurs de pratiques de visionnement de contenus audiovisuels qui contournent le système réglementé est un autre indicateur des transformations de l’industrie.

Dans son rapport, le CRTC y consacre un chapitre avec la collaboration de l’Observatoire des technologies médias (OTM), une initiative de CBC/Radio-Canada qui fournit à l’industrie un outil de recherche sur l’adoption et l’utilisation d’appareils technologiques au Canada reposant sur plus de 12 000 entrevues téléphoniques réalisées chaque année.

Les résultats de cette étude ont particulièrement retenu l’attention des médias, en raison de l’augmentation de 70 % du taux d’abonnement des Canadiens au service Netflix (lequel taux est passé de 10 % à 17 % en un an et s’établirait à 21 % depuis le début de l’année 2013) et de l’augmentation du taux de visionnement de vidéo sur Internet, lequel a atteint un niveau de maturité (70 %) dans le cycle d’adoption par les consommateurs des technologies de communication. Ces chiffres impressionnent d’autant plus qu’ils ne tiennent pas compte des adolescents et préadolescents, adopteurs précoces par excellence. En effet, l’OTM mène son sondage auprès de répondants âgés de 18 ans et plus.

Cela étant dit, le tableau 6.2.1 (présenté à la page 187 du rapport et intitulé « Adoption des technologies médiatiques au Canada ») nous apprend que les Canadiens qui se désabonnent et ceux qui ne s’abonneront jamais ne seraient pas encore très nombreux : à l’instar du sondage mené l’an dernier, la proportion de Canadiens qui ne visionnent la télévision qu’en ligne serait de 4 %, ce qui les placerait au rang des « visionnaires qui savent déceler les technologies gagnantes » selon la terminologie empruntée de l’OTM.

Ces visionnaires ont-ils su déceler une technologie gagnante? La programmation télévisuelle sera-t-elle bientôt entièrement distribuée sur le réseau des réseaux? Et quelle sera la nature de cette programmation qui sera libérée des contraintes d’horaire et qui ne pourra pas manquer d’être touchée par le moyen de transport qu’elle emprunte pour arriver jusqu’à nous?

Lisez la suite analyse dans le Volet 2 - La nouvelle télévision.


Danielle Desjardins
Danielle Desjardins offre des services d’analyse, de recherche et de rédaction aux entreprises et organisations des secteurs médiatiques et culturels par le biais de son entreprise La Fabrique de sens. Auparavant, elle était directrice de la planification à Radio-Canada, où, pendant une vingtaine d’années, elle a été responsable de dossiers stratégiques, institutionnels et réglementaires.
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