Collaborations multisectorielles en documentaire: pourquoi et comment?
La première édition du guide Pratiques de collaboration intersectorielle pour les médias documentaires fondés sur le savoir vise à développer des approches collaboratives de création dans le milieu du documentaire. Préparé par DocTalks, ce guide présente une réflexion collective sur les manières de mettre à profit différentes expertises afin de valoriser la diversité des connaissances et de perspectives dans un contenu médiatique. Il met carte sur table quant à certaines barrières culturelles et institutionnelles entre partenaires pouvant faire entrave au processus de création collective, et propose des stratégies pour y faire face.
> Consultez le guide Pratiques de collaboration intersectorielle pour les médias documentaires fondés sur le savoir
La richesse d’un écosystème de collaboration au projet
Le guide présente une nouvelle vision de la production documentaire axée sur la cocréation plutôt qu'une histoire unique racontée par une seule personne. Comme le souligne le professeur associé en sociolinguistique à l’université Memorial et président de DocTalks Paul De Decker, «ce que nous proposons est de montrer comment les connaissances deviennent significatives pour d'autres personnes, notamment pour celles impliquées dans le projet documentaire, et comment ces dernières peuvent être distribuées à un public plus large.»
Exemple de cocréation avec une institution muséale, Every Living Thing – Experiencing a Bioblitz est une incursion dans l’univers des biologistes et de leur rapport avec la faune à travers leur regard, mais également à travers celui des bénévoles du musée, qui partagent leur point de vue sur l’importance de la biodiversité. Le documentaire est donc largement rivé sur la psychologie, sur les rapports qu’entretiennent les protagonistes entre eux et sur la communauté ainsi créée. Il est le théâtre d’une interaction entre les points de vue des citoyens et des experts.
En termes de gestion de projet, une approche collaborative multisectorielle de la production documentaire laisse place à diverses perspectives. Le processus de création intègre de multiples connaissances, telles que celles issues d’organismes de bienfaisance, d’observations scientifiques de chercheurs, de fondations et de gouvernements.
Tous les collaborateurs, autant ceux périphériques que centraux, sont mutuellement engagés dans la création de contenu. Les possibilités de partenariats et d’apports en connaissances issus de multiples intervenants au projet sont schématisées ci-bas.
Le partage des connaissances des collaborateurs est dès lors coordonné de manière à ce que chacun assure la chasse gardée d’une composante du projet : son contenu, sa forme, ou encore son positionnement.
Or, cette motivation des collaborateurs à s’engager dans la coopération est relative aux bénéfices que chacun peut tirer du projet. Apprendre à collaborer requiert de s’attarder à certains écueils.
Les leviers pour susciter l’engagement des collaborateurs
Un sondage mené auprès d’une centaine de répondants et les constats issus des discussions des symposiums antérieurs révèlent des leviers de collaboration qui sont de deux natures: l’un axé sur les opportunités à saisir, qui renforcent les partenariats et l’action collective, et l’autre, axé sur les défis que présentent le choc des mentalités issues des cadres institutionnels et culturels. Alors que le premier type de levier met en lumière les logiques de collaboration, le second met l’accent sur les logiques divergentes — potentiellement conflictuelles — afin d’anticiper les défis et de clarifier les attentes des uns envers les autres.
Le schéma ci-bas présente ces leviers selon leur nature (opportunité versus défi) et les domaines de la gestion qu’ils concernent.
Miser sur les incitatifs à collaborer
1) Mettre à profit l’approche axée sur les résultats des bailleurs de fonds.
2) Élargir le bassin d’audience cible au bénéfice de tous les collaborateurs.
3) Renforcer son positionnement par les gains en légitimité en profitant de partenariats avec des organismes de renom.
Anticiper les défis des logiques divergentes potentiellement conflictuelles
4) Tenir compte de différentes approches de création de contenu : en tant que « prédateurs de pointe dans le monde de la collecte d'informations » les producteurs documentaires et les chercheurs académiques ont chacun leur méthode de collecte et de traitement des données.
5) Entrevoir une nouvelle cadence de la gestion de projet suite aux délais occasionnés par la prise de décision consensuelle, la bureaucratie et les procédures administratives.
6) Respecter les standards professionnels de chaque collaborateur en tant que représentant d’intérêt.
7) Comprendre les différents modus operandi de la bureaucratie en vue de faciliter le processus de validation et de répondre aux besoins du projet collaboratif.
8a) Accepter les différentes pratiques de financement entre celles d’un cadre institutionnel à vocation non commerciale versus à vocation commerciale qui ne partagent pas les mêmes cibles en regard à l’allocation des ressources.
8b) Entrevoir les écueils à la mutualisation des fonds à vocation non commerciale et de ceux à vocation commerciale, le premier n’étant pas familier avec les cycles de financement de l’industrie documentaire.
De nouveaux rôles de cocréation
À la lumière de ces défis et opportunités émergent de nouveaux rôles de cocréation. Ainsi, les bailleurs de fonds sont valorisés dans leur rôle de producteur d’impact. Les producteurs documentaires, chercheurs et organismes de bienfaisance sont amenés à réviser ensemble l’approche de création et la manière dont les données sont collectées et traitées. L’apport du diffuseur est sollicité plus en amont dans le processus. Le producteur documentaire intègre dans sa gestion de projet davantage de variables. Tous ces rôles peuvent être explicités dans le protocole d’entente, outil par excellence pour formaliser la vision commune du projet.
Or, la gestion de projet collaborative se confronte inévitablement aux mécanismes du pouvoir formel opérés par les leviers financier, de la propriété intellectuelle et des droits d’auteurs. Qui décide, et détient quoi sur quoi, sont ultimement les sujets complexes à clarifier entre les partenaires. Dans un désir de développer des modèles de pouvoir décisionnel partagé, des pistes de solutions sont explorées au niveau des approches plus souples de droit d’auteurs et de propriété intellectuelle, telles les licences Creative Commons. L’initiative n’en est qu’à son début.
Le Dr. De Decker rappelle qu’avant tout, le point de départ pour concrétiser une approche collaborative de création de contenu est de considérer la divergence de points de vue comme une opportunité pour alimenter une histoire. Autrement dit, elle requiert un intérêt au processus de création de contenu en soi, c’est-à-dire à recenser et rendre explicite le phénomène de la génération des connaissances jusqu’à leur institutionnalisation.