Francophones hors Québec : la relève qui rayonne
Malgré plusieurs vents de face, la relève francophone en milieu minoritaire persiste et signe partout au Canada. Pleins feux sur deux projets entièrement produits et tournés à l’extérieur du Québec, dans la langue de Molière.
Une lettre d’amour au Manitoba et à la francophonie canadienne. Voilà comment Janelle et Jérémie Wookey décrivent Malgré moi, une nouvelle série de fiction en quatre épisodes de 60 minutes, qui verra le jour plus tard cette année sur Tou.tv. Les deux fondateurs de Wookey Films, une boîte de production franco-métisse issue de la communauté LGBTQTS+, située à Winnipeg, produisent cette série et en ont eu l’idée originale.

« C'est né de notre expérience en tant que Franco-Manitobains de souche », explique Janelle Wookey, à propos du concept développé par son frère et elle.
« On est nés ici, on a grandi ici et, au cours de nos vies, on a vu des personnes du Québec en visite, en voyage, qui venaient s'installer ici, qui redéménageaient au Québec… On a développé plusieurs d'amitiés avec ces gens et on a été témoins de leur expérience à Winnipeg, parmi la communauté francophone. »
Passer de l’anglais au français
Si Malgré moi a été écrite par deux scénaristes québécoises – Sophie Bienvenu et Edith Kabuya –, la réalisation est signée Maxime Beauchamp, un fier Franco-Ontarien : « On est contents de pouvoir montrer ce qu'on est capables de faire… et on est très fiers de ce qu'on fait », résume le réalisateur joint à Winnipeg, en plein tournage de Malgré moi.
Après ses études à Vancouver, Maxime Beauchamp travaillait exclusivement en anglais. C’était jusqu’à il y a quelques années... « Maintenant, je paie mes factures en travaillant seulement sur des projets francophones hors Québec! » lance le réalisateur qui réside à Wendover, à l’est d’Ottawa.
« J'ai vraiment l'impression qu'il y a une génération de jeunes créateurs – je ne sais pas si je peux dire « jeunes », parce qu'on est tous dans la mi-trentaine, début quarantaine! –, qui poussent des projets vraiment intéressants, poursuit-il. Ça nous permet de travailler en fiction, en français. »
Un manque de financement
Malgré un élan d’enthousiasme ressenti par plusieurs créateurs, la réalité n’est pas rose pour tous ceux qui tentent de se frayer un chemin en français dans les provinces à majorité anglophone.
Alors que le nombre de membres augmente au sein des organismes francophones qui défendent les intérêts des créateurs audiovisuels en situation minoritaire, les programmes de financement ne sont pas bonifiés. C'est du moins ce que constatent le directeur général du Regroupement des artistes cinéastes de la francophonie canadienne (RACCORD), Bruno Boëz, ainsi que la directrice générale de l’Alliance des producteurs francophones du Canada (APFC), Carol Ann Pilon.
En 2024-2025, par exemple, l’engagement financier du Fonds des médias du Canada (FMC) envers la production audiovisuelle francophone hors Québec est resté plutôt stable, à 12,4 millions de dollars. Toutefois, une diminution de 10% est prévue pour 2025-2026 en raison d’une baisse des revenus qui affecte l’ensemble des programmes du FMC.
Selon Bruno Boëz, le milieu minoritaire francophone pourrait mieux se porter. « La langue française est en recul au pays, et on sait très bien que l'épanouissement d'une langue est lié à la culture, avec des occasions de rencontrer les œuvres qui sont fabriquées par nos artistes, issus de nos communautés », souligne-t-il.
C’est sans compter les profonds bouleversements que l’industrie audiovisuelle rencontre dans son ensemble depuis plusieurs années : « On voit d'année en année une baisse de la production indépendante généralisée à travers le pays, pour chaque secteur – la francophonie à l'extérieur du Québec n'y échappe pas », déplore Carol Ann Pilon.
Tourner en français à Toronto
Malgré ce contexte plutôt sombre, travailler en français dans le domaine du cinéma et de la télévision à Toronto, c'est possible! Originaires de la région de Montréal, Philippe Montpetit, réalisateur et producteur, et Carinne Leduc, comédienne et scénariste, en sont l’exemple.
Établie à Toronto depuis une quinzaine d’années, Carinne Leduc vient de terminer le tournage de 11h11, une série en huit épisodes de 30 minutes qu’elle a écrite et dans laquelle elle joue une liseuse de cartes de tarot.

« C’est la première série prime time francophone hors Québec tournée à Toronto en français! » s’exclame fièrement Philippe Montpetit, qui produit la série avec Orbite Média, une boîte qu’il a fondée il y a 10 ans et qui finance presque exclusivement des projets en français.
« C’est dur, produire et réaliser des séries en français à l’extérieur du Québec, concède-t-il. Mais je trouve ça important, parce que beaucoup de gens l’oublient, mais il y a des francophones à l’extérieur du Québec, et il faut faire rayonner la francophonie! »
N’empêche, le tournage qui a eu lieu au printemps a nécessité de l’adaptation. Même si la quasi-entièreté des artistes était francophone, beaucoup de membres de l’équipe technique étaient anglophones. Philippe Montpetit et Carinne Leduc ont vite réalisé que les attentes budgétaires ne sont pas les mêmes pour ces deux groupes.
« On tournait très rapidement, à un rythme similaire à celui du Québec... Mais du côté anglophone, ils ne sont pas habitués à ça! Les gens nous disaient : “Oh my god, vous allez tourner 13 pages aujourd’hui?!” » raconte Carinne Leduc, en riant.
Chaque jour est un défi
Au sein des communautés francophones minoritaires, parler français représente un défi au quotidien, rappelle Carol Ann Pilon, de l’APFC.
« On le fait depuis plus de 200 ans et on va continuer de le faire, mais on a besoin d’une offre culturelle, audiovisuelle, cinématographique et sur Internet de contenu francophone, pour assurer une survie à cette langue et à cette culture », poursuit-elle.
Les francophones hors Québec représentent environ un million de personnes au Canada. Pour rejoindre plus de téléspectateurs, Janelle Wookey entend miser sur le modèle de Malgré moi : les têtes d’affiche québécoises comme Schelby Jean-Baptiste et Eddy King, qui se retrouvent au sein de la distribution, pourraient permettre d’aller chercher un public québécois.
Cela dit, la majorité de la distribution demeure franco-manitobaine, un aspect très cher aux créateurs de la série. « Il y a beaucoup de talent francophone au Manitoba, constate Maxime Beauchamp. Mais pour plusieurs comédiens à l'extérieur du Québec, les occasions de jouer sont vraiment plus rares. »
Pour les comédiens avec moins d’expérience, la production a donc organisé trois jours de coaching avant le tournage, ce qui leur a permis de se sentir plus confiants une fois sur le plateau.
Pour Maxime Beauchamp, tourner avec une équipe franco-manitobaine est important pour la représentation de cette minorité à l’écran. Mais pas seulement. « Ce qui est encore plus important, c’est pour la création. Créer à Winnipeg, dans un environnement avec des gens qui ont grandi dans une atmosphère franco-minoritaire, c’est vraiment rafraîchissant », dit-il.