Aereo, quitte ou double : en attendant le jugement de juillet

Alors que la déferlante House of Cards s’abat sur 44 millions de chaumières, l’écosystème américain de diffusion télé pourrait bien être ébranlé encore une fois en juillet prochain par un jugement que la Cour suprême américaine devra rendre dans une cause opposant les géants de la diffusion télévisuelle aux États-Unis, et une entreprise qui a décidé de jouer le tout pour le tout, Aereo.

Comme nous en avions fait état dans un billet précédent, Aereo est une entreprise qui propose à ses clients de louer à prix très modique de petites antennes grosses comme des pièces de monnaie, des antennes qui captent les signaux hertziens des diffuseurs dans des périmètres géographiques correspondant à ceux des antennes traditionnelles. Ces mini-antennes individuelles, stockées dans des centres d’enregistrement et de redistribution, sont reliées par Internet aux récepteurs domestiques des usagers. Une version haute technologie des « oreilles de lapin », sans le tourment de l’installation et des écrans enneigés.

Au cœur de ces poursuites, deux positions se dessinent clairement. D’un côté, Aereo se définit comme un service d’enregistrement et de collecte de signal individuel, semblable à la location d’une antenne ou d’un enregistreur personnel; de l’autre, le consortium de diffuseurs (qui comprend ABC, NBC, CBS et FOX) prétend que Aereo s’approprie illégalement des signaux (et des contenus) qui ne lui appartiennent pas, violant ainsi le Copyright Actaméricain. Ces positions campées réactivent un débat qui est loin d’être résolu, où cinq grands vecteurs des chaînes de valeur traditionnelles, soit les droits, la technologie, la réglementation nationale, les nouveaux usages et les structures industrielles, sont interpellés. Au cœur des délibérations possibles : la définition de « diffusion » et de droits de diffusion, l’explosion des bouquets câblés, le prix et la rentabilité de l’information, la pérennité des stations locales qui servent de relais aux signaux, etc. Mais ce que cette cause met en lumière, c’est la réactivité des grandes entreprises de diffusion devant l’émergence de « petits » entrepreneurs technos qui ont d’excellents avocats et qui argumentent avec brio la neutralité idéologique de la technologie et le droit des consommateurs à capter des signaux que l’État a donné aux diffuseurs comme un privilège.

Depuis 2013, Aereo a gagné les poursuites dans lesquelles elle était citée, poursuites déposées par les CBS, NBC, PBS et autres géants. Alors que la National Football League et la Major League Baseball appuient les diffuseurs, Aereo a surpris les observateurs en disant souhaiter que la Cour suprême entende la cause et statue rapidement. Cette situation est assez rare, mais pas inexplicable.

En effet, Aereo a obtenu des jugements favorables, dont un en appel. Ceci dit, son principal compétiteur, FilmOn X, n’est pas dans la même situation, car il a perdu presque toutes ses poursuites depuis son lancement.

Est-ce parce que les avocats de FilmOn X ne sont pas aussi habiles, parce que les brefs de description de la technologie ne sont pas aussi clairs, parce que les dirigeants respectifs ont des styles entrepreneuriaux différents ou parce que le service de Aereo est légal, alors que celui de FilmOn X ne l’est pas? Chose certaine, tous s’entendent sur la nécessité d’un jugement global, qui éviterait des poursuites dans chacun des marchés où sont lancés les nouveaux services, ou des jugements à la pièce où des variantes technologiques subtiles ne sont pas comprises correctement.

Qui plus est, certains jugements ont laissé transparaître une dissidence de la part de certains juges, qui considèrent que ces startups technologiques cherchent les trous dans la réglementation et concoctent des « bidules » techniques destinés à ébranler le système de droits et de distribution, en faisant valoir au maximum les droits des consommateurs à la captation individuelle des ondes.

Après plus d’un an de déploiement, de poursuites et de chicanes publiques médiatisées, certains géants se rendent compte qu’ils pourraient eux aussi offrir ces services ou que, à tout le moins, leur rentabilité ne serait pas touchée. Alors, au fond, qui serait perdant si Aereo gagnait sa cause?


Suzanne Lortie
Détentrice d’un diplôme en production de l’École nationale de théâtre du Canada et d’un MBA de HEC Montréal, Suzanne Lortie est professeure à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) depuis juillet 2012. Directrice de production et productrice déléguée en télévision depuis 1992 (grandes séries variétés et culture primées aux galas des prix Gémeaux et par l’ADISQ, documentaires), elle est consultante en stratégies nouveaux médias.
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