Simu Liu et l’art de la collaboration: leçons tirées de Kim’s Convenience
La campagne Découvrons-NOUS, lancée en avril 2021, encourage le public à exiger davantage des médias canadiens: davantage de diversité, d’authenticité, de voix. Simu Liu, l’un des ambassadeurs de la campagne, s’est entretenu avec l’artiste pluridisciplinaire Sook-Yin Lee à l’occasion du Festival international des médias de Banff (Banff World Media Festival). Ils ont discuté de l’importance de l’authenticité et de la représentativité, devant et derrière la caméra.
«Pour moi, la représentativité, c’est beaucoup plus que ce qu’on voit à l’écran, a lancé l’acteur canadien qui s’est fait connaître grâce à son rôle dans la populaire série Kim’s Convenience. Il est fondamental qu’il y ait, parmi ceux et celles qui occupent des postes décisionnels, des gens qui comprennent les communautés représentées dans une production.»
Kim’s Convenience: leçons apprises
Dans une récente publication sur Facebook, Simu Liu a révélé que Kim’s Convenience, perçu comme un modèle de représentativité et d'ouverture à l’écran, l'était beaucoup moins derrière la caméra. «Nous étions soumis à l’autorité des producteurs exécutifs et des directeurs de la série», a-t-il glissé lors de sa discussion avec Sook-Yin Lee. Selon lui, ça a créé une hiérarchie du haut vers le bas, alors que l’occasion aurait été belle d’établir un environnement collaboratif entre la distribution, à majorité asiatique, et les créateurs, majoritairement non asiatiques. Pour lui, c’était une question de respect.
«On nous rencontrait quelques semaines avant le début du tournage pour nous révéler les intrigues de la saison à venir. Le processus était beaucoup trop avancé pour que nous puissions poser des questions ou discuter de quelque changement qui aurait pu être apporté au scénario.» Résultat, Simu Liu a eu l’impression que le potentiel de son personnage, Jung, fils rebelle, mais ambitieux de la famille Kim, n’a pas été pleinement exploité.
Lorsqu’on lui parle des pièges qui guettent les auteurs non asiatiques mettant en scène des personnages asiatiques, Simu explique qu’il n’est pas simple d’adopter la perspective des Canadiens d’origine asiatique quand on n’en est pas un soi-même. Selon lui, ces créateurs et créatrices ont tendance à se rabattre sur les vieux clichés, comme ceux du «parent tigre» ou de l’Asiatique peureux. Le résultat sera souvent non seulement incorrect, mais aussi dévalorisant.
L’acteur croit que la solution réside dans la collaboration, qui semble avoir volontairement été écartée du plateau de Kim’s Convenience. Par exemple, les rencontres entre les membres de la distribution avec les créateurs étaient individuelles. Cela limitait les possibilités de conversation et de collaboration entre les interprètes des personnages principaux. Ins Choi, le Canadien de descendance coréenne qui a écrit le texte d’origine, était bien, dans une certaine mesure, à la tête de l’émission. Mais sa seule perspective ne suffisait pas à représenter les expériences diverses de toute une communauté. «Si ça se trouve, avoir un seul représentant d’une communauté n'est pas mieux que de n’en avoir aucun, croit Simu. C’est tout particulièrement vrai si votre projet traite de manière aussi spécifique d’une identité ou d’une expérience précise; il vous faut plus qu’un représentant. »
Shang-Chi: résultat de la contribution et de la collaboration
Simu Liu compare ses expériences sur les plateaux de Kim’s Convenience et de Marvel Studios. Celui qui a récemment été choisi pour incarner Shang-Chi, premier superhéros asiatique de Marvel, a été agréablement surpris par l’ouverture dont a fait preuve le studio hollywoodien. «Dès le premier jour, nous avons tous participé à la conversation. Ils ont tenu compte de mes commentaires et changé l’histoire pour lui donner une touche plus distinctement asio-américaine», explique-t-il. Les grands patrons du studio ne sont pas asiatiques, mais Simu raconte qu’il régnait sur le plateau une atmosphère collaborative et que l’équipe comptait plusieurs membres d’origine asiatique travaillant de concert. C’est ce qui fait croire à l’acteur que le film offrira un reflet fidèle de la réalité des Américains et des Canadiens de descendance asiatique, malgré le scénario d’origine.
«Nous avons parlé de ce qui risquait de se produire quand des non-Asiatiques créaient des personnages asiatiques, et les BD de Shang-Chi en sont l’exemple parfait: la façon de s’exprimer du héros, l’apparence de son père, avec sa grosse moustache de style Fu Manchu, et tous les clichés orientalistes», souligne l’acteur. Toutefois, comme Shang-Chi est un personnage relativement obscur, en grande partie à cause de sa nationalité, l’équipe a pu se réapproprier le récit, «repartir du début et construire une histoire que les spectateurs d’origine asiatique auraient envie de découvrir.»
La production de Shang-Chi est un bon exemple d’un croisement réussi entre collaboration et réappropriation d’un récit. «Il faut que davantage de personnes racisées et de membres de communautés sous-représentées occupent des postes décisionnels», conclut Simu Liu. Selon lui, au delà de la responsabilité des décideurs blancs en ce sens, c'est aussi aux créateurs racisés, «d’aller de l’avant pour de bon et de saisir l’occasion qui s’offre actuellement ».
Enfin, il donne l’exemple de Jean Yoon, qui jouait sa «umma» (mère) dans Kim’s Convenience. «Jean travaille tellement fort, elle est une réelle influence pour moi, a-t-il lancé. Elle mène ce combat depuis plus longtemps que moi… Elle est résolue et déterminée. Je l’admire vraiment.» Depuis que Simu a publié ses fameux commentaires sur Facebook, Jean Yoon a également pris la parole. Elle a repris certains des propos de son collègue et raconté ses propres expériences négatives sur le plateau de l’émission.
Les efforts incessants de Jean Yoon et sa lutte acharnée au fil du temps démontrent bien qu’il faut malheureusement beaucoup de patience pour faire changer les choses. Simu Liu nous rappelle que le changement se produit parfois lentement et qu’il peut créer de l’inconfort, mais qu’il faut tout de même persévérer. «Les mentalités évoluent lentement, et pour certains organismes c’est encore plus long, affirme-t-il. C’est pourquoi il est d’autant plus indispensable d’insister sur l’importance de confier des postes décisionnels à des personnes racisées. Même si je peux donner l’impression d’être agaçant, je dois continuer à répéter ce discours, encore et encore.»
Tout comme nos superhéros, nous devons constamment chercher à en faire davantage et, surtout, nous devons unir nos forces pour faire avancer les choses ensemble.