La réalité virtuelle, un jeu d’enfants?
Un billet de Marc Roberge, Florence Roche et Judith Beauregard
La réalité virtuelle et les vidéos 360° ouvrent de nouveaux horizons pour le contenu jeunesse, notamment dans le domaine de l’enseignement. Mais qu’en est-il des risques potentiels que pose cette nouvelle technologie pour les jeunes ?
La réalité virtuelle devient de plus en plus accessible aux enfants. On n’a qu’à penser aux Happy Goggles de McDonald; la boîte du repas Joyeux festin se transforme en lunettes de carton similaires au casque de réalité virtuelle mis au point par Google (Google Cardboard). Ou encore le jouet View-Master VR vendu par la compagnie Mattel. C’est une version moderne du fameux dispositif permettant de visionner des images en stéréoscopie (3D] mais cette fois-ci en mode réalité virtuelle.
Devant la montée en popularité des nombreux casques de réalité virtuelle offerts dans le marché au cours des derniers mois, un nombre grandissant d’experts s’interrogent sur les dangers et les bienfaits de cette technologie pour les enfants. Bien que la plupart d’entre eux prêchent la prudence, d’autres y voient des occasions à saisir qui vont bien au-delà de la simple utilisation de cette technologie dans les jeux vidéo.
Enfilez votre casque et essayons de voir plus clair dans cet univers qui a déjà séduit tant d’adultes et qui fait de plus en plus de l’œil aux enfants.
Des fabricants frileux devant l’incertitude
La plupart des fabricants les plus en vue déconseillent plus ou moins fortement l’utilisation de leur casque de réalité virtuelle par des enfants âgés de moins de 13 ans. Deux revues des recommandations formulées par les principaux manufacturiers (Oculus Rift, HTC Vive, Samsung VR, Playstation VR, Google Cardboard, etc.) ont récemment été publiées par TechAgeKids et Wareable.
Selon la plupart des observateurs, vu le peu d’études réalisées à ce jour sur l’incidence de cette technologie sur les jeunes enfants, les manufacturiers préfèrent l’interdire ou recommander son utilisation pendant de très courtes périodes (de quelques minutes à peine) et sous la surveillance d’un adulte (parent ou enseignant), même si les malaises d’étourdissement et de déséquilibre associés à l’utilisation des casques de réalité virtuelle sont généralement moins prononcés chez les enfants que les adultes.
Les raisons invoquées par les fabricants demeurent plutôt floues et l’âge limite pour lever l’interdiction – 12 ou 13 ans – semble tout aussi arbitraire. Qu’en est-il des dangers potentiels réels?
Inadaptés aux petites têtes
Exception faite des casques de type Google Cardboard, dont la conception oblige les usagers de se servir de leurs deux mains pour les appuyer contre leur visage, la très grande majorité des casques de réalité virtuelle a été développée pour les adultes.
Malgré les sangles qui permettent de bien fixer l’appareil à la tête de l’usager, le poids du casque (auquel il faut ajouter celui d’un téléphone intelligent dans le cas de certains modèles) est trop lourd pour les muscles du cou des enfants en bas âge, particulièrement lors d’une utilisation prolongée.
Une autre limitation physique évidente est que la plus courte distance qui sépare les yeux des jeunes enfants n’est pas prise en compte. Par conséquent, les enfants ne peuvent visionner l’expérience en réalité virtuelle de façon optimale.
Un cerveau en pleine croissance
Au-delà des dimensions physiques inadaptées, les scientifiques s’inquiètent de possibles impacts négatifs sur le développement des enfants. D’une part, les ophtalmologistes se demandent si une utilisation prolongée d’un casque de réalité virtuelle par l’enfant pose un risque pour le bon développement de sa vision puisque que cette technologie, contrairement à la vision normale, ne présente d’une seule distance focale.
Un autre phénomène qui se produit dans le cerveau préoccupe certains chercheurs. Une étude préliminaire démontre que plus de la moitié des neurones associés à la reconnaissance spatiale demeurent inactives dans un contexte de réalité virtuelle. Ce résultat fait craindre aux scientifiques qu’une exposition à long terme du cerveau d’un enfant à la réalité virtuelle se solde par un développement neuronal potentiellement inadéquat.
À cette crainte s’ajoute celle de certains chercheurs concernant l’acquisition de faux souvenirspar des enfants en bas âge exposés à des expériences de réalité virtuelle. Ainsi, de nombreux spécialistes recommandent une certaine prudence d’ici à ce que des études plus poussées aient être menées auprès de groupes d’enfants.
