SXSW 2019: la machine est ton amie

Alors que les deux dernières éditions du festival South by Southwest (SXSW) ont semblé empreintes d’appréhensions liées au contexte politique américain ou encore à l’emprise des machines sur le fonctionnement de nos sociétés, celle de cette année a plutôt dégagé une ouverture et un optimisme face aux bouleversements technologiques.

Dans le cadre d’un événement d’une telle envergure, où convergent en une dizaine de jours 432 500 personnes représentant un total de 102 pays, il est bien sûr impossible de tout voir. Après tout, l’an dernier, plus de 2 100 conférences en tous genres ont été présentées en plus des installations artistiques, des multiples fêtes, des séances de signature de livres, des bancs d’essai de technologies et ainsi de suite. Bref, il y a probablement autant de SXSW qu’il y a de participants tant il y a de combinaisons de contenu possible.

Crédit photo: Aaron Rogosin

Cela dit, on réussit toujours, tant bien que mal, à ressentir une ambiance générale à travers des discussions dans les interminables files d’attente et dans les kiosques à café bondés ou encore des titres fantaisistes des conférences présentées. Cette année, on sentait le besoin de concrétiser l’idée qu’on se fait du futur. Par exemple, concrètement, quelle valeur la blockchain peut-elle insuffler à l’industrie des écrans? Et, les balados dont on parle tant depuis quelque temps, où les place-t-on dans la chaîne de valeur des contenus? Enfin, une fois l’engouement passé, quel rôle l’intelligence artificielle joue-t-elle dans la création? Est-ce un outil valable pour Hollywood?

Ces questions sont revenues souvent sous une forme ou une autre dans un événement qui, en 2019, s’est mis en mode solution. Voici donc trois volets qui sont ressortis du lot cette année selon nous.

La blockchain

La blockchain n’est pas passée inaperçue cette année. Et on la traitait à toutes les sauces: santé, démocratie, justice sociale, cannabis, etc. L’angle qui a retenu notre attention était bien sûr relié aux productions culturelles. Dans la programmation, on retrouvait des titres de conférences comme Blockchain Transforming Film and Music, How the Future of VR & AR Will be Unleashed Through Blockchain, ou encore The Future of AI in Blockchain. Malgré une salle comble, on a eu la chance d’assister à celle intitulée Blockchain is Shaping the Future of Content. L’entrevue était menée par Tara Tan d’Ideo qui interviewait Ryan Andal, président et cofondateur de Secret Location, un studio de contenus immersifs ayant pignon sur rue à Toronto et à Los Angeles.

Andal est revenu sur la difficulté bien connue de rentabiliser le contenu en réalité virtuelle. Les réseaux de distribution étant pour la plupart centralisés, les technologies de la blockchain permettent d’éliminer les intermédiaires et de rapprocher les créateurs de contenu de leurs auditoires respectifs. Selon lui, quand on parle de distribution, on ne regarde souvent qu’une partie du problème. En effet, on ne s’attarde qu’à la distribution du produit final au client. Or, quand un contenu coûte cher à produire, comme c’est le cas en réalité virtuelle, cela implique aussi qu’on cède une partie des droits en cours de route pour arriver à financer son contenu. Il fallait donc trouver un moyen de suivre la répartition des droits du début à la fin de toute cette chaîne de valeurs, et ce, depuis l’idéation jusqu’à la distribution au consommateur.

C’est ce que Secret Location a mis au point, bien que le service soit encore à ses balbutiements (il a été lancé au printemps 2018). La plateforme Vusr Spark, dédiée à la gestion de droits pour la réalité virtuelle, a été construite au moyen de la technologie de la blockchain. Si ce type de solution n’est pas encore répandu dans l’industrie, l’engouement pour les diverses conférences sur la blockchain témoigne d’un intérêt à adapter les pratiques à des technologies dont les modèles traditionnels de distribution ne prennent pas toujours compte.

La revanche de l’audio

L’audio a toujours été l’enfant pauvre du Web, où la vidéo et l’image règnent sur la plupart des plateformes. Cependant, l’audio ne semble pas avoir dit son dernier mot. Dans une conférence réunissant certains poids lourds du milieu de la baladodiffusion, comme Gimlet, Spotify, Anchor et Cheddar, on a mentionné que les consommateurs passent autant de temps avec l’audio qu’avec la vidéo. Pourtant, le marché de la vidéo serait évalué à un trilliard de dollars, tandis que l’audio et la musique combinés ne vaudraient qu’un dixième de cette somme. Ces entreprises entendent bien équilibrer la situation.

