YouTube au Canada en temps de COVID-19 : entre succès renouvelé et défis à relever

Depuis le début de la pandémie, les vidéos sur YouTube ont connu une montée en popularité fulgurante, de plus en plus d’utilisateurs étant à la recherche de conseils de bricolage ou d’un sentiment de connexion sociale. De nombreux créateurs de vidéos ont redoublé de créativité tout en relevant leurs propres défis.

Dans leur étude de 2019, intitulée Watchtime Canada: How YouTube Connects Creators and Consumers, la docteure Irene S. Berkowitz, le docteur Charles F. Davis et Hanako Smith expliquent qu’il n’y a «rien comme YouTube dans l’écosystème médiatique canadien» étant donné les caractéristiques uniques de la plateforme : elle est gratuite, elle est toujours accessible et elle propose un éventail de sujets apparemment illimité.

Depuis le début de la pandémie, la popularité de YouTube s’accélère sans cesse. Selon le New York Times, le trafic quotidien sur YouTube a augmenté de 15,3 %. Les données du Global Web Index montrent que, dans 13 pays étudiés, 50 % des personnes interrogées regardent davantage de vidéos sur des sites comme YouTube et 23 % prévoient que cette hausse se maintiendra après la fin de la pandémie. Cependant, au-delà de ces chiffres, quels ont été les effets plus nuancés de la COVID-19 sur les utilisateurs et les créateurs de contenu au Canada?

La montée des certains genres et mots-clics

Selon la plateforme YouTube elle-même, la pandémie a entraîné une explosion du nombre de genres dans le créneau des soins personnels, comme la méditation guidée et les séances d’entraînement à domicile. Les tendances qui facilitent les liens sociaux, avec la montée du mot-clic #avecmoi (#withme en anglais), et de vidéos qui enseignent à leur public de nouveaux talents comme la cuisine, le jardinage et la coiffure ont également la cote. Au Canada en particulier, le nombre de clips ou d’articles d’actualité est en hausse, ce qui reflète probablement un besoin d’information à jour, tandis que les bandes-annonces de films sont devenues de moins en moins populaires, étant donné la rareté des nouvelles sorties entre mars et août.

Un genre qui a bénéficié du fait que les gens restent à la maison est le bricolage (« faites le vous-même »). JENerationDIY est une chaîne Youtube de Vancouver, spécialisée dans les projets de bricolage à la maison, qu’il s’agisse de fabrication de chouchous ou de rénovation de salles de bain. « Il m’était assez difficile de mettre la main sur de nouveaux matériaux de bricolage pour les vidéos étant donné que les boutiques étaient fermées [au plus fort du confinement], les magasins en ligne affichaient de longs délais de livraison pour les articles non essentiels et beaucoup d’articles populaires étaient en rupture de stocks, explique Jennifer, qui tient la chaîne. Cependant, comme j’avais décidé d’adapter mes vidéos pour qu’elles traitent davantage d’activités de quarantaine et d’activités à la maison de toute façon, j’ai essayé de créer du contenu sur le bricolage et des activités que les gens pouvaient réaliser à partir de ce qu’ils avaient déjà à la maison. » Malgré certaines difficultés de production, elle s’est montrée souple en reflétant les réalités auxquelles de nombreux internautes étaient confrontés.

Résilients mais vulnérables : les créateurs également affectés par la pandémie

« Bon nombre de créateurs sont retournés à leurs racines, à savoir “une personne et une caméra” », selon Scott Benzie, chef de la direction du Buffer Festival, un carrefour annuel de célébration des créateurs numériques de renommée mondiale. Devant les restrictions imposées sur les activités de production, les créateurs de YouTube sont demeurés résistants et productifs pendant la pandémie. « Lorsque de grands noms comme Colbert et Kimmel se sont réfugiés dans leur sous-sol alors qu’ils avaient encore des millions de dollars et une équipe à leur disposition, la valeur de la production n’arrivait pas à la cheville de ce qu’un créateur de YouTube est capable de réaliser par lui-même. »