Un engouement instantané de la part des enfants
Pourtant, la quasi-totalité des tests réalisés sur des enfants arrive à la même conclusion : ils adorent la réalité virtuelle! La firme d’analyse de marché Dubit a mené une étude avec le casque de réalité virtuelle Oculus Rift auprès d’une douzaine d’enfants âgés de 7 à 12 ans. Non seulement les enfants ont raffolé de leur expérience, mais aussi ils ont tous exprimé le souhait que cette technologie fasse rapidement son entrée dans les écoles.
Pouvoir se transporter virtuellement dans un lieu historique ou encore pouvoir vivre diverses expériences sans devoir quitter la classe a séduit les élèves avant même l’idée de se servir de cette technologie uniquement pour s’amuser avec des jeux vidéo.
Transformer la façon d’apprendre grâce à la réalité virtuelle
Le professeur universitaire et concepteur de jeux et d’expériences numériques mondialement reconnu Jesse Schell avance que la réalité virtuelle constitue ni plus ni moins une révolution pour l’avenir du monde de l’éducation. Lors d’une récente conférence, Schell a affirmé que c’est précisément auprès des enfants que la réalité virtuelle aura les plus grands bienfaits.
Bien qu’il admette qu’entre 10 et 15 ans devront s’écouler avant que le monde de l’éducation intègre cette nouvelle technologie à grande échelle, il explique que les enfants d’âge primaire ne verront plus jamais l’enseignement de la géographie du même œil quand ils pourront le vivre grâce à une expérience comme Google Expeditions.
Cette expérience ne constitue pas de la réalité virtuelle à proprement parler, mais elle propose tout de même des vidéos en 360 qui plongent les enfants instantanément devant le lieu même qu’ils sont en train d’étudier en classe.
De la réalité virtuelle passive à la réalité virtuelle active
Preuve que la réalité virtuelle propulsera l’enseignement dans une toute nouvelle dimension, Jesse Schell présente le labo virtuel de chimie SuperChem VR, un laboratoire du futur dans lequel les enfants manipulent de façon active des produits et des matières sans aucun coût d’entretien matériel et, surtout, dans la sécurité la plus totale.
Schell ajoute que la réalité virtuelle peut aussi facilement se combiner avec des interactions réelles pour miser à la fois sur le désir de créativité des enfants et les objectifs pédagogiques des programmes scolaires.
Miser sur des projets hybrides alliant le ludique et l’apprentissage
Pour plusieurs concepteurs de produits numériques jeunesse, l’avenir de l’utilisation des casques de réalité virtuelle par les enfants passe nécessairement par le développement de projets qui misent à la fois sur l’exploration ludique et l’arrimage avec les programmes d’apprentissage.
Ces concepteurs voient une formidable occasion à saisir dès maintenant. Non seulement les enfants forment le groupe le plus réceptif à cette nouvelle technologie, mais ils sont aussi ceux qui peuvent bénéficier le plus de son utilisation.
Pendant que les grands studios lancent les premières expériences de réalité virtuelle multijoueur comme Fairy Forest, les développeurs indépendants qui créent des œuvres destinées à un jeune public ont probablement tout avantage à se spécialiser dans des projets hybrides. Ainsi, ils attireront à la fois de jeunes publics séduits par l’arrivée des casques de réalité virtuelle et un nombre grandissant d’enseignants et de formateurs conscients du potentiel illimité de cette technologie lorsqu’elle est utilisée en milieu scolaire.
Collaborer pour établir des recommandations
Il ne fait nul doute que les concepteurs de produits numériques jeunesse accordent de la légitimité aux inquiétudes des chercheurs et abordent donc le développement d’expériences de réalité virtuelle pour jeunes enfants avec à la fois prudence et enthousiasme. À preuve, une initiative d’envergure vient d’être lancée en Grande-Bretagne par le tout nouveau studio XRGames spécialisé en recherche et divertissement jeunesse.
Bobby Thandi, le président du studio, travaille activement en collaboration avec des professionnels de la santé infantile et de grands studios de production jeunesse pour élaborer des recommandations qui – il l’espère – serviront à établir des normes pour encadrer l’industrie.
Il insiste pour dire que [traduction] « […] la réalité virtuelle ouvrira d’innombrables possibilités aux différents acteurs de l’industrie. Notre responsabilité consiste à nous assurer de comprendre rapidement comment l’utiliser le plus intelligemment possible auprès des jeunes enfants. »