S’autodistribuer et accélérer les talents: les ingrédients du succès du studio Squeeze
En 2011, Squeeze n’était qu’un petit studio d’animation sis à Québec; aujourd’hui, celui-ci joue dans la cour des grands, grâce à la création de Cracké, une série d’animation en 3D pour jeunes enfants que le studio a lui-même distribuée aux quatre coins de la planète. Denis Doré, un des fondateurs du studio, nous livre les ingrédients de cette histoire à succès.
Quand Denis Doré et Patrick Beaulieu se sont rencontrés dans un café en novembre 2011 en vue de fonder un studio d’animation 3D à Québec, ils ont décidé de miser sur trois axes: offrir des services d’animation pour apprendre et éventuellement se classer parmi les meilleurs studios de la planète, produire et distribuer du contenu original et investir dans la formation de la main-d’œuvre pour assurer la pérennité de l’entreprise.
Près de sept ans plus tard, Squeeze travaille avec des studios de renommée mondiale comme Disney et Illumination, distribue ses séries Cracké et Jax à l’international et mise sur son programme de formation « Les Popettes » pour dénicher et développer les meilleurs talents en animation 3D.
Offrir des services afin de produire du contenu original
Après s’être bâti une solide réputation dans l’univers des services en animation 3D, le studio s’est lancé dans la création originale. Comme l’explique Denis Doré, le but était de prendre de plus grands risques dans l’espoir de récolter, moyennant un peu de chance, de plus grands bénéfices.
« Pour nous, proposer nos services, c’était une façon, étape par étape, d’établir aussi un axe de revenus qui allait nous permettre de développer notre équipe et notre maîtrise. Combiner cela à un modèle de produits, c’est-à-dire créer ses propres productions qu’on peut exploiter et distribuer dans le monde, c’est exponentiel si on a quelque chose qui lève vraiment. On enregistre une croissance de ses revenus et de sa rentabilité, puis de sa capacité financière et de sa capacité de rayonner qui sont, en fait, infinies. C’est à partir de là qu’on peut claquer des circuits. »
C’est ainsi qu’est née la première saison de Cracké, une série composée de 52 épisodes d’une durée d’une minute chacun qui est destinée aux jeunes enfants. On y suit les aventures d’Ed, un papa autruche un tantinet paranoïaque, qui tente par tous les moyens de protéger sa progéniture.
Faire voyager une série télé grâce à un format gagnant
Le format court et sans paroles de Cracké était perçu d’emblée comme une bonne façon de faire voyager la série. « On ne voyait pas de viabilité, si vous le voyez, si on n’allait pas au-delà du marché local, explique Denis Doré. Puis, nous nous sommes dit que nous n’avons aucunement à avoir des pensées trop petites là-dessus. Nous n’avons pas de raison de penser que nous ne pouvons pas exporter notre savoir-faire! »
« Pour nous, un format court, c’était quelque chose que nous pouvions produire. Nous étions rendus là. Puis, en éliminant la notion de parole, le contexte était parfait pour forcer la performance d’animation sur le personnage, ce qu’on appelle en bon français le body mechanics. Puis il s’agissait, bien entendu, d’un facilitateur pour l’exportation à l'international, considérant que l’humour qui est transposé dans des personnages comme ceux-là transcende les frontières. »
La stratégie s’est avérée gagnante, puisque la série Cracké est aujourd’hui disponible dans plus de 200 pays, dont la Chine et l’Inde, et cumule plus de 150 millions de visionnements.
S’autodistribuer pour préserver ses droits et bonifier son réseau de contacts
Bien que le succès de Cracké soit aujourd’hui bien établi, il est le résultat d’un long processus d’apprentissage pour la jeune entreprise québécoise qui se lançait alors pour la première fois dans la vente et la distribution d’un contenu original. Et le défi était d’autant plus grand, comme elle avait décidé de ne pas passer par des tiers.
« La suite logique, pour nous comme pour le Québec en général, c’est aussi de maîtriser beaucoup mieux la chaîne de valeurs que nous sommes en train de créer, jusqu’à la distribution », estime Denis Doré.
Les fondateurs ont donc acheté des billets d’avion à destination de Cannes pour assister au MIPTV, le marché international destiné aux contenus télévisuels. Sur place, ils ont vite compris non seulement qu’ils n’étaient pas assez préparés, mais aussi que c’était l’occasion d’apprendre comment vendre une série.
Forts de cette expérience, ils se sont préparés pour le MIPJunior qui se tenait quelques mois plus tard. Ils sont retournés en France – épisodes en main – et, cette fois-là, l’intérêt pour leur projet était indubitable.
