L’évolution de la réalité virtuelle à travers la lorgnette de Felix & Paul Studios
Depuis sa fondation en 2013, Felix & Paul Studios transforme le divertissement immersif. Le studio compte aujourd’hui plus de 25 œuvres en réalité virtuelle (RV) à son actif et sa croissance rapide a été propulsée en partie par celle de l’industrie de la RV, dont les revenus devraient atteindre 48,2 milliards $US à l’échelle mondiale d’ici 2022. Regard en trois temps sur cette évolution commune.
La réalité virtuelle remonte à plus loin que l’on pourrait penser: il y a eu le Sensorama, inventé par Morton Heilig en 1956, puis le premier casque de réalité virtuelle en 1961. Ensuite, le premier simulateur de vol a vu le jour en 1970. Ont ensuite suivi des échecs commerciaux de Nintendo, en 1989, et de Sega, en 1993.
Il aura fallu attendre 2010, avant que Palmer Luckey, un jeune entrepreneur américain de 18 ans, ne lance le prototype de casque RV Oculus Rift. Deux années plus tard, il récolte 2,5 millions $US grâce à la plateforme de sociofinancement Kickstarter. Son entreprise sera finalement acquise par Facebook en 2014.
C’est dans cette période de «renaissance» de la réalité virtuelle que Felix & Paul Studios a été officiellement fondée. Ses cofondateurs, Félix Lajeunesse et Paul Raphaël, avaient toutefois commencé à explorer le divertissement immersif quelques années auparavant.
L’avant-Oculus
Au terme de leurs études en cinéma à l’Université Concordia, Félix Lajeunesse et Paul Raphaël étaient tous deux fascinés par les mécanismes cinématographiques employés pour susciter un sentiment d’immersion chez les spectateurs.
«On observait que, lorsqu’un film proposait un storytelling et une identification des personnages efficaces, les spectateurs réussissent à s’y attacher et à ressentir cette immersion au cours de l’histoire», confiait Félix Lajeunesse lors de la Classe de maître de l’entreprise présentée dans le cadre du Festival du nouveau cinéma, à l’automne 2019.
Toutefois, d’autres types de films parvenaient, selon eux, à susciter le même effet, mais en utilisant d’autres stratégies, soient des films expérientiels. «On entend par là des films conçus de manière à offrir un réel espace au spectateur pour qu’il se sente présent dans cette expérience cinématographique et dans laquelle l’histoire et les personnages sont vraiment au service de l’expérience et non le contraire», explique Félix Lajeunesse.
Ce sont trois films en particulier qui ont motivé les deux créateurs à creuser davantage cet aspect expérientiel. C’est le cas de Tokyo Story (1953), où le réalisateur Yasujirō Ozu plaçait la caméra dans la scène comme s’il s’agissait du spectateur. «Si on regarde ce film, il y a de fortes chances qu’on oublie les personnages qui y sont présentés, mais pas ce que le film nous fait ressentir», soutient-il.
Le même procédé est employé dans un exemple plus contemporain, soit le film chinois Still Life (2006) de Jia Zhangke, où la caméra se détache des personnages, comme si elle n’était pas intéressée par la scène, et demeure à l’écart. C’est un déplacement qui nuit certes à l’histoire, mais semble conçu spécialement pour le spectateur.
«Un autre exemple contemporain est l’intégralité du film 2001: A Space Odyssey (1968), de la perspective des prises de vue au rythme lent et hypnotique combinés au jeu très sobre des acteurs, illustre-t-il. Tout donne l’impression que l’on est avec les astronautes.»
Même si ces exemples montraient que le cinéma pouvait être le bon véhicule pour susciter ce sentiment immersif, les deux fondateurs se demandaient s’il s’agissait de la seule façon d’y arriver.
«À la fin de 2008, les films 3D commençaient à faire leur apparition et certaines scènes produisaient vraiment un effet magique sur nous», explique Paul Raphaël.
C’est alors qu’ils ont décidé de concevoir leur propre machine 3D munie de trois caméras pour saisir trois points de vue différents. Ils ont choisi d’explorer d’abord le genre documentaire, puis la fiction. Ils ont ainsi réalisé leur première œuvre de fiction en 3D, The Sparkling River, et l’ont présentée au TIFF en 2013.