La programmation 2019 de SXSW a fait la belle part à l’audio avec une grande panoplie de conférences et d’expériences sonores interactives, dont Sound Trip: An Immersive ExperienceBroadcast for Podcasts: Transitioning Audio to Visual Storytelling, Convergence Keynote: The Second Golden Age of Audio – Podcasting ou encore Podcasting & Hollywood. Cette idée de transition de l’audio à la vidéo a été très populaire. Dans plusieurs conférences, la baladodiffusion était considérée comme une des possibles pierres d’assise d’une nouvelle propriété intellectuelle. Elle permet de tester une idée et un auditoire à peu de frais pour ensuite faire une transition vers la vidéo.

Crédit photo: Dylan Johnson

Sanjay Sharma, fondateur et PDG de Marginal MediaWorks, a expliqué dans le cadre d’une présentation intitulée How Technology is Impacting Filmed Entertainment que nous sommes dans une ère où l’histoire reprend tous ses droits, peu importe le format, la durée ou la plateforme. Il a raconté le cas d’un jeu vidéo pour lequel il possède la propriété intellectuelle et qu’il développe en baladodiffusion, l’objectif étant d’en faire éventuellement une série télé. Il préfère cette approche à celle de développer un scénario et d’attendre des mois, voire des années, avant d’en arriver à un produit final. La baladodiffusion lui permet de développer un contenu à moindre coût et de facilement mesurer son efficacité auprès d’un auditoire. Si quelque chose ne fonctionne pas ou si un personnage se dégage du lot, la réponse vient rapidement.

La cocréation humain-machine à l’honneur

Plusieurs conférences ont porté sur l’application concrète de l’intelligence artificielle à la créativité humaine. Le pavillon de Sony y a consacré toute sa programmation en posant la question suivante: « La technologie va-t-elle enrichir la créativité humaine? » Ce slogan était souvent accompagné du visage de Jimmy Hendrix pour faire valoir que le génie humain avait besoin d’un outil (dans ce cas-ci, une guitare) pour s’exprimer en sous-entendant que la machine pouvait également jouer ce rôle de révélateur de talent humain.

Dans le cadre d’une conférence de Sony intitulée Can AI Re-Envision Human Creativity?, on a appris que Garry Kasparov, le dernier humain à avoir battu une machine aux échecs, croit que la machine sera une manière pour l’humain de repousser les frontières de sa propre créativité, surtout en le forçant à revenir à ses pulsions créatrices fondamentales. Il a donné l’exemple de la structure des emplois aux États-Unis et pris soin de préciser que la créativité était à peu près absente du quotidien de la plupart des gens. « On a montré à des générations de gens à se comporter comme des machines, et maintenant, on se surprend que des machines deviennent meilleures que nous à ces mêmes tâches. » Il voit là une formidable opportunité de réapprivoiser notre créativité humaine.

https://www.youtube.com/watch?v=AAMhBWDKTPA

Dans ce même pavillon Sony, on pouvait justement faire l’essai de diverses expériences pour mettre notre créativité à l’œuvre à l’aide de la machine. C’était le cas de Flow Machines, qui permet de cocréer de la musique avec une intelligence artificielle. La machine suggère des mélodies que les ingénieurs peuvent par la suite modifier à leur guise. Après avoir composé une base mélodique à partir de certaines suggestions de la machine, un des ingénieurs peut l’accompagner à la guitare et ainsi faire évoluer la pièce.

Que ce soit du côté de Sony ou dans le cadre d’autres conférences sur le thème de l’intelligence artificielle comme AI and the Future of Storytelling, AI for Storytellers: The Good, the Bad and the Ugly, The Future of Technology-Enabled Entertainment ou encore Creativity: Perspectives from Neurosciences and AI, cette idée de création humaine augmentée a été très présente, bien qu’elle ne soit pas encore au stade de l’application concrète dans l’industrie.


Catherine Mathys
Catherine Mathys travaille dans le milieu de la production audiovisuelle et des médias depuis près de 20 ans. Chroniqueure, reporter et animatrice, elle s’est spécialisée dans la dernière décennie dans l’analyse des transformations technologiques et médiatiques. Titulaire d’un baccalauréat en sociologie et d'une maîtrise en communication, elle apprécie tout particulièrement observer notre rapport à la technologie et son impact sur notre quotidien.
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