La scénarisation et la distribution à l’ère du streaming

La diffusion en continu, le visionnage en rafale et le deuxième écran transforment la façon dont le contenu télévisuel est scénarisé et distribué.

Dans le secteur de la télévision, la transformation numérique s’est manifestée de plusieurs façons qui ont profondément secoué l’industrie. Nous sommes en pleine élimination des contraintes associées aux horaires de télédiffusion, à la programmation aux heures de grande écoute et aux frontières entre les régions et les pays.

Ces conventions du 20e siècle sont peu à peu remplacées par l’arrivée du visionnage sur demande, des écrans multiples, des systèmes de recommandation qui s’adaptent à nos habitudes de visionnage et la fonction de lecture automatique d’épisodes successifs. Il est possible que nous n’ayons plus jamais à nous lever du divan!

Taille et envergure de la transformation numérique

Pour mieux saisir la taille et l’envergure des changements en cours au sein de l’industrie, voici de récents faits et statistiques :

  • En 2016, la lecture de contenu audio et vidéo en continu accaparait 71 % du trafic en soirée sur les réseaux d’accès fixes en Amérique du Nord, soit une proportion deux fois plus élevée qu’il y a cinq ans (Sandvine).
  • Au Canada, 80 % des Anglophones et 75 % des Francophones regardent des vidéos en ligne, que ce soit via YouTube ou Netflix, alors que la quasi-totalité des jeunes canadiens regardent des vidéos en ligne (Observateur des technologies médias, 2016).
  • Aux États-Unis, un nouveau tournant a été franchi : on dénombre désormais plus d’adultes qui utilisent des services de diffusion en continu (payants ou gratuits) que d’abonnés à la télévision payante (Consumer Technology Association).
  • Toujours aux États-Unis, un tiers de tous les consommateurs ayant abandonné le câble (cord cutters) sont des millénaux, mais l’âge moyen de ce groupe est de 43 ans (GfK MRI).
  • Netflix est la deuxième organisation américaine qui dépense le plus en contenu média. En 2017, la société investira 6 milliards de dollars en contenu original (CNBC).
  • En Chine, les sorties de films en ligne ont été 500 % plus nombreuses que les sorties en salle en 2016 (EntGroup).

L’impact sur la scénarisation

Jay Roewe, vice-président principal de la programmation originale pour HBO, qualifie ces changements de « secousses sismiques », soulignant au passage qu’à la fois la consommation et la production de médias ont subi des changements spectaculaires. « La façon dont les scénaristes rédigent, notamment hors du cadre des émissions financées par la publicité, a changé du tout au tout. »

Roewe fait référence aux structures des dénouements scénarisés et narratifs, jadis créés en fonction d’un visionnage hebdomadaire, mais depuis adaptés à un environnement dans lequel plusieurs heures de programmation sont souvent consommées en rafale. En fait, au lieu de visionner une saison de contenu sur l’espace de près d’un an, de plus en plus de téléspectateurs regardent une série complète sur une ou deux fins de semaine.

Faisant rapport sur son travail de documentation du phénomène du visionnage en rafale pour le compte de Netflix, l’anthropologue Grant McCracken a mis en lumière les différences entre les ancien et nouveau mondes de l’expérience de l’écoute de la télévision.

Dans l’ancien monde, a fait valoir McCracken, il était rare que de mauvaises choses arrivaient au héros ou au « bon gars ». Aujourd’hui, dans plusieurs séries dont House of Cards, Game of Thrones, Homeland et Scandal, de nombreux personnages meurent et ce malgré l’engagement des téléspectateurs à leur égard.

McCracken a aussi fait valoir « la présentation standardisée » de l’ancienne télé, dans un monde où il était entendu que nous ne pouvions regarder le contenu qu’une fois, à l’heure prévue dans la programmation. En revanche, la programmation contemporaine tient compte d’une plus grande complexité et de comportements comme le visionnage à répétition et l’utilisation d’un deuxième écran, où se déroule en arrière-scène et en temps réel un déferlement de commentaires et de recherches Google. Celui ajoute une couche d’intelligence numérique à l’expérience de la première projection.

Une autre victime de l’ancien monde télévisuel observée par McCracken est la frontière nette entre les genres qui est peu à peu remplacée par des formes plus libres. Ou, pour citer Tammy Vigil de la Boston University : « Le nouveau contrat [avec les spectateurs] est que les attentes doivent être enfreintes. »

L’impact sur la distribution

Pour sa part, HBO a réagi à la turbulence en lançant HBO Go et HBO Now, deux offres qui s’adressent à la fois aux clients abonnés à ses services télé et à une nouvelle clientèle. HBO Go est un service de diffusion en continu offert sous la forme d’un ajout gratuit à l’abonnement au câble de HBO alors que HBO Now propose une programmation linéaire sous la forme d’un abonnement autonome au prix de 15 $ par mois.

Comme souligné par Cathy Perron de la Boston University, le lancement de HBO Now a permis au distributeur d’accroître son nombre de clients payants de 10 à 15 millions de personnes, des personnes que le diffuseur n’aura pas pu atteindre autrement.

Une autre variante du paysage télévisuel a été l’arrivée des « forfaits de base », c’est-à-dire des forfaits réduits et moins chers que les forfaits traditionnels proposés par les câblodistributeurs. Les plus récentes données en provenance de Nielsen concernant la consommation de la télévision par câble aux États-Unis remontent à 2014 et indiquent que le nombre moyen de canaux par câble s’établit à 189, dont 17 en moyenne font l’objet d’un visionnage, tandis que le montant moyen de la facture de câble totalise un peu plus de 100 $.

Les câblodistributeurs proposent des forfaits réduits au Canada depuis 2016 et un forfait similaire a été lancé par YouTube aux États-Unis. Ce forfait offre l’accès à 40 chaînes dont ABC, CBS, Fox, NBC et ESPN ainsi qu’à YouTube Red, la version sans publicités de YouTube qui comprend une programmation prémium non comprise dans la version de base avec publicités.

À mesure que le phénomène d’abandon du câble se poursuit – et il se poursuivra, car un nombre sans précédent de Canadiens ont mis fin à leur service de câblodistribution en 2016 (http://www.cbc.ca/news/business/tv-cord-cutting-2016-1.4027661) –, les télédiffuseurs, entreprises médiatiques, compagnies de télécommunications et plateformes devront redoubler d’efforts pour présenter de nouvelles options aux consommateurs.

Les services sur demande, qui permettent aux téléspectateurs de choisir où, quoi, quand et comment regarder du contenu, deviendront inévitablement la nouvelle norme créant ainsi un nouveau marché de divertissement visuel.


Leora Kornfeld
Jusqu’à présent, Leora Kornfeld a été vendeuse dans un magasin de disques, animatrice à la radio de la CBC, rédactrice de cas à la Harvard Business School, blogueuse et cruciverbiste chevronnée. Elle est actuellement consultante en médias et en technologies et travaille avec des clients américains et canadiens.
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