La nouvelle logique d’acquisition du contenu
Le marché de l’audiovisuel a toujours eu une dimension internationale. Après tout, le MIPTV (Marché international des programmes de télévision) existe depuis 1964. Mais l’arrivée d’Internet dans ce marché a déclenché un mouvement d’internationalisation – des entreprises, des échanges, des catalogues, de la distribution – dont le rythme s’accélère.
Les défis sont nombreux : l’augmentation des coûts de production et des dépenses en capital, la pression constante des services de télévision par contournement, l’arrivée des géants de l’informatique dans leurs platebandes, entre autres, tout concorde pour pousser producteurs et éditeurs de contenu vers un marché international.
Plusieurs facteurs causent ce mouvement vers la mondialisation des marchés audiovisuels : une certaine saturation des marchés occidentaux (le nombre de séries de fiction américaines aurait doublé au cours des cinq dernières années), le dynamisme grandissant des marchés émergents (HBO et Netflix se disputent le marché chinois par exemple), et le fait qu’il est de plus en plus facile de distribuer du contenu à l’échelle de la planète. Il s’agit d’un environnement certainement propice à l’uniformisation des contenus.
Un marché aux frontières mouvantes
Dans le texte de présentation d’un rapport d’IDATE intitulé Audiovisual Industry Going Global, on mentionne que le marché mondial est dominé par des intérêts nord-américains. Cette affirmation résume bien aussi la situation du continent nord-américain, qui inclut le Canada bien entendu.
*** Pour un bon aperçu de ce marché dominé par les États-Unis : Des contenus partout 2 : Assurer la place du Canada dans l’avenir numérique ***
On le sait, les entreprises qui dominent ce marché, en fixent les règles et contrôlent les droits du contenu le plus populaire sont originaires des États-Unis, ce qui place le marché canadien dans une situation particulière.
Doug Murphy, le PDG de Corus Entertainment, explique pourquoi il ne croit pas que HBO Now, le service par contournement lancé aux États-Unis par la populaire chaîne câblée cette année, le sera aussi au Canada dans un avenir rapproché :
« Selon nous, HBO tire suffisamment d’argent du Canada, entre Bell et Corus, pour ne pas avoir à se préoccuper d’implanter un service de télévision par contournement ici. Elle ferait mieux de viser l’Asie ou d’autres grands marchés émergents. »
Voilà la complexité du marché des droits expliquée en deux phrases simples. Les ententes, partenariats et stratégies qui se mettent en place doivent être analysés à l’échelle planétaire, une échelle qui réduit le marché canadien à des proportions modestes en comparaison de celles des marchés émergents, où le trafic IP vit une croissance accélérée. C’est le cas notamment au Moyen-Orient et en Afrique, où Cisco prévoit un taux de croissance annuel composé de 44 % de 2014 à 2019.
D’après Digital TV Research, Netflix devrait atteindre près de 70 millions d’abonnés d’ici la fin de l’année 2015, une croissance de 28 %. Les abonnés à l’extérieur des États-Unis devraient atteindre 23.36 millions, une croissance de 57 %.
Ces marchés ne sont pas conquis d’avance. Parmi les obstacles, il y a la capacité et les coûts de la bande passante. De plus, dans les pays où le téléphone mobile est le principal accès à Internet, les limites de consommation de données empêchent le visionnement de vidéos de longue durée. Mais au premier chef, il y a la grande difficulté à obtenir des droits de licence mondiaux.
Netflix veut conquérir le monde
Le service de télévision par contournement est certainement le leader de la mondialisation du marché des contenus numériques. Au début de l’année, le service annonçait un plan ambitieux : implanter son service dans 200 pays d’ici la fin de l’année 2016. Il est déjà en bonne position de l’atteindre, comme l’illustre la carte ci-dessous, qui présente les 79 pays ou protectorats où Netflix est disponible :
Source : Netflix
La barrière qui limite les visées internationales de Netflix, c’est celle des droits. Pour réussir à lancer le service dans autant de pays en si peu de temps, le service pourrait choisir entre deux solutions.
