Le phénomène du clonage rapide de jeux mobiles s’essouffle

Dans l’arène des jeux sur mobile, le phénomène du clonage rapide (« fast follow ») a provoqué une explosion de nouveaux titres pour les plateformes Android et iOS au cours des dernières années. La stratégie qui sous-tend ce phénomène s’explique pas mal d’elle-même : il s’agit de cloner des jeux à succès le plus rapidement possible pour s’accaparer une part des joueurs (et des profits).

Comme les plateformes mobiles évoluent (pratiquement à tous les égards) à une vitesse vertigineuse, la stratégie du clonage rapide demeure-t-elle une option légitime pour le développeur moyen? Penchons-nous sur les raisons pour lesquelles cette stratégie navigue maintenant en eaux troubles.

MONTÉE EN FLÈCHE DES COÛTS D’ACQUISITION PAR USAGER

Les coûts d’acquisition par usager (CAU) continuent d’augmenter au grand dam des plus petits développeurs. Un jeu n’ayant pas grand-chose d’inédit à offrir sera vite noyé par la concurrence féroce qui règne dans les boutiques d’applications – à moins d’être appuyé par une campagne de marketing à fort budget. C’est particulièrement menaçant pour les jeux sociaux, dont le succès dépend de grosses bases d’utilisateurs afin de tirer profit des effets de réseau et d’offrir des expériences engageantes aux joueurs pour les fidéliser.

VISIBILITÉ DANS LES BOUTIQUES D’APPLICATIONS

L’ouverture des boutiques d’applications d’Apple et de Google a contribué au phénomène du clonage rapide, essentiellement en permettant à quiconque d’y ajouter une nouvelle appli nonobstant sa qualité ou sa ressemblance à des applis déjà commercialisées. De façon quelque peu paradoxale, cette politique est également responsable de l’essoufflement du clonage rapide, et la situation se détériore au fur et à mesure que de nouvelles applications clonées se multiplient dans les boutiques.

Aujourd’hui, les boutiques d’applications proposent une multitude de jeux qui ne sont rien de plus que des clones refondus d’autres jeux. De plus, trouver de nouvelles applications est d’autant plus compliqué par d’importants problèmes de visibilité et de recherche. Même des jeux de grande qualité ne tirent pas profit de la traction dont dépend leur succès en l’absence d’un budget de marketing musclé, d’une solide campagne populaire et d’une communauté, d’une grande visibilité dans la boutique d’Apple ou de Google ou encore d’un lancement viral à laFlappy Birds. Toutefois, aucun développeur n’a intérêt à élaborer son plan d’entreprise sur la base de ces deux dernières hypothèses.

À moins que les boutiques d’applications n’améliorent leurs outils de visibilité et ne deviennent plus conviviales (ce qui est peu susceptible de se produire à court terme étant donné que ni Google ni Apple n’y ont un avantage à le faire), les développeurs devront trouver d’autres circuits achalandés pour donner plus de visibilité à leurs jeux. Dans ce contexte, ce n’est pas le contenu qui dicte les choses; tout est question de plateforme.

APPLICATIONS DE MESSAGERIE PAR CONTOURNEMENT

Récemment, la popularité d’applications de messagerie par contournement  comme WhatsApp a connu tout un essor. De telles applications permettent aux usagers d’envoyer des messages par Wi-Fi, « contournant » ainsi les réseaux cellulaires et évitant ainsi la facturation de frais d’envoi de SMS. Aujourd’hui, ces applis se développent en de véritables réseaux sociaux et plateformes de commerce électronique – principalement en Asie pour le moment – qui font la curation de jeux mobiles.

Lorsqu’il est question de découvrabilité sur de nouvelles plateformes mobiles, la résurgence de Facebook dans l’univers mobile vient instantanément à l’esprit. Mark Zuckerberg et compagnie semblent enfin avoir pris le virage mobile; on pense à l’acquisition de WhatsApp et leur nouvelle approche de dégroupage de leurs services pour proposer des applications autonomes parmi d’autres initiatives. Facebook réussira-t-il à ramener les développeurs au bercail en améliorant l’accessibilité d’une nouvelle gamme convaincante d’applications et de services de développement?

Dans une perspective de protéger de nouvelles options en matière de réutilisation, il n’est pas à l’avantage de Facebook ou des services de messagerie comme LINE et WeChat de proposer une surabondance de clones et de contenu de second ordre sans risquer de provoquer les mêmes problèmes ayant nui aux boutiques d’applications dans le passé. Il va sans dire que ce resserrement du contrôle de la qualité contribue à l’essoufflement du clonage rapide.

LES GRANDS ÉDITEURS APPELÉS À SERVIR DE «GATEKEEPERS»

Cela étant, le clonage rapide ne représente pas une stratégie viable – sauf pour quelques développeurs – étant donné les coûts d’acquisition des usagers élevés et les faibles retombées dans le cas de la plupart des nouvelles applications.

Cela nous mène aux grands éditeurs et développeurs qui se partagent actuellement le marché des jeux sur mobile : Supercell, King et Kabam entre autres. Grâce à leurs partenariats et promotions croisées, ils bénéficient d’un énorme rayonnement. Cependant, quel intérêt Supercell aurait-il à entrer en partenariat avec un développer pour commercialiser un clone de deuxième catégorie de Clash of Clans? Ces entreprises n’ont aucun intérêt à diluer leur marque en acceptant de faire cloner leurs propres grands succès dans l’espoir de faire de l’argent rapidement.

LA FIN DU PHÉNOMÈNE DU CLONAGE RAPIDE

Compte tenu des facteurs susmentionnés – augmentation des coûts d’acquisition par usager, problèmes de visibilité dans les boutiques d’applications et protection de l’accès à de nouveaux circuits de découverte –, le clonage rapide devient rapidement une stratégie inaccessible à ceux qui n’ont pas les poches assez profondes pour attirer de nouveaux joueurs.

Au moment de jeter les bases d’un nouveau projet, les développeurs en quête d’aide à la commercialisation auraient intérêt à regarder du côté de ces « entreprises gardiennes » selon le profil démographique de leur marché, la place qu’occupent les jeux clonés dans leur stratégie et les lacunes dans leur propre catalogue de jeux.

Pour ce qui est des joueurs, cet essoufflement du clonage rapide pourrait se solder par une résurgence du développement de jeux innovateurs sur mobile. Les développeurs n’ont qu’à trouver le moyen de permettre aux joueurs de les trouver. Quel que soit le scénario, l’époque de la ruée vers l’or ayant caractérisé le marché des jeux mobiles au cours des dernières années est révolue et les tendances qui se dessineront à l’horizon seront certes très intéressantes à suivre.


Kevin Oke
Kevin Oke est cofondateur de LlamaZOO Interactive, une entreprise en démarrage primée à Victoria, en Colombie-Britannique, qui œuvre dans le domaine de la technologie éducative. Pendant dix ans, Kevin a travaillé comme employé et consultant en divertissement interactif numérique. Il a travaillé entre autres pour Fox, Electronic Arts, Sky Sports et Nickelodeon dans le cadre de plus d’une quarantaine de projets.
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