Malgré cette résilience, les Youtubeurs ont également dû faire face à des difficultés financières. Les dépenses publicitaires ont considérablement diminué et, donc, la commandite de marques – traditionnellement une importante source de recettes pour les créateurs numériques – s’est rapidement tarie dès le début de la pandémie. Selon OneZero, la baisse des dépenses publicitaires a également entraîné une diminution du coût par mille (CPM) des créateurs. C’est ce coût qui détermine combien YouTube verse à un créateur par tranche de 1 000 visionnements d’une publicité diffusée avant ou pendant sa vidéo. Par conséquent, pour de nombreux créateurs, les revenus sont en baisse même si le nombre de visionnements a augmenté.

Aussi, pour certains créateurs, la Prestation canadienne d’urgence (PCU) s’est avérée difficile à naviguer. « En vertu des règles mises en place, vous ne pouvez pas gagner plus de X [montant d’argent] pour être admissible à la PCU, alors que le revenu d’un créateur est changeant et imprévisible », explique Scott. Ainsi, en plus des soucis financiers causés par les dépenses publicitaires, certains Youtubeurs ont également dû faire face au processus de demande de prestations rendu d’autant plus complexe par leur modèle de revenus non conventionnel.

Le Buffer Festival a aussi connu son lit de difficultés. La vitrine de trois jours, initialement prévue pour le mois d’août, a dû être annulée à la lumière des restrictions imposées en raison de la COVID-19, liées à l’événementiel et l’arrêt des activités de production des créateurs. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi le festival ne se tiendrait pas en ligne, Scott explique : « Le principe même de Buffer est de prendre quelque chose qui est déjà normalement en ligne et de le présenter à un public en direct. L’équivalent de Buffer en ligne n’est rien d’autre que YouTube. »

Perspectives d’avenir

2020 devait être une grande année pour Buffer, car le festival s’associait à FanExpo pour en augmenter la taille et l’envergure. Malgré tout, le festival conserve un plan pour l’avenir, qui prévoit notamment son expansion au-delà de sa base de Toronto vers d’autres villes. « Nous travaillons également à la création de notre propre fonds afin de pouvoir financer des projets de créateurs, nous ajoutons plus de contenu à 365.Bufferfestival.com et nous travaillons avec le gouvernement pour qu’il reconnaisse la réalité dans laquelle vivent les créateurs. » 

Une réalité pas entièrement soumise aux mêmes restrictions que celles auxquelles sont confrontés les médias de production traditionnels, mais qui n’est pas non plus à l’abri des limitations en matière de déplacements, de tailles d’équipes et d’incertitudes financières. Scott ajoute que « Les créateurs en ligne sont des musiciens, des comédiens, des cinéastes, des documentaristes, des acteurs et ainsi de suite. Leurs préoccupations ainsi que les difficultés et les possibilités qui se présentent à eux sont uniques et ne devraient pas être définies uniquement par leur plateforme comme un “fourre-tout” ».

Compte tenu de ce niveau de diversité, YouTube occupe une position complexe au sein de l’environnement médiatique d’aujourd’hui. Comme le souligne Jennifer, « Le nombre de visionnements et les quantités de contenus créés ne pourront qu’augmenter à mesure que nous avançons dans un monde post-COVID. Beaucoup de personnes ont perdu leur emploi en cette période sans précédent. Cependant, les activités professionnelles sur YouTube et ailleurs sur Internet sont restées relativement stables. C’est pourquoi je pense qu’un plus grand nombre de gens percevront le travail de Youtubeur comme un travail viable et décideront de tenter l’aventure à leur tour. »

 


Jessica Yang
Jing Xian (Jessica) Yang est candidate au doctorat à la University of Southern California. Elle y étudie le point d’intersection entre les nouveaux médias et la recherche sur les communautés de fans (les fandoms). Elle a complété son premier cycle universitaire à l’Université de la Colombie-Britannique avec une double majeure en psychologie et en études cinématographiques. Elle vise à harmoniser les méthodes quantitatives, les études culturelles et les analyses textuelles en vue de mieux saisir les nuances et complexités des tendances et communautés en ligne.
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