La première : lancer un service international, accessible à tous, doté d’un catalogue de contenus avec licence mondiale tout en procédant à des lancements ciblés dans les marchés les plus importants.
La deuxième : augmenter la production de contenu original pour lequel Netflix possède tous les droits (ce qui n’était pas le cas pour ses premières séries originales comme House of Cards). Ted Sarandos, le responsable des contenus chez Netflix, le précisait récemment : « Actuellement, nos dépenses en programmation originale ont été plus rentables que nos dépenses en contenu sous licence. En ce qui concerne la programmation de contenu original, notre appétit a grandi, et nos dépenses sont passées de rentables à superrentables. »
Si l’attrait envers la programmation originale et sa popularité augmentent, ce processus pourrait entraîner la disparition des frontières territoriales dans le marché. Ce qui complique la situation, c’est que Netflix ne représente que le début d’une tendance qui se poursuivra par Amazon, Yahoo et YouTube (entre autres).
Du côté d’Amazon, par exemple, Jay Marine, vice-président d’Amazon Instant Video Europe, déclarait : « Nous continuerons à doubler la mise dans le contenu, à investir davantage pour offrir aux consommateurs du monde entier plus de séries télévisées originales et fantastiques qu’ils n’en ont jamais vues. »
De grands dépensiers
« Netflix, Hulu Plus et Amazon Prime seront une bénédiction pour les grands studios hollywoodiens dans les prochaines années, si l’on en croit les projections que RBC Marchés des capitaux a publiées mardi. Selon l’analyste David Bank, les trois principaux services de VSD par abonnement (VSDA) dépenseront collectivement 6,8 milliards de dollars en programmation en 2015. Il s’agit d’une importante augmentation par rapport aux 5,2 milliards estimés pour cette année, mais il prévoit des hausses à deux chiffres sur 12 mois des dépenses en syndication de VSDA au cours des années à venir, en tenant compte des ambitieuses visées d’expansion internationale de certaines entreprises, en particulier Netflix. »
Une stratégie confirmée par le vice-président des Studios Amazon, Roy Price, qui déclarait : « Nous visons à étendre nos activités de production aux longs métrages. Notre objectif est de créer une dizaine de films par année et d’entreprendre la production plus tard cette année. »
Pourquoi les services de télévision par contournement se ruent-ils ainsi vers le marché mondial ? Une réponse simple : le ralentissement de la croissance des abonnements dans le marché intérieur, alors que le marché mondial de la vidéo sur demande devrait croître de 25,30 milliards de dollars américains (2014) à 61,40 milliards en 2019. Le marché nord-américain demeure le plus important marché en ce qui a trait aux revenus, mais ce sont les marchés de l’Asie-Pacifique, du Moyen-Orient et de l’Afrique qui devraient connaître les hausses les plus importantes.
À titre de comparaison : le marché du cinéma, à l’échelle mondiale, a engrangé 36,4 milliards en 2014.
Vers une uniformisation des préférences à l’échelle du globe ?
Dans ce nouvel environnement, la question de l’uniformisation devient de plus en plus d’actualité.
Un exemple frappant : en avril 2015, le groupe TF1, le groupe de télévision allemand RTL Deutschland et le studio américain NBC Universal annonçaient la signature d’une alliance pour la production sur deux ans de trois séries américaines, tournées aux États-Unis, avec une distribution américaine.
Cette alliance est motivée par des raisons économiques d’abord puisqu’elle permet aux trois partenaires de partager les coûts. Mais surtout, les deux diffuseurs européens veulent produire leurs propres séries américaines afin de s’assurer que la source d’approvisionnement de séries (en particulier les séries policières « procédurales » du type « Law and Order ») dont leurs publics sont friands ne se tarit pas.