L’après-Oculus
L’année 2012 marque un tournant dans l’évolution de Felix & Paul Studios, qui découvre le prototype Oculus Rift sur Kickstarter.
«Même si le contenu fourni dans la trousse du développeur que nous avions commandée était destiné aux jeux vidéo et ne comprenait que de courtes démos, le sentiment et les capacités qu’offrait l’appareil nous ont renversés à un point tel que nous avons instantanément décidé de concentrer nos efforts sur le développement de contenus qui s’y adapteraient», explique Paul Raphaël.
Ils planchent alors sur un système de caméras et de capteurs sonores pour arriver à produire un contenu vidéo 360° qui peut ensuite être visionné à l’aide de l’Oculus Rift.
À ce moment précis, l’équipe prend un énorme risque financier: la campagne d’Oculus suscite certes l’intérêt de divers acteurs, mais l’industrie de la RV est pratiquement inexistante.
Malgré tout, ils sautent à pieds joints dans ce médium, avec leur toute première expérience de réalité virtuelle cinématographique, Strangers, où l’utilisateur se retrouve dans le studio du chanteur montréalais Patrick Watson. En 2014, ils se rendent au festival SXSW pour présenter leur expérience à l’équipe d’Oculus, qui décide d’en faire une démo pour le casque Oculus Rift.
Il n’aura fallu que trois ans après l’acquisition d’Oculus par Facebook pour que l’industrie mondiale de la RV génère des revenus de 6 milliards $US. Depuis 2014, selon Pulse on VR, on constate une augmentation de 22% du nombre d’entreprises canadiennes engagées en RV.
Fort de la confiance inspirée par Strangers, Felix & Paul Studios multiplie les expériences de RV, chacune contribuant à poser un nouveau jalon dans le divertissement immersif.
Le milieu cinématographique hollywoodien a notamment approché le studio, si bien que l’équipe a réalisé une expérience de RV unique pour le film Wild, un film réalisé par Jean-Marc Vallée mettant en vedette Reese Witherspoon.
L’effet ne se fait pas attendre: l’équipe produit non seulement des expériences pour d’autres films, mais aussi des documentaires expérientiels pour les anciens présidents Barack Obama et Bill Clinton ainsi que pour le basketballeur Lebron James, de même que des spectacles pour le Cirque du Soleil.
Que réserve l’avenir à la réalité virtuelle ― et à Felix & Paul Studios?
Ayant cumulé plus de 25 expériences en RV à son actif, Felix & Paul Studios produisait au moment d’écrire ces lignes un projet majeur de six épisodes de 20 minutes en collaboration avec la NASA et le magazine Time. La série, titrée Space Explorers: The ISS Experience, se déroule dans la Station spatiale internationale et repousse les limites de l’immersion.
Cette œuvre sera déployée en ligne, mais Stéphane Rituit, producteur et cofondateur du studio, a récemment confié qu’il explorait d’autres façons de la diffuser, comme dans des dômes, du matériel éducatif, des musées et d’autres lieux physiques.
Le plein potentiel de la RV n’est pas encore atteint, notamment en raison de la lente adoption des consommateurs: le taux de pénétration des casques de réalité virtuelle au Canada s’établissait à 3,3% parmi les francophones et 4,3% parmi les anglophones, selon le rapport du troisième trimestre de 2019 de GlobalWebIndex, qui sonde les internautes canadiens âgés de 16 à 64 ans. Aussi, plusieurs experts estiment que la technologie 5G permettra d’améliorer la qualité des expériences proposées.
Enfin, si c’est dans une période de renaissance de la réalité virtuelle qu’est né Felix & Paul Studios, c’est au cours d’une phase d’accélération technologique que l’entreprise pourra continuer d’innover. En janvier 2020, l’entreprise en démarrage de réalité augmentée Mojo Vision a annoncé le développement des Mojo Lens, des lentilles de réalité augmentée qui ont l’ambition de révolutionner la façon dont nous interagissons avec le monde et les autres. Aussi, Facebook a annoncé le lancement d’Horizon en 2020. C’est un univers social immersif en réalité virtuelle, qui sera accessible sur les plateformes Oculus Quest et Rift, et où il sera possible aussi de visionner des films.