Au lieu de sauter sur la première offre de distribution, l’équipe de Squeeze a décidé de voir s’il était possible de distribuer Cracké sans recourir à des intermédiaires. Son travail a été récompensé puisque, quelques mois plus tard, la série était vendue à Cartoon Network. Cette première vente a fait boule de neige et, par la suite, des ententes ont été signées avec Télétoon, Disney, Nickelodeon, Indosiar, SVT et Tencent.
Au-delà de la rétention des droits, cette stratégie a aussi permis à l’entreprise d’entrer directement en communication avec les grands joueurs de l’industrie. « Maintenant, ces contacts nous appartiennent, car ils ont été faits en direct. Ils connaissent nos marques, les nouvelles marques qui sont en développement. On peut entendre directement de leur part quelles sont leurs attentes pour l’avenir, qu’est-ce que le canal a comme vision stratégique. Puis ça, ça vaut de l’or pour nous en tant que créateurs. »
Ce sont d’ailleurs ces contacts qui ont permis à Squeeze de présenter en avant-première sa nouvelle série Jax à Netflix, Amazon et Apple. Comme quoi les premiers billets d’avion achetés pour assister au MIPTV, à Cannes, et la décision d’explorer soi-même l’univers de la distribution ont vraiment porté fruit.
Percer le marché chinois
Si aujourd’hui Cracké cumule plus de 150 millions de visionnements, c’est aussi parce que la série est offerte dans un des plus grands marchés de la planète, soit en Chine. De prime abord, ce marché de plus de 1,3 milliard d’habitants peut sembler difficile à percer. Comment s’y est pris Squeeze? L’entreprise a mené de nombreuses vérifications pour s’assurer de trouver un partenaire de distribution fiable et, par la suite, elle s’est entourée d’excellents conseillers juridiques.
La première communication avec un distributeur chinois a eu lieu au MIP, après quoi Squeeze a sondé ses contacts pour évaluer ce partenaire potentiel. « On a vérifié auprès de gens du Québec et de l’international, de même qu’auprès d’un studio à Singapour qui avait créé une belle série d’animation qu’on connaissait. On savait qu’on devait prendre en considération deux facteurs importants: d’une part, on avait besoin de pouvoir leur faire confiance, de confirmer qu’ils allaient réellement vendre notre série et nous aider en Chine; d’autre part, qu’on allait être payés. »
Rayonner grâce à des employés talentueux: la stratégie des « Popettes »
Sans surprise, le nombre de personnes à l’emploi de Squeeze a bondi au cours des dernières années. Ils sont maintenant un peu plus de 110 employés et, depuis le début de l’année, un nouveau studio à Montréal s’ajoute à celui de Québec. Cependant, la croissance annonce bien sûr un autre défi, soit celui de recruter des employés compétents.
Comment est-ce que la jeune compagnie s’y est prise? Denis Doré explique qu’ils ont misé sur ce qui rend le studio unique: « Il faut avoir de la couleur, il faut avoir quelque chose de précis à aller chercher. Dans notre cas, c’est un petit studio à forte croissance qui a de grandes ambitions, puis des gens extraordinaires. Ça donne la possibilité à des gens de grande qualité – qui ont beaucoup d’expérience et qui ont connu la réalité des grands studios aussi – de venir faire une différence au sein d’un [plus petit] studio comme le nôtre. »
Afin de s’assurer de recruter les meilleurs employés possible, les fondateurs ont mis sur pied, et ce, dès les débuts du studio, l’accélérateur de talents « Les Popettes ». Le programme n’a pas pour but de remplacer les écoles spécialisées, mais plutôt de servir de tremplin pour les étudiants prometteurs.
« Dans une classe de 30 ou 40, tu as peut-être cinq ou six personnes qui ont un potentiel extraordinaire, comme je le dis tout le temps, pour se rendre jusqu’à la ligue nationale. On leur offre un programme spécialisé, soit un camp d’entraînement qui repère ces gens-là, puis on leur propose la possibilité de venir chez nous et d’apprendre comment faire de l’animation professionnelle. »
Étant donné la récente croissance, le programme a été mis sur la glace, mais le studio espère pouvoir le remettre en place très bientôt. Depuis sa création, « Les Popettes » ont formé une vingtaine d’animateurs, dont près du tiers sont maintenant à l’emploi de Squeeze. Cela a donc aidé à la fois le studio et d’autres entreprises québécoises.
« Comme entrepreneurs, nous sommes d’avis que nous avons une certaine responsabilité sociale à dénicher, à former et à développer les meilleurs talents. Je pense que si chaque studio – à la limite l’ensemble de l’écosystème – se donnait les moyens de multiplier ces efforts-là, nous aurions un bel apport et l'industrie s'en porterait encore mieux. »