Chloé Robichaud veut plus de films et de séries lgbtq+
En 2014, les réseaux de télévision québécois ont refusé de mettre à leur antenne Féminin/Féminin, une série racontant les tribulations d’un groupe de femmes lesbiennes, réalisée par Chloé Robichaud. Quelque sept ans plus tard, la scénariste et réalisatrice espère que les choses ont changé et que les téléspectateurs sont prêts à découvrir les différents visages de la communauté lgbtq+. Entretien.
Y a-t-il plus de chances en 2021 qu’un diffuseur accepte un projet comme Féminin/Féminin?
J’espère que oui, mais j’ai encore des doutes. Bien humblement, je crois que la série a été un pivot pour montrer que c’est faux qu’une histoire semblable est trop nichée pour rejoindre les gens. On avait rapidement atteint le million de visionnements. Artv a repris la première saison. La série est disponible sur Amazon et Hulu. France 4 l’a diffusée en France. Aujourd’hui, chaque épisode a franchi le million de vues. Ce sont de très gros chiffres! C’est clair que ce ne sont pas juste des gens de la communauté lgbtq+ qui l’ont regardée.
Donc, tu crois que le public hétérosexuel et cisgenre peut se projeter dans les histoires lgbtq+?
Si moi je peux me projeter dans une histoire hétéro, je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas se projeter dans une histoire lgbtq+. Cela dit, il ne faut pas juste mettre la faute sur les gens. C’est aux créateurs, aux producteurs et aux diffuseurs de faire une différence. Si les gens ne sont pas habitués à voir des histoires qui sont autres que hétérosexuelles et blanches à des heures de grande écoute, c’est normal qu’ils pensent que ce n’est pas pour eux, à la base. Mais s’ils ouvrent leur télé en voyant la diversité, ils vont s’y intéresser de plus en plus. Il y a un travail d’éducation à faire pour leur permettre d’apprivoiser le tout.
Toute leur vie, les personnes lgbtq+ consomment des films, des séries télé, des livres et des pièces de théâtre qui mettent en scène une écrasante majorité de personnages hétérosexuels. À force d’être confrontée à cette réalité, as-tu éprouvé un sentiment d’exclusion?
Je suis quelqu’un de serein et je fais beaucoup de travail sur moi en lien avec mon vécu, mais oui, ça m’arrive de ne pas m’identifier à ce que je vois en société et dans mon métier. Je ne sens pas qu’on m’offre une panoplie de personnages qui m’accrochent et qui représentent mon vécu. Cela dit, je suis optimiste. Je constate l’évolution. Les jeunes ont plus de modèles qu’avant. Mais, je ne m’assois pas là-dessus. La société est bonne pour me rappeler que certains aspects de moi sont différents.
Qu’est-ce que ça fait de ne pas se reconnaître à l’écran?
Toute ma vie, j’ai regardé des films avec des histoires d’hétéros. Je suis capable de m’identifier et de me projeter dans leurs émotions. Mais à la longue, je me sens exclue, comme plusieurs autres minorités qui ne se sentent pas représentées à l’écran. Le fait de ne pas me «voir» renforce ma différence selon les normes de la société. C’est un rappel constant.
À quel point cherches-tu à contrebalancer l’offre cinématographique avec des histoires lgbtq+?
Quand j’ai écrit mon premier film, Sarah préfère la course, c’était à moitié conscient. J’avais ce feu en moi de présenter un personnage féminin ô combien différent des images qu’on me donnait quand j’étais jeune. Durant mon adolescence, la féminité était toujours associée à certains codes vestimentaires : être féminine, ça signifiait de porter des robes et des talons hauts une fois de temps en temps. Moi, je me disais : «Je n’aime pas ça, les robes. Donc, je ne suis pas féminine? Je ne suis pas une femme?» Avec le recul, j’ai compris pourquoi j’ai fait ce premier film.
Par la suite, tes choix sont-ils devenus conscients?
Aujourd’hui, j’ai un réel désir d’apporter une autre perspective sur la sexualité et la féminité. Idéalement, il n’y aurait pas de définition de ce qu’est une femme. À chacune sa façon de l’être. Il n’y a pas un seul film qui va répondre à cette question. Cela dit, le jour où je vais mourir, je souhaite avoir créé un éventail d’oeuvres illustrant ce que peut être une femme, dans une proposition globale, complexe et nuancée.
Tu viens d’avoir 33 ans. Quand tu étais ado, est-ce qu’une œuvre lgbtq+ t’a ébranlée?
Le film C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée. Même si le personnage de Zac est un homme, ça ne change rien. Je me reconnaissais dans l’évolution de sa découverte, dans sa peur du coming out et des réactions de sa famille. Je m’identifiais beaucoup à son parcours. Par contre, à l’époque, aucune œuvre ne me permettait de me reconnaître à 100%. Dans un sens, c’est pour ça que j’écris et que je réalise mes films. C’est en réponse au fait qu’il m’a manqué de modèles à mon image.
Il n’y avait donc pas de personnalités publiques auxquelles tu t’identifiais?
Ma réponse est triste, mais non, très peu. J’espère très fort que si tu posais cette question à quelqu’un d’autre dans dix ans, il y en aura plein. Je sais que plusieurs personnes étaient out et qu’elles faisaient un travail de fond, mais malheureusement, je ne les ai pas vues. Quand j’étais enfant ou ado, les personnalités publiques ouvertement homosexuelles à la télévision étaient surtout des hommes. Du côté des femmes, un peu plus tard, il y a eu Ariane Moffatt, mais son coming out public a eu lieu quand le mien était déjà fait. Elle demeure néanmoins quelqu’un qui m’influence beaucoup. Quand j’étais plus jeune, les modèles m’ont manqué. C’est pour ça que, même si je suis quelqu’un de pudique, j’accepte presque toutes les demandes d’entrevues. Je sens que c’est ma responsabilité envers la Chloé de 15 ans qui en avait vraiment besoin.
Te souviens-tu quand même d’un film avec un ou des personnages lgbtq+ qui t’a marquée?
The Hours est venu me chercher. C’est un chef-d’œuvre cinématographique. L’homosexualité n’y est pas abordée de front : elle est là, latente. On sent que le personnage de Virginia Woolf est au prise avec quelque chose qui la travaille et que celui de Julianne Moore étouffe ce qui se trame en elle. Ça se passe beaucoup dans les non-dits. Ado, je m’identifiais à cette douleur silencieuse que je ressentais dans le film et qui était très bien amenée. Puis, le personnage de Meryl Streep, qui incarnait une femme du présent, était en relation avec une femme et elles avaient une fille. Il y avait une sorte d’espoir à travers elles. Comme si on me disait: tu te sens dans une période où tu étouffes en silence, mais ce ne sera pas comme ça pour toujours.
Je me trompe ou cette façon de faire du cinéma te ressemble?
Vraiment. Je suis beaucoup dans l’art du subtil, les nuances, les silences et ce qu’on ne dit pas. C’est devenu ma signature, à cause de ce que j’avais moi-même étouffé. Dans mes films, je montre que les gens qui parlent peu ressentent énormément de choses, et je les montre. En même temps, Féminin/Féminin est une œuvre plus frontale. La réalisation est relativement pop dans les couleurs et la musique. Ça m’a fait du bien de libérer quelque chose, comme un retour du balancier après Sarah préfère la course. Par contre, cette idée de regarder là où on ne pense pas à regarder et d’écouter là où on ne pense pas écouter, ça va toujours faire partie de moi.
Récemment, tu as eu un coup de cœur pour Portrait de la jeune fille en feu. Pourquoi?
C’était le film que j’attendais depuis vraiment longtemps! Plusieurs films gais de ma jeunesse étaient très durs. Par exemple, Lost & Delirious est un excellent film, mais il se termine en suicide, comme plusieurs autres. Aussi, très souvent, les personnages lgbtq+ ne peuvent juste pas être ensemble à la fin. Dans Portrait de la jeune fille en feu, on sent une impossibilité, mais il y a quand même un espoir. Quelque chose a été vécu et entendu. Ça m’a fait vraiment du bien de voir ça. Je me souviens d’avoir pleuré, ce qui ne m’arrive pas souvent devant des films, car je vois vite les artifices. Cette fois, je m’étais vraiment abandonnée. Quand je voyais les deux femmes s’embrasser, ça me rappelait mes premiers élans amoureux. J’ai beau dire que je suis capable de m’identifier à des personnages hétéros, mais ça ne me procure pas le même sentiment.
Est-ce qu’une série télé a déjà généré une émotion semblable chez toi?
Oui, le classique The L World. Pas d’un point de vue artistique, mais parce que ça m’a aidée à m’assumer. Je la regardais en cachette sur Artv, dans le sous-sol chez mes parents. Pour une rare fois, je voyais des femmes s’embrasser! Je n’avais pas l’occasion d’en voir ailleurs, et avec cette série, c’était de l’ordre du possible. Ça a coïncidé avec la période durant laquelle j’ai commencé à parler de mon orientation sexuelle à mes proches et à ouvrir mon cercle social pour avoir des ami(e)s qui vivaient les mêmes choses que moi.
Y a-t-il des personnages ou des thématiques lgbtq+ dans tes prochains projets?
Dans mon prochain long métrage, dont je viens de terminer l’écriture, le personnage principal est une femme homosexuelle. On sait qu’elle est en relation avec une femme, mais ce n’est jamais abordé comme un enjeu dans sa vie. Ce n’est pas le sujet du film. C’est plutôt l’histoire d’une cheffe d’orchestre qui tente de sortir d’une relation toxique avec son père qui est également son agent. Le film est à propos de son émancipation.