TYPE:RIDER : jeu vidéo, documentaire et transmédia
Entre webdocumentaire, fiction participative et magazine en ligne, ARTE France continue à explorer, avec la complicité de producteurs engagés, de nouvelles formes de création transmédia. Parmi elles, Type:Rider se singularise à la fois par son sujet et sa vision auteuriste du jeu vidéo.
Type:Rider est un jeu multiplateforme dont le titre est évocateur de son propos, mixant l’écriture mécanique (typewriter, la machine à écrire) et l’idée de la course (rider, le cavalier).
Le point de départ est unique à tous les supports : un deux-points typographique part à la découverte de son histoire, depuis l’invention de l’imprimerie par Gutenberg à la pixellisation du genre.
Trois expériences ludiques sont proposées pour explorer l’univers de la typographie. En premier lieu, un jeu vidéo accessible sur navigateur web, téléphones intelligents et tablettes, qui parcourt l’histoire de la typographie, chaque niveau étant consacré à une typographie différente, de Gothic à Pixel.
Le gameplay (jouabilité) est très facile à prendre en main : le joueur doit guider le deux-points d’un bout à l’autre du niveau, en récoltant les astérisques qui débloqueront alors des éléments documentaires sur la typographie et son histoire, sur les inventions (l’imprimerie de Gutenberg) et les typographes célèbres (Étienne Didot ou Claude Garamond).
Les huit niveaux de jeu sont complétés par un tutoriel jouable, intitulé Origins, revenant sur l’histoire de l’écriture : dessins préhistoriques, hiéroglyphes égyptiens, alphabet grec. Un dernier niveau « bonus » plongera le joueur dans l’univers de Comic Sans MS, police bien connue du Web.
Ensuite, un jeu social accessible sur Facebook permettra au joueur de composer son propre niveau, en écrivant un mot ou une phrase intégrée à un gameplay génératif et qu’il pourra ensuite envoyer à ses amis pour les défier.
Une installation interactive a également été conçue pour accompagner le jeu. Faisant interagir virtuel (des billes vidéo-projetées) et réel (de grosses lettres magnétiques à manipuler), cette partie permet de se réapproprier la typographie de manière tangible, toujours sous la forme d’un jeu (il s’agit ici de mener les points à une source lumineuse se déplaçant sur l’écran en créant un chemin grâce aux lettres).
Un gamedocumentaire hybride et transmédia
« L’intention était de faire un gamedocumentaire », explique Théo Le Du, directeur créatif à l’origine du projet, soit un jeu contenant des éléments documentaires dans le gameplay,accessibles depuis le jeu et dans des livrets (un pour chaque niveau).
« Le fait d’être produit par AGAT Films / Ex Nihilo et par ARTE Web nous a empêchés en quelque sorte de tomber dans l’un ou l’autre des extrêmes. On ne pouvait ni faire un pur jeu vidéo ni un documentaire, il fallait qu’on se positionne entre les deux, et c’est ainsi qu’est apparu le concept de gamedocumentaire. »
L’ensemble de l’équipe, issue en partie du Mastère spécialisé Interactive Digital Experiences des Gobelins, insiste sur la complémentarité des supports, faisant de Type:Rider un projet transmédia par la manière d’adapter son gameplay aux différents supports. « Dans le jeu, on couvre toute l’histoire de la typographie. Avec l’installation, on s’intéresse à la forme des lettres, à leur empattement, et enfin, sur Facebook, on met en valeur la composition des mots et des phrases », explique Charles Ayats, créateur d’expériences interactives.
Une première pour ARTE : la production d’un jeu vidéo
C’est la première fois en effet qu’ARTE investit dans un véritable jeu vidéo. Jusque-là, la chaîne franco-allemande avait testé différentes expériences « gamifiées », en particulier Hotel, projet hybride entre série d’animation et expérience artistique. Fidèle à sa ligne éditoriale, ARTE s’est intéressée au côté atypique du jeu et à ses liens avec le format documentaire. « ARTE a manifesté une attention particulière au contenu documentaire, mais, dès qu’on en mettait un peu trop, ils étaient là : “Stop, nous, on veut un jeu !” » raconte Théo.
Type:Rider est également une première pour la société de production AGAT Films / Ex Nihilo, surtout connue pour son cinéma d’auteur. Depuis quelques années, le producteur Arnaud Colinart explore le domaine des nouveaux médias, avec notamment plusieurs webdocumentaires reconnus (Arte Sporting Club d’Andrés Jarach, La Zone de Bruno Masi et Guillaume Herbaut) : « On a essayé d’aller au bout des choses, de dépasser le simple webdocumentaire. Il ne s’agit pas de faire une partie docu et une partie jeu, mais une imbrication intelligente des deux. »
La différence entre la production d’une œuvre audiovisuelle et celle d’un jeu vidéo provient également d’un changement de paradigme important. Si l’audiovisuel est également une industrie du prototype, fondée sur l’unicité de chaque œuvre produite, le jeu vidéo va bien plus loin dans cette logique d’itération et de test permanent. « Cette logique de test est à la fois ce qui est le plus intéressant et le plus terrifiant dans le jeu : tant que tu n’as pas testé le truc, tu ne sais pas si ça marche », confie le producteur.
Archives et droits d’auteur : une industrie encore peu adaptée aux œuvres hybrides
La production de Type:Rider entraîne aussi d’autres questions inédites pour AGAT Films / Ex Nihilo et son producteur. En premier lieu, la question du statut de ses créateurs.
Charles Ayats : « Il faut savoir que la notion de droit d’auteur est très galvaudée dans le jeu vidéo. Avec le développement de jeux indépendants, on est en train de revenir un peu sur la question, mais, aujourd’hui, le jeu vidéo n’est pas considéré comme une œuvre d’art mais comme une œuvre collaborative. »
Arnaud Colinart l’a constaté de façon concrète au moment de définir le statut et le type de rémunération de l’équipe : « AGAT Films / Ex Nihilo étant une société de production cinématographique, la question du droit d’auteur nous tenait particulièrement à cœur. Dans l’équipe, toutes les personnes qui se trouvent autour de cette table [c’est-à-dire les game designers, les développeurs et les graphistes] ont donc un contrat d’auteur. »
AGAT Films / Ex Nihilo a adopté une position volontariste sur la question, d’ailleurs partagée par les acteurs de la création française qui se penchent aujourd’hui sur la question : « Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) était content qu’on tienne cette position, qui lui permet aussi de légitimer sa participation dans ce type d’œuvre. »
De surcroît, la nature même du projet a soulevé d’autres problèmes juridiques particuliers, relevant cette fois de l’hybridation entre jeu et documentaire. Plus de 60 images d’archives composent en effet les fonds et les éléments à débloquer dans les niveaux du jeu. « Les fonds d’archives n’ont aucun tarif adapté pour le Web, et encore moins pour le jeu vidéo. On a donc dû débloquer un gros budget archives pour avoir le droit d’utiliser ces images ainsi que pour les licences des polices que l’on utilise dans le jeu », détaille le producteur. « Le droit des marques se pose également autour de ces polices, car leurs noms sont des marques déposées. »
Comme toute création artistique, les polices typographiques sont également soumises à des droits d’auteur, en complément des droits d’exploitation appartenant aux fonderies numériquescomme Adobe. L’équipe a donc fait appel à des avocats spécialisés pour couvrir ce terrain. « C’est aussi ce qui est intéressant avec ce projet, toutes les questions juridiques que cela soulève », conclut Arnaud.
Production et stratégies de distribution
Côté budget, le total oscille autour de 250 000 euros, dont 100 000 de la part du fonds d’aide jeu vidéo du CNC. Arnaud Colinart souligne la nécessité de rechercher d’autres sources de financement pour la finalisation du projet : « Les recherches sont encore en cours. Nous avons notamment déposé un dossier au fonds nouveaux médias du Tribeca Film Institute (TFI). On a voulu rajouter des niveaux, notamment autour des polices Art Nouveau et Bodoni, mais qui ne seront pas inclus dans le jeu par manque de temps. Si le jeu marche bien, on pourra envisager une version 2 avec de nouveaux niveaux et fonctionnalités. »
Prise en charge par l’éditeur BulkyPix, qui en assurera une distribution mondiale, la sortie du jeu sera simultanée sur iOS (iPhone et iPad) et Android, et de manière payante, « sans doute aux alentours de 3 euros pour nous positionner comme parmi la grille des jeux de qualité », indique le producteur. Une version gratuite, de 5 niveaux, sera néanmoins accessible dans le site d’ARTE. « Pour convaincre un éditeur de jeux comme BulkyPix, la condition sine qua non était d’avoir un modèle économique. Si l’appli est gratuite, on ne pourrait pas toucher le public international. On considérera que c’est un succès si on en vend plus de 50 000 dans l’App Store », ajoute Arnaud, indiquant par là l’ambition implicite du projet.
Type:Rider se positionne comme un projet charnière, capable de rassembler l’univers vidéoludique et l’industrie audiovisuelle, et est un signe encourageant pour le renouvellement de la création transmédia.
L’ensemble du projet devrait sortir à l’automne. La spécificité de son dispositif (jeu vidéo, application Facebook, installation muséale) en fait un défi qui sera sans aucun doute passionnant à suivre et à expérimenter.
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Suivre l’équipe : Arnaud Colinart, Théo Le Du, Charles Ayats, Jérémy